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Valérie Toureille, Azincourt. Histoire d’un étrange défaite. Perrin (Tempus). 18/09/2025. 240 pages, 8,50€

25 octobre 1415 ; au bas d’une pente légère explose une myriade de couleurs éclatantes qui illumine le ciel de plomb. Ce dernier déverse depuis plusieurs jours des trombes d’eau qui ont eu raison de la fermeté du sol, le transformant en un immonde cloaque. Au milieu de celui-ci est plantée la fine fleur de la noblesse d’épée française. Elle est là pour faire rendre gorge au roi de la Perfide Albion qui a osé s’aventurer avec une faible troupe sur les terres du bon roi Charles VI.

La gloire avant la chute : la noblesse en marche vers Azincourt

Sûr de son bon droit et de sa supériorité numérique, l’ost commandé par le grand connétable de France, Charles d’Albret, a revêtu ses plus beaux atours. Les chevaux sont couverts d’un chatoyant caparaçon aux armes de leur propriétaire. Le connétable arbore son écu « écartelé aux 1 et 4 d’azur à trois fleurs de lys, au 2 et 3 de gueules pleins ». À ses côtés se tiennent les plus grands militaires du royaume, tous couturés des nombreuses cicatrices gagnées dans les batailles. On y trouve Jean Le Meingre, le maréchal Boucicaud, les ducs Jean d’Alençon et Louis de Bourbon, cousins du souverain. Sont également présents le duc Edouard de Bar, le chambellan royal Hugues d’Amboise et son fils, le grand amiral de France Jacques de Chatillon, le banneret royal Jean de Garencières. L’archevêque de Sens, Jean de Montaigu, est aussi de la partie.

Charles d’Albret peut également compter sur le haut du pavé bourguignon. Bien que le duc de Bourgogne ait interdit à ses sujets de participer à la confrontation, nombre de chevaliers lui ont désobéi, comme Philibert de Bauffrémont, le chambellan du duché, accompagné de sa progéniture, Jean de la Haimade, le grand conseiller mais surtout Philippe et Antoine de Bourgogne, fils de Philippe le Hardi et donc cousins du duc et du roi.
La plupart de ces gens d’arme ont tenu à amener leurs enfants, fiers chevaliers eux aussi et pressés de se tailler une part de gloire.
Ce soir, ils seront tous morts !

Azincourt : quand la pluie et la précipitation font perdre la guerre

Tout a commencé il y a quelques semaines. Henri V, jeune roi d’Angleterre a débarqué en Normandie avec la ferme intention de se faire couronner roi de France. Rien que ça ! Mais les choses ne se présentent pas comme le Plantagenet l’aurait souhaité. Après avoir perdu un temps fou au siège d’Harfleur, il a vu son armée fortement diminuée par la fatigue, la lassitude et les privations. Désormais, avant d’embarquer à Calais pour retourner chez lui, il s’est éparpillé dans le Pas-de-Calais en ravageant çà et là la campagne. Les Français le suivent à la trace, avec une armée composée de milliers de chevaliers et d’autant de piétaille. Henri V, sentant qu’il ne peut plus échapper à ses poursuivants, décide enfin de ne plus retarder le duel dont il sait qu’il ne sortira pas vainqueur. Il choisit néanmoins un site approprié pour forcer sa chance.
Entre deux bosquets bien touffus, en haut d’une colline en pente douce, il dispose sa troupe, dont les fameuses bandes d’archers. Leurs tirs sont dévastateurs. Aux Français en surnombre, il laisse la vallée embourbée.
Lorsque l’ost de France se déploie, les chevaux, dans l’attente de la charge, ploient sous les cavaliers alourdis par les armures. Les chevaliers, pressés d’en découdre, opteraient bien pour une charge qui balaierait les envahisseurs, après avoir reçu une flopée de carreaux d’arbalètes qui peuvent traverser deux hommes. Le connétable éprouve le plus grand mal à contenir les princes de sang qui haranguent leurs hommes. Une première volée de flèches anglaises vient frapper la masse compacte des Français. Certaines transpercent les carapaces de fer des cavaliers qui démontent et s’enfoncent dans la boue. Sans qu’aucun ordre soit donné, la foule fonce face aux Britanniques. Les chevaux se meuvent avec les pires difficultés, leurs pattes enfoncées jusqu’au jarret. Ceux qui s’en dépêtrent piétinent et broient l’infanterie française qui les précédait. Mais n’a-t-on pas appris des désastres de Crécy ou Poitiers ? Il est vrai que ces combats ont eu lieu il y a cinquante ans déjà.

L’enfer sur terre : Azincourt, scène d’abattoir médiéval

À mi-côte, la moitié des chevaux sont tombés, entraînant dans leur chute les militaires empesés par leurs armures. Impossible de se relever. Leur masse compacte contribue à faire trébucher les nouveaux arrivants, les jetant dans la glaise au milieu du chaos. L’infanterie française, décimée par les sabots, commence à se débander. À quelques dizaines de mètres, les « Longbows » anglais, surexcités par le retournement de la bataille et par la perspective d’un pillage fructueux, plantent leurs arcs sur le sol détrempé et se ruent sur les malheureux nobles empêtrés. Brandissant leurs haches, leurs coutelas et leurs épées rouillées, ils entendent les ordres de leur roi qui leur commande de ne pas faire de quartier. Le carnage commence. Il va durer plusieurs heures.

Valérie Toureille, historienne de renom, s’est fait une spécialité de la violence au Moyen-Âge. Auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet difficile et peu enseigné, elle réussit le pari de nous angoisser pendant la lecture de son livre alors qu’on en connaît la fin dramatique. Elle ne se contente pas de nous décrire la pire bataille de l’histoire mais s’attarde avec beaucoup de précision sur les conséquences désastreuses de celle-ci pour les Français. Les traités qui s’ensuivent, humiliants, feront cependant naître un sentiment d’appartenance à une grande nation : la France. La résistance née de cette défaite – on pense à Jeanne d’Arc – mènera les Français à chasser lentement et sûrement les Anglais du pays, jusqu’à la bataille décisive de Castillon, le 17 juillet 1453, à l’issue de laquelle nos ennemis quitteront définitivement la France, mettant fin à la Guerre de Cent Ans.
Étonnamment, tout le monde se souvient d’Azincourt et peu ont retenu la victoire de Castillon.

Image de Chroniqueur : Renaud Martinez

Chroniqueur : Renaud Martinez

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