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De l’indépendance à George Floyd : la race aux États-Unis

Denis Lacorne, De la race en Amérique, Gallimard, 06/03/2025, 240 pages, 21€

Dans un livre au type éponyme paru en 2008 aux éditions Grasset, Barak Obama évoquait l’absolue nécessité d’aller au-delà des clivages raciaux en occultant les contentieux existants pour inciter l’ensemble des citoyens à œuvrer, ensemble, au développement de la belle Amérique. Un argument qui devrait, dans un monde idéal, trouver écho dans une France où le communautarisme, la peur et la stigmatisation de l’autre deviennent de plus en plus légion, en dépit de ses principes qui la font rayonner comme le pays des Droits de l’Homme.
S’il rejoint sur le principe l’idéal utopique de l’ancien président des États-Unis, l’ouvrage de Denis Lacorne, De la race en Amérique, est bien moins optimiste. En se référant simplement à la manière dont s’est construite dans ce grand pays l’obsession la plus durable, à savoir celle de la race, de la peur du métissage, voire du grand remplacement.
C’est dire si à l’heure où le phénomène du wokisme est la cible des fureurs trumpistes, masquant mal les réalités persistantes de la question raciale, l’ouvrage de Denis Lacorne paraît à point nommé.

Une contradiction originelle

Écrit dans un style fluide, habité d’un constant souci de la nuance, l’essai du politologue français, fin connaisseur des États-Unis comme en attestent ses précédents livres : L’invention de l’Amérique ; La crise de l’identité Américaine ou encore La religion en Amérique, offre une synthèse efficace sur l’histoire complexe de ce mot et, surtout, des vifs débats qu’il a suscités depuis la guerre d’indépendance au XVIIIe siècle. En neuf chapitres éclairants, l’auteur mène une réflexion captivante sur les débuts de la démocratie américaine et l’écart entre les valeurs énoncées et celles qui ont été mises en application, notamment l’égalité dont la nature, dans le cas américain, pose question, tel que souligné dans l’avant-propos.

La hiérarchie américaine des races, sédimentée au XIX° siècle par l’influence du racisme scientifique est en fait indissociable des origines mêmes de la nation. Ces origines reposant sur une contradiction fondamentale ; la défense et le maintien de l’esclavage, en particulier dans les États du Sud, malgré la célébration des principes émancipateurs inscrits dès 1776 dans la déclaration d’indépendance.

Car, bien que les pères fondateurs aient proclamé haut et fort que tous les hommes sont créés égaux, les trois premiers présidents des États-Unis, Washington, Jefferson et Madison n’en étaient pas moins des grands propriétaires d’esclaves. Et si la guerre de Sécession a finalement entraîné l’abolition, les États du Sud, Ku Klux Klan en tête, ont répliqué en instaurant l’apartheid. Certes, après la victoire des droits civiques sous la présidence de Lyndon Johnson, on a, un temps, pu croire cette ségrégation terminée. Mais le meurtre de George Floyd perpétré en 2020 par des policiers de Minneapolis, et les immenses manifestations qui ont suivi ont démontré à quel point les États-Unis restaient malades de la race.

« Les races sont là pour durer ! »

Un volet que Denis Lacorne ne limite d’ailleurs pas à la question noire.

Certes, la mise en place de la ségrégation légale dans les États du sud du pays, jusque dans les années 1960, a beaucoup contribué à entretenir l’image d’une opposition binaire entre Blancs et Noirs structurant la société américaine. Mais si cette vision n’est assurément pas dénuée de fondements, elle laisse dans l’oubli d’autres minorités dont le poids démographique va croissant, notamment les populations d’origine mexicaine, qui concentrent aujourd’hui l’hostilité de la nouvelle administration.

Le constat qui ressort de récentes études n’en reste pas moins inquiétant. En Amérique, la peur de l’autre n’a cessé de changer de cibles au rythme des immigrations, nourrie par la hantise lancinante de l’effacement de la race blanche au profit de nouveaux arrivants jugés inassimilables. 
Et bien que de plus en plus d’Américains s’identifient aujourd’hui comme des métis aux appartenances plurielles, plutôt que comme des membres d’une seule communauté, l’auteur ne se berce pas d’illusions. « Les races sont là pour durer