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Christophe Gaillard, La glorieuse imposture, Éditions de l’Aire, 02/07/2021, 360 pages, 26,40 €

Nous avions, il y a peu, recensé la confrontation inattendue de deux géants des lettres et de la politique que furent Georges Bernanos et le Général de Gaulle dans Rencontre à la Boisserie.
Un ouvrage aussi pertinent par son contenu que par sa structure, qui n’a d’égal d’ailleurs que son précédent à la thématique bien distincte. Car, si Christophe Gaillard situe son récit deux siècles en amont, lors de la sombre période de la Révolution française, sa fiction attrayante autant que bien documentée, contribue à faire pénétrer le lecteur dans une part méconnue de l’histoire.
En ce temps bien nommé de La terreur, la violence répressive s’abattait aux quatre coins de Paris où, extraits des prisons de Bicêtre puis des Carmes, près de 1350 suppliciés furent guillotinés avant que les épurateurs ne jettent leur dévolu sur la geôle de Saint-Lazare.
Une folle tuerie de masse qui n’était pas sans s’interroger, comme le souligne l’auteur dès les premiers chapitres.

Mais que s’était-il donc passé depuis cinq ans pour que la haine de soi traversât ainsi une des républiques de plus haute civilisation qui eût jamais existé ? Au point qu’une folie criminelle aveugle frappait les provinces de France et érigeait les massacres en devoir où il n’y avait d’autre injonction sacrée que de se tuer les uns les autres.

Inique sentence

Dans cet enfer sanguinaire, comment espérer survivre pour ceux qui par une raison connue de leurs seuls iniques censeurs avaient été emprisonnés ? Prêtres, petits nobles, gros marchands et robins, tous ceux qualifiés d’honnêtes gens dans l’insolence du vieux régime, tenaient lieu de victimes privilégiées.
Mais par-delà celles-ci pourquoi livrer au même sort les poètes ? Tous ces épris d’humanisme et d’élégie qui à l’instar de Montaigne, Montesquieu et autres La Rochefoucauld, ne prônaient que justice et beauté.
Ce sera la raison d’être de La glorieuse imposture, remarquable récit fictionnel où Christophe Gaillard va s’attacher à décrire les derniers jours d’un des plus célèbres d’entre eux, André Chénier, depuis son emprisonnement le 7 mars 1794 jusqu’à son exécution, le 7 thermidor de l’an II soit le 25 juillet 1794.
Isolé dans la cellule de Saint-Lazare, ce dernier avait du mal à comprendre les motifs de son incarcération. Défenseur des idéaux de la Révolution, bien qu’hostile aux excès de la Terreur et aux Jacobins, il avait certes contesté le pouvoir en place, notamment par ses articles dans le Journal de Paris, pouvant être considérés comme contre-révolutionnaires, mais méritait-il pour autant le couperet ?
C’était sans compter sur la vindicte partisane et l’arbitraire qui régnait alors en maître, comme en témoigne cet éloquent dialogue entre Robespierre et Saint-Just relaté par l’auteur.

– Que fais-tu des poètes ? – Je te l’ai lu, ils sont dans le dixième chapitre de mes Institutions. Ils feront des hymnes qu’on leur commandera le premier jour de chaque mois, en l’honneur de l’Éternel et des bons citoyens comme le voulait Platon. Le Ier de germinal, ils célébreront la nature ; en floréal, l’Amour et les époux ; en pluviôse, le travail et en ventôse, les amis. – Robespierre, (qui applaudit) : C’est parfait, parfaitement réglé. Malheur à celui que les vertus patriotiques n’enflamment pas. L’inspiration ou la mort !

Plébiscité par ses contemporains

Et tandis  qu’il suffoquait dans son cachot de Saint-Lazare, il revit les étapes de son passé. Ses premiers amours avec une fille de fermiers, ses frasques en Angleterre en une période où la liberté de mœurs et une espèce de folie érotique s’emparaient de toute l’Europe. Ces temps de liberté des corps, prégnants de regards, de baisers, de gémissements, de verges d’osier souple, qui abonderont dans maints poèmes de l’époque.
Tout un passé nostalgique, qui paradoxalement se pérennisait dans la prison de Saint-Lazare par la présence d’autres artistes qui réussissaient à transformer leur lugubre détention en œuvres d’art.

Des poètes, des peintres, des graveurs partageant de longs mois de solitude, qui malgré le couperet suspendu sur leur tête ne cessaient de célébrer l'amitié, la beauté, faisant de ces terribles journées une aurore d’espérance.

C’est tout ce monde-là que Christophe Gaillard va nous inviter à rencontrer.
Sous sa plume aussi vivace que caustique, défileront les figures de du Marquis de Sade, de l’ami poète Roucher, et de la jeune duchesse Beauvilliers-Saint-Aignan ainsi que de l’abbesse de Montmartre lesquelles se côtoieront avec grand respect.
En dépit de rumeurs d’une éventuelle libération, soixante-quatorze prisonniers de Saint-Lazare seront exécutés les 6, 7, et 8 thermidor.
André Chénier fut du nombre, et si son œuvre est hélas peu ou à peine étudié dans les lycées ou à l’université, elle fit pourtant grandement école pour ses proches contemporains.
Dans l’épilogue d’un ouvrage aussi richement documenté qu’élégamment écrit, Christophe Gaillard le confirme en détail :

Lamartine avait fait des poèmes de Chénier son livre de chevet. Vigny s’inspira de vie pour écrire un roman. Musset l’imita dans une nouvelle en vers. Balzac le célébra comme le poète de sa génération au début d’Illusions perdues. Jusqu’à Hugo qui déclara avec enthousiasme qu’après l’avoir lu on n’avait plus rien à dire.

C’est déplorer ainsi toute la perte d’un brillant poète de trente-deux ans, sacrifié sur l’autel des vils sicaires de la Terreur.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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