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Collectif, Dictionnaire critique de l’Église : notions et débats de sciences sociales, sous la direction de Frédéric Gabriel, Dominique Iogna-Prat, Alain Rauwel, PUF, 06/09/2023, 1 vol. (XLI-1425 p.), 39€.

Ne pas confondre théologie ecclésiale et phénomène ecclésial. Autrement dit, ne pas s’interroger sur « L’Église, que dis-tu de toi-même ? » comme y invitaient les pères du Concile Vatican II, mais plutôt réfléchir à ce que les sciences humaines et sociales pensent de l’Église aujourd’hui.
Telle est la raison d’être de ce Dictionnaire critique de l’Église, dirigée par Frédéric Gabriel, Dominique Iogna-Prat et Alain Rauwel. Une véritable somme, de 1450 pages, aboutissement d’un travail d’une dizaine d’années, auquel a collaboré une large équipe pluridisciplinaire d’historiens, de sociologues, d’anthropologues, de théologiens, de juristes, de philosophes et de littéraires.
Élaboré à partir d’un séminaire puis rédigé par soixante-dix-neuf chercheurs, l’ouvrage a ainsi été méthodiquement planifié pour exprimer la plus large palette de points de vue.
Du terme d’Absence à celui de Violence, quatre-vingt-trois entées ont été retenues. Certaines d’entre elles pouvaient être attendues comme Clergé, Institution, Esprit, ou Réforme, d’autres le sont bien moins telles que Émotions, Invisibilité, Savoirs et Matérialité qui contribuent à faire de ce dictionnaire un outil d’analyse des communautés ecclésiales comme espaces de réflexion sur les fondements du social, est-il précisé dans l’introduction.
« De sorte que les concepteurs du projet ont privilégié l’équilibre entre un état des questions distancié et un point de vue critique assumé, loin de toute revendication confessionnelle, mais en tenant compte des tiraillements polémiques entre différentes traditions. »

Une histoire religieuse éclairante

Une façon d’attester que profondément intégrée au cœur des sciences sociales, l’histoire religieuse démontre ainsi, combien elle peut puissamment éclairer la genèse des sociétés contemporaines, notamment celui de la laïcité.
Ce qui n’obère en rien le point de vue théologique abordé ça et là dans l’ouvrage comme dans le premier chapitre dévolu à l’absence.
Faisant référence à l’absence (sous la forme de la mort) qui permet et fonde l’Église, Frédéric Gabriel explicite comment l’Église en tant que construction discursive, parallèlement à sa dimension cultuelle est ancrée dans le cultuel.
« Non seulement elle est issue de son corps, mais elle est son corps, au sein duquel les différences ethniques ou sociales n’existent plus, elle révèle de nouveau une parenté divine vis-à-vis des fidèles qu’elle engendre, fidèles qui de leur côté la constituent comme étant ses pierres vivantes.« 
Si elle très différente du premier volet, la suivante intitulée Administration-Bureaucratie n’en est pas moins intéressante.
D’une part, par l’analyse fouillée de la gestion de l’institution ecclésiale selon les travaux de Max Weber. De l’autre surtout, grâce à l’évolution des pratiques administratives de l’Église ancienne à la lumière de l’exemple romain jusqu’à celle de l’Église contemporaine devenue par trop bureaucratique au point de ressembler à une ONG aux quinze maladies de la Curie romaine, comme l’a dénoncé le pape François.
Le même pape Argentin auquel un groupe de chercheurs fait référence dans un autre chapitre pour affronter la problématique de la centralisation.

Un prolifique dialogue entre sciences sociales et théologie

« Comme il l’a dit dans un discours à des catéchistes en 2013, suite à la tragédie de Lampedusa, François ne voulait pas favoriser des périphéries ecclésiales dominées contre le centre romain, il encourageait les fidèles d’un espace donné à aller vers l’extérieur (les marges de la paroisse, le quartier environnant), dans une démarche missionnaire à nuance sociale classique. »
Aussi éclectique que didactique, ce dictionnaire est également riche d’enseignements quand il aborde les concepts de Hiérarchie, d’Invisibilité ou d’Institution et plus encore la notion de Liberté.
À commencer par les réalités différentes que ce mot recouvre et l’idée même du libre arbitre qui donne à chaque être humain la possibilité d’accueillir ou de refuser le message du salut. De même pour ce qui a trait au vocable Religion, terme latin resémantisé par le christianisme qui oppose le simple recueil des textes et récits au respect scrupuleux des pratiques du culte. « Avec la particularité qu’apporte Thomas d’Aquin faisant de la religio à la fois une virtus et un donum : un don de la grâce divine, et une vertu s’intégrant dans le cadre des quatre vertus d’Aristote justice, force, prudence et tempérance) la religio devenant une sous-division de la justice en tant que devoir à remplir envers autrui ».
Après avoir remarquablement traité de la Vérité dans ses diverses nuances, notamment lors du procès de Jésus et la célèbre question de Pilate « Qu’est-ce que la vérité ? » le dictionnaire s’achève sur le terme de Violence lui aussi abordé sous maintes coutures, alternant l’ambivalence originelle de la violence religieuse à celle de la haine de l’ennemi.
Ajoutée à La bibliographie raisonnée – c’est le nom de la rubrique — qui clôt l’ouvrage et permet au lecteur de poursuivre sa curiosité sur les principaux livres d’ecclésiologie, ce Dictionnaire critique de l’Église illustre un parfait dialogue entre des sciences sociales conscientes de leur histoire conceptuelle et une théologie qui ne peut plus les ignorer.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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