Temps de lecture approximatif : 4 minutes

Benoît Chervalier, Ce qu’attend l’Afrique, Éditions de L’Aube, 22/08/2025, 200 pages, 18 €

À l’heure où les cartes géopolitiques se redistribuent et où le continent africain s’affirme comme l’épicentre démographique du XXIe siècle, Benoît Chervalier déploie dans Ce qu’attend l’Afrique une fresque analytique d’une densité remarquable. Fort de vingt-cinq années d’expérience sur le terrain, l’auteur – ancien haut fonctionnaire devenu entrepreneur et enseignant à l’ESSEC – conjugue rigueur économique et sensibilité anthropologique pour saisir les mutations profondes d’un continent trop souvent réduit à des clichés. L’ouvrage s’ouvre sur cette interrogation fondamentale : “Qu’est-ce qu’un Africain ? Qu’est-ce qu’être africain ?”, révélant d’emblée la complexité d’un territoire qui contient “une variété de toutes les expériences humaines” et qui comptait 10 000 royaumes au milieu du XIXe siècle.

Cartographie des paradoxes continentaux

Benoît Chervalier orchestre une analyse kaléidoscopique où s’entrelacent économie, ressources naturelles, mutations démographiques, enjeux de souveraineté, diversité culturelle, histoire longue, industrialisation, diplomatie, relations Afrique-Europe, dynamiques technologiques et éducatives. Cette approche polyphonique révèle les tensions fécondes qui traversent le continent. L’auteur éclaire ainsi le paradoxe d’une Afrique qui “produit des fèves de cacao, mais ne fabrique pas de chocolat” et qui “extrait du cobalt et du lithium, mais n’est pas intégrée dans la construction des batteries électriques”. Cette dissociation entre extraction et transformation incarne le défi central que Benoît Chervalier identifie : basculer d’économies de rente vers des économies de transformation créatrices d’emplois.

Le prisme démographique illumine particulièrement l’analyse. L’auteur rappelle qu'”il naît chaque jour autant d’enfants au Nigeria qu’aux États-Unis et en Europe réunis”, soulignant l’ampleur vertigineuse des défis éducatifs à venir. Les systèmes éducatifs africains devront accueillir “170 millions d’enfants et adolescents supplémentaires dont environ 100 millions d’enfants non scolarisés” d’ici 2030, nécessitant “la construction de 9 millions de salles de classe et l’embauche de 11 millions d’enseignants”.

L'art du récit incarné

La force narrative de Benoît Chervalier réside dans sa capacité à tisser ensemble analyse macroéconomique et expérience vécue. Les anecdotes personnelles – du chauffeur de taxi ivoirien qui renonce au mariage faute de moyens, à la candidate tunisienne qui répond “Bah… Mes valises !” quand on lui demande comment préparer un voyage professionnel – ancrent les réflexions théoriques dans une réalité palpable. Cette approche confère au texte une qualité cinématographique où les statistiques prennent chair.

L’auteur manie avec finesse l’alternance entre périodes amples, chargées de données et d’analyses géopolitiques, et phrases courtes qui claquent comme des aphorismes : “La pirogue n’est jamais trop grande pour chavirer”. Ces proverbes africains, qui structurent les chapitres, fonctionnent comme des boussoles philosophiques guidant le lecteur à travers la complexité des enjeux abordés.

Résonances philosophiques et prospectives

L’ouvrage propose une vision philosophique du développement africain. Benoît Chervalier convoque le concept d'”authenticité” comme bien le plus précieux du continent, “ce sentiment de liberté indescriptible où les normes, les contraintes n’ont pas envahi la vie de tous les jours”. Cette tension entre modernisation nécessaire et préservation de l’âme africaine traverse l’ensemble du livre comme une basse continue.

La réflexion sur l’intelligence artificielle illustre cette dialectique. L’auteur explore comment le continent pourrait transformer ce défi technologique en opportunité, évoquant le parcours d’Instadeep, société tunisienne vendue 600 millions de dollars, symbole d’une Afrique qui innove et s’adapte. Parallèlement, il souligne les handicaps structurels – énergétiques, infrastructurels – qui risquent de creuser les écarts entre pays africains.

L'Europe et l'Afrique : destins entremêlés

Le chapitre consacré aux relations franco-africaines constitue un moment de bravoure analytique. Benoît Chervalier démontre l’affaiblissement de la connaissance française du continent, depuis le départ des derniers grands présidents, jusqu’à la normalisation bureaucratique incarnée par le déclassement du conseiller Afrique de l’Élysée. L’auteur formule cette proposition audacieuse : “L’Europe et l’Afrique veulent être souverains pour être libres et ils auront de plus en plus besoin l’un de l’autre pour se le permettre”.

Cette interdépendance stratégique, dans un contexte où “l’allié américain se mue en un concurrent, voire un adversaire”, ouvre des perspectives inédites pour repenser les partenariats euro-africains autour des enjeux de souveraineté énergétique, alimentaire et technologique.

Une œuvre-carrefour pour penser l'avenir

Ce qu’attend l’Afrique s’impose comme une contribution majeure à la compréhension des mutations continentales. L’auteur réussit le tour de force de conjuguer érudition économique, finesse géopolitique et sensibilité humaine pour dresser le portrait d’une Afrique plurielle, “des Afriques” comme il aime à le rappeler. L’ouvrage dialogue avec les travaux de Kako Nubukpo sur l’urgence africaine tout en apportant une perspective originale nourrie d’expérience entrepreneuriale et pédagogique.

La conclusion de l’auteur résonne comme un appel à l’action : “La seule réponse honnête pour relever ces défis se résume simplement en trois mots : engagement, conviction et espérance”. Cette trilogie dessine les contours d’une responsabilité partagée où Africains et Européens, confrontés aux bouleversements géopolitiques et technologiques du siècle, devront inventer ensemble de nouvelles formes de coopération. Benoît Chervalier offre ainsi aux décideurs, aux entrepreneurs et aux citoyens éclairés une boussole précieuse pour naviguer dans les eaux tumultueuses d’un monde en recomposition, où l’Afrique

Faire un don

Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.

Vous aimerez aussi

Voir plus d'articles dans la catégorie : Géopolitique

Comments are closed.