Laurent Moënard, Charles-Joseph Bonaparte, l’inventeur du FBI, Passés Composés, 19/02/2025, 285 pages, 22€
La famille Bonaparte est mondialement connue. Pensez ! deux empereurs, des rois, des reines même, ont saupoudré leurs aventures sur l’échiquier planétaire, laissant une marque indélébile dans l’histoire universelle. Aussi reste-t-on perplexe devant le titre de cet ouvrage écrit avec une grande finesse par un Laurent Moënard, puits de science à la lecture facile et vraiment attractive. Notre curiosité nous pousse à ouvrir le volume et à en feuilleter les premières pages avant de s’apercevoir qu’on en a lu la moitié, tant le sujet est passionnant.
Mais que vient faire un Bonaparte avec le FBI ? Serait-ce un des neveux de l’empereur venu tenter sa chance durant la guerre de Sécession ? Un rejeton corse cherchant à se faire un prénom sur le nouveau continent ? Rien de tout cela! Charles-Joseph Bonaparte est un Américain convaincu et il va passer sa trépidante existence à le démontrer.
Mais avant tout, d’où sort-il ? D’où vient-il ?
En 1803, Napoléon est premier consul d’une France en pleine recomposition. Son plus jeune frère, Jérôme, n’a pas attendu les futurs bouleversements pour voler – croit-il – de ses propres ailes. Il a intégré la marine de guerre consulaire pour faire carrière. Jeune officier, il navigue autour des possessions françaises d’Amérique avant de faire une longue escale à Baltimore. Là, il est reçu avec égards par la haute société qui se l’arrache lors de somptueuses réceptions. Au cours d’une d’entre elles, chez un richissime propriétaire, il tombe follement amoureux de sa fille Elisabeth Paterson. Le sentiment est réciproque et le père de la jouvencelle, appuyé en cela par la « gentry » du coin, précipite un mariage que l’on devine des plus heureux. C’est sans compter sur le futur empereur des Français qui avait prévu un autre destin pour les membres de sa fratrie.
Napoléon, qui s’apprête à ceindre la couronne de Charlemagne, fait une grosse colère et exige le retour immédiat de l’insolent. Problème, un bébé est à naître. Les époux comblés naviguent bientôt vers la mère patrie où Jérôme croit pouvoir fléchir son auguste frère. Peine perdue, l’épouse et le nourrisson, après un fol périple, doivent s’en retourner aux Amérique. L’enfant se prénomme Jérôme-Napoléon.
Elizabeth et son fils s’installent à Baltimore où le garçonnet, choyé par sa famille et doué en affaires et en études, deviendra l’un des marchands les plus prospères du Maryland et des USA. Bien que gardant une forte relation épistolaire avec son père, Jérôme-Napoléon oublie peu à peu son ascendance et se consacre à corps perdu à sa nouvelle patrie, encore à se construire. Marié, il aura deux enfants dont la destinée est originale. L’aîné, Jérôme-Napoléon II, voudra explorer le pays de son grand-père et après une prometteuse carrière dans l’US Navy, rejoindra la France pour servir son cousin Napoléon III de France. Colonel, il combattra avec panache en Algérie, en Crimée, en Italie et durant la guerre franco-prussienne de 1870. Arborant la croix d’officier de la Légion d’honneur, il retournera en Amérique avec tous les honneurs. Bon sang ne peut mentir !
Le second fils, né en 1851 à Baltimore, est notre héros. Pour lui, la France n’est qu’un passé à oublier. Son pays, ce sont les USA. Il va le prouver au cours de toute sa vie. Aussi remarquable que ses ancêtres et que son frère, il excelle rapidement dans toutes les matières, en particulier le droit. Il en fera son métier. Remarqué par sa probité, son sens du devoir et sa capacité à absorber une colossale masse de travail, Charles-Joseph est approché par de nombreux hommes politiques, plus ou moins honnêtes. Tout en exerçant sa profession d’avocat reconnu et recherché, il se lie d’une amitié bientôt indéfectible avec un personnage dont il partage les qualités. Il s’agit du futur président Théodore Roosevelt. Ce dernier lui propose d’intégrer son équipe, situation que notre Bonaparte accepte d’autant plus franchement que ses idées sont les mêmes que le politicien.
Roosevelt accédant à la magistrature suprême, il veut que Charles-Joseph soit à ses côtés, principalement pour assainir les méandres du pouvoir. Il est nommé secrétaire aux affaires indiennes. Ce portefeuille, d’une grande importance en ce début de XXe siècle, est soumis à des acteurs d’une rare corruption. Bonaparte, monstre de travail, incorruptible, toujours appuyé par le président, va harceler, en bon juriste qu’il est, les bandits qui profitent en toute impunité des sommes allouées aux Indiens. Il réussit, à la force de ses convictions, aidé par une camarilla de fidèles collaborateurs, à retourner la situation et à rendre justice aux premiers habitants de l’Amérique. C’était l’un des vœux les plus chers du président.
En 1900, la plupart des pays possèdent un ministère de la marine. Les États-Unis n’échappent pas à la règle car les marchandises et les humains n’entreprennent de longues distances que par ce moyen. Ayant porté haut la flamme de l’honnêteté aux affaires indiennes, Charles-Joseph est nommé patron de cet indispensable ministère. À la tête de cette nouvelle mission, il va contribuer à faire de la flotte marchande américaine le fleuron des mers.
Mais c’est une autre tâche qui attend bientôt notre homme. Celle-ci en fera l’un des personnages les plus côtés des USA. Roosevelt, devant la foison d’entités juridiques, face au vide de certaines institutions fédérales, en présence d’énormes actes malhonnêtes aux confins des territoires, décide de nommer son plus fidèle compagnon de route à la tête du ministère de la Justice. Bien lui en prend !
Bonaparte s’attelle immédiatement à sa nouvelle mission que certains qualifient d’utopique. C’est mal connaître le petit-neveu de Napoléon. Il lance une opération « mains propres » d’une rare intensité. Mais retourner une situation aussi pervertie n’est pas chose aisée. Dans les territoires de l’Oregon ou de l’Arizona, les malfaiteurs s’en donnent à cœur joie, tant la justice fédérale est éloignée de leur chasse gardée. C’est là que Charles-Joseph, à la force du poignet va créer le BOI (Bureau Of Investigation). Les « Special agents » formés à la dure et aussi incorruptibles que leur patron, vont sillonner le pays et rétablir, à coups de condamnations sévères, l’autorité de Washington.
Tout en façonnant cet outil aujourd’hui reconnu comme le FBI (Federal Bureau of Investigation), notre Bonaparte appuie son président lors de la création des lois « Anti-Trust » et sera l’un des acteurs du processus de paix entre la Russie et le Japon lors de la guerre de 1904. Le président Roosevelt recevra à cette occasion le prix Nobel de la Paix et ne manquera pas de remercier son fidèle acolyte.
Après une vie bien remplie, Charles-Joseph retournera à Baltimore où il continuera, juriste oblige ! à exercer une grande influence lors de la conception d’agences fédérales destinées au bien-être des Américains.
Le nom de Bonaparte s’éteint aux États-Unis en 1945 avec la disparition du dernier descendant de Jérôme mais si vous demandez à un natif du Maryland s’il connaît ce nom de famille, il ne vous citera point notre empereur mais bien Charles-Joseph Bonaparte.

Chroniqueur : Renaud Martinez
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