Pape François, Espère, Traduit de l’italien par Françoise Bouillot et Samuel Sfez, Albin Michel, 15/01/2025, 400 pages, 22,90€
Espère. Cette première autobiographie écrite par un pape en exercice ne devait en principe être publiée qu’après la mort de François. Mais « les exigences du temps », comme l’affirme son éditeur italien et davantage encore, le jubilé de l’Année sainte 2025 ont incité l’évêque de Rome a donné son imprimatur.
Des Mémoires rédigées avec un co-auteur, Carlo Musso, mais libellées à la première personne, ce qui les distingue de l’autobiographie parue en 2024, Vivre, sous forme d’un dialogue avec le journaliste italien Fabio Marchese Ragona aux éditions Harper Collins.
Une différence d’importance en réalité, car si le récit est plus ou moins le fruit de conversations établies avec son éditeur, il procède d’un éclairage très personnel.
En témoigne d’emblée, l’évocation du naufrage du Principessa-Mafalda, le Titanic italien en 1927, bateau à bord duquel les grands-parents et le père de Jorge Bergoglio auraient dû embarquer s’ils avaient pu vendre leurs biens à temps.
C’est à ce contretemps que l’actuel pape doit être vivant aujourd’hui, explique-t-il dans le prologue, en remerciant la divine providence. Une anecdote liée à l’immigration de milliers de démunis italiens à l’orée du XX° siècle qui explicite les dures conditions auxquelles sa famille fut confrontée, comme lors de leur arrivée au sordide Hôtel de Inmigrantes.
L’odeur âcre de l’acide phénique ne parvient pas à masquer l’écœurante puanteur qui émane du sol sale et visqueux, des vieilles cloisons en bois, des portes ouvertes ; une odeur d’humanité entassée, de misères. Plus haut, des noms, des mots d’amour, des jurons des obscénités gravés sur les tables portent les traces vivantes de ce douloureux passage : la trace des âmes.
« Pourquoi eux et pas moi ? »
Grandi dans le quartier de Flores, un lieu populaire où se concentreront plus tard d’insalubres bidonvilles, l’enfant Bergoglio témoigne d’un regard lucide auprès des personnes qu’il côtoie. De la femme de ménage à la prostituée du quartier, en passant par ses copains de classe, ses amours d’enfance ou encore les victimes de la dictature dans cette mégapole argentine où il est né, a grandi et a passé l’essentiel de sa vie, l’adolescent puis l’étudiant se souviendront à quel point, ces diverses rencontres ont marqué sa jeunesse et influencé par la suite ses prises de position et sa gouvernance.
C’est en partie pour cette raison que, bien des décennies après, j’ai choisi pour mon premier déplacement pontifical de me rendre à Lampedusa. Je n’avais pas prévu ce voyage, mais je devais l’accomplir. Moi aussi, j’étais issu d’une famille de migrants. Moi aussi, j’aurais pu me retrouver parmi les exclus d’aujourd’hui, à tel point que mon cœur abrite toujours cette question pourquoi eux et pas moi ?
Cette parenthèse refermée sur l’absurdité de la guerre et ses origines, – à savoir les fausses promesses de populismes fondées sur la peur, et avant tout sur la peur de l’autre, le pape François va exalter les vertus de sa parenté, notamment celles de sa grand-mère Rosa.
Les notions de respect, d’attention à l’autre quelque différent qu’il soit, le jeune Bergoglio les gardera gravés à jamais. À commencer par la répétition des mots de « merci », « s’il te plaît » et de « pardon », termes du commun s’il en est, mais qui, bien que difficiles à exprimer, notamment pour le dernier, sont d’une puissance insoupçonnée.
Puisées dans le même barrio de Flores, les références au monde de l’école, des associations caritatives ou de l’environnement paroissial sont aussi simplistes que touchantes.
C’est de ces racines profondes, de ces souvenirs affectueux, que naîtront ses liens inextinguibles avec la religiosité populaire.
Savoir perdre est une sagesse
Dans ce kaléidoscope d’ethnies et de métiers et de loisirs où le football tient une place privilégiée, on se plaît ainsi à suivre les joies simples du jeune porteno dans les travées du stade de San Lorenzo et ses promenades dans les rues et les places où l’on dégustait les pizzas comme à bord du métro qui faisaient de lui, comme il l’indique, « un citadin dans l’âme ».
Suivent maintes confidences à cet égard, dont la plus inattendue est celle sur le tango. À l’instar de Borges, nombre d’auteurs célèbres ont écrit sur cette musique, et le futur pape se souvient de l’air d’un poète jésuite argentin : « Saber perder es la sabiduria » – Savoir perdre est une sagesse — d’un bel enseignement théologique.
Telle qu’il l’exprime, sa définition du tango ravira les béotiens comme les spécialistes.
