Claire Koç, Le paradis français, Les Éditions du Cerf, 30/10/2025, 224 pages, 22,90 €
Il est des livres qui arrivent à contretemps, et c’est leur vertu. D’autres, à contre-courant, et c’est leur nécessité. Le Paradis français de Claire Koç est de ces derniers. À l’heure où la conversation publique s’épuise à disséquer l’identité nationale comme un corps malade, entre nostalgies amères et déconstructions vengeresses, la journaliste choisit une voie infiniment plus audacieuse : celle d’un éblouissement assumé, d’une déclaration d’amour qui n’a pour autre légitimité qu’elle-même. Ce n’est pas ici le récit d’une Française de souche déplorant un âge d’or perdu, mais celui d’une femme venue d’ailleurs, à qui l’on avait commandé de rester à la porte du pays, et qui a décidé d’en pousser la grande, avec la ferveur des convertis et l’acuité des regards neufs. Loin de toute posture idéologique, son livre pose une question à la fois simple et vertigineuse : comment devient-on l’héritier d’un patrimoine qu’on ne reçoit pas par le sang, mais qu’on choisit par le cœur ? Claire Koç y répond en tissant un hommage sensoriel et incarné, où la France n’est pas un concept, mais une expérience, un art de vivre qui se goûte, se parle, et finalement, se transmet.
La France de Claire Koç entre table, langue et passion
L’ouvrage de Claire Koç s’ouvre comme une promenade, où chaque chapitre est une halte, une station dans cette quête amoureuse de la France. Le voyage est d’abord celui des sens. Il commence par la table, espace primordial de la civilisation française, où la gourmandise devient “une vertu” et un repas, “une célébration de la vie”. Claire Koç nous y raconte sa France, saisie dans la saveur d’une choucroute achetée trois euros dans une chambrette de bonne ou dans la confection d’une ratatouille qui lui donne l’impression de “manger le soleil lui-même”. Mais cette France gourmande n’est qu’une antichambre. La véritable révélation est celle du verbe. Car le cœur battant de ce Paradis français est la langue, cette “grammaire universelle de la finesse et du partage“. L’autrice la découvre avec une dévotion quasi mystique, que ce soit à travers l’élégance bravache du “panache” d’Alexandre Dumas, le théâtre de Molière, clé de voûte de sa propre francisation, ou les chansons de Brel et Sardou, premières vibrations d’un monde inconnu.
Claire Koç redécouvre Paris avec les yeux de l’amour
Ce parcours initiatique s’ancre dans des lieux et se nourrit de figures tutélaires, qui forment un panthéon intime et électif. Paris, évidemment, devient son théâtre d’exploration, mais un Paris dévoilé dans le détail de ses façades haussmanniennes, de ses passages cachés, là où l’histoire chuchote à qui sait l’entendre. Son regard, délesté de l’habitude qui émousse celui des natifs — ces “enfants biologiques“, comme elle les nomme en citant Golshifteh Farahani —, redonne vie à ce que nous ne voyons plus. Et de cette redécouverte émane un puissant cortège de passeurs de mémoire : l’Oncle Hansi, dont elle ressuscite avec ferveur le patriotisme alsacien fait d’aquarelles et de résistance ; Pierre Bonte, le chantre de la France des terroirs qui lui confie que “les derniers remparts du patriotisme, ce sont les villages” ; Marcel Pagnol, dont le cinéma incarne cette France de la tendresse humaine. Claire Koç se compose ainsi une généalogie de l’esprit, un héritage choisi, où l’amour de la France devient un acte volontaire, une filiation du cœur qui se mérite et se cultive.
Claire Koç écrit la France avec une tendresse incarnée
L’écriture de Claire Koç épouse la nature de son projet : elle est une prose de l’attachement. Son style, d’une clarté fervente, avance par accumulations, comme pour mieux étreindre la richesse du patrimoine qu’elle inventorie. Les anecdotes personnelles – la découverte bouleversante du Tartuffe, un dialogue onirique avec Michel Audiard, le lancement de sa propre marque de vêtements “Vanille Paris” – ne servent pas l’épanchement de soi. Elles fonctionnent comme des illustrations sensibles, des preuves à hauteur de femme d’une assimilation réussie, d’une histoire d’amour concrète. Le ton oscille sans cesse entre le lyrisme d’une âme émerveillée et une tendresse ironique, qui décoche ses flèches contre l’époque, sa manie des anglicismes, sa “vulgarité sur un écran de téléphone” ou ce “syndrome de l’imposteur” qui paralyse ceux qui ont honte de leurs origines. En se plaçant constamment au centre du récit, elle signe un pacte d’absolue sincérité avec son lecteur, qui rend son témoignage si singulièrement touchant. Son regard n’est pas celui d’une ethnologue, mais celui d’une amoureuse qui, en racontant l’objet de sa passion, se raconte elle-même.
Claire Koç : une plume personnelle, assumée et profondément française
Le Paradis français dépasse sa forme de chronique pour revêtir une portée symbolique plus profonde. Dans un paysage intellectuel fracturé, ce livre propose, sans jamais le théoriser, un chemin de réconciliation. C’est une réponse douce mais implacable au désenchantement. Face aux discours qui assignent la France au ressentiment ou à la repentance, Claire Koç oppose la gratitude. Elle incarne cette pensée chère à Hannah Arendt, pour qui la reconnaissance du monde tel qu’il nous est donné est le premier pas vers un engagement véritable. Son patriotisme n’est pas une idéologie exclusive, mais un acte d’hospitalité réciproque : la France l’accueille, et en retour, elle lui offre son regard pour qu’elle se voie de nouveau aimable. En réhabilitant la beauté, la transmission et la fierté, elle rappelle que l’identité d’une nation n’est pas une essence figée, mais un récit vivant, un héritage qui ne vaut que s’il est sans cesse réactivé par ceux qui le reçoivent et, à leur tour, le font vivre.
Le livre de Claire Koç se referme sur un élan, une invitation à “lever nos verres à la France éternelle”. Cet ouvrage n’est pas un guide touristique des beautés de la France. C’est un manuel de réenchantement. Il nous enseigne que le véritable trésor d’un pays n’est pas enfoui dans un passé mythifié, mais qu’il vibre dans le présent, à portée de main, de regard, de mot. Il nous suffit peut-être, pour le retrouver, d’emprunter les yeux de ceux qui ont eu la grâce de le choisir. Et si le plus bel héritage que nous puissions recevoir était ce miroir que nous tendent ces nouveaux venus, nous rappelant à la flamme que nous avions laissé vaciller ? Avec Le Paradis français, Claire Koç a ravivé la sienne, et la chaleur de sa prose est communicative.
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