Le tango peut être tragique mais jamais pessimiste, parce qu’il reflète le tourment et l’élan, à la fois la nostalgie et l’espérance. Il offre un passé à qui n’en a pas et un avenir à qui ne l’espère pas. Un beau tango sait faire danser, même le silence.
Propos étonnants et non moins sincères de la part d’un pape qui depuis le Vatican ne passe jamais une semaine sans téléphoner à ses connaissances argentines et aux divers curés des bidonvilles pleinement investis auprès des démunis et des drogués.
À l’aune de ce long itinéraire d’enfant puis de jeune homme, on comprend mieux comment s’est forgée sa personnalité.
« Une oreille pour écouter la parole de Dieu, une oreille pour écouter le peuple ». François dit que cette phrase, confiée par un évêque argentin victime de la dictature, lui a servi de maxime. Cela pourrait résumer ce livre par les anecdotes foisonnantes de personnages évoqués tout au long du récit.
Parmi celles-ci, on retiendra tout particulièrement celle des deux sœurs prostituées connues de tout le quartier populaire dans lequel il vivait gamin à Buenos Aires. Alors que Jorge Bergoglio, est devenu évêque, l’une des deux, surnommée la Porota, l’appelle : « J’ai changé, lui dit-elle, maintenant je veux prendre soin des corps qui n’intéressent personne, je donne des bains aux petits vieux. »
Élu cardinal, François sera à nouveau sollicité par la Porota pour une confession collective de toutes ses copines. Elle l’appellera une dernière fois pour recevoir l’extrême-onction. Aujourd’hui encore, écrit le pape, « le jour anniversaire de sa mort, je prie pour elle. »
Pour les femmes et contre le traditionalisme
Devenu prêtre un peu contre le désir de sa mère qui aurait souhaité le voir poursuivre des études de médecine, François s’attardera longuement sur ces années de noviciat et les difficultés qui en résultèrent lorsqu’il fut nommé supérieur provincial des Jésuites à trente-six ans, le plus jeune à avoir occupé cette charge en Argentine.
Mêlant l’intime à la (géo)politique, le souverain pontife ne cessera de puiser dans son histoire personnelle pour éclairer les grandes orientations de son pontificat.
Après le récit du conclave, dont il n’avait jamais imaginé que le résultat pourrait le concerner, le pape François défend les réformes qu’il a menées au Vatican, notamment sur la place des femmes.
Le tango peut être tragique mais jamais pessimiste, parce qu’il reflète le tourment et l’élan, à la fois la nostalgie et l’espérance. Il offre un passé à qui n’en a pas et un avenir à qui ne l’espère pas. Un beau tango sait faire danser, même le silence.
S’il autorise par ailleurs la messe en latin, François se dresse contre toutes formes de traditionalisme, où la liturgie devient idéologie et rigidité qui s’accompagne de toilettes recherchées et coûteuses, de dentelles, de rubans, de chasubles. À cet égard, le pape argentin ne mâche pas ses mots.
Les chrétiens ne sont pas ceux qui retournent en arrière. Ou encore, l'Église ne peut pas être la congrégation du bon temps passé qui, comme le rappelle un penseur français, Michel Serres, est bien fini et n'était pas forcément aussi beau qu'on se l'imagine.
Après avoir évoqué ses divers déplacements au Proche-Orient, à Mossoul particulièrement, et « exhorté les grandes puissances à la raison et à la sagesse, plutôt qu’au langage des guerres », François profite même de cette autobiographie pour le rituel de ses fins dernières.
En soulignant que le Vatican est la maison de son dernier service, pas celle de l’éternité, il souhaite être enterré à la basilique Sainte Marie Majeure plutôt qu’à Saint Pierre.
Avec certes, des funérailles dignes, mais comme n'importe quel chrétien : car l'évêque de Rome est un pasteur et un disciple, il ne fait pas partie des puissants de ce monde, précise-t-il.
Voilà toute l’humilité d’un pape baptisé à l’égal de chaque chrétien, qui se sachant pêcheur se confesse tous les quinze jours, conscient que la miséricorde de Dieu est seule capable d’ouvrir le cœur des affligés à l’espérance.
C’est d’une certaine manière la raison d’être de cette autobiographie résumée dans son intitulé. Car espérer ne signifie pas être des optimistes naïfs qui ignorent le drame des maux de l’humanité, comme il le souligne dans les dernières pages de l’ouvrage.
Espère est la vertu d’un cœur qui ne s’enferme pas dans le noir, qui ne s’arrête pas au passé, ne vivote pas dans le présent, mais qui sait voir de manière lucide le lendemain. Pour nous chrétiens, l’avenir a un nom, et ce nom est l’espérance.
![Image de Chroniqueur : Michel Bolasell](https://marenostrum.pm/wp-content/uploads/2021/07/Ph-M.-Bolasell-300x300.jpg)
Chroniqueur : Michel Bolasell
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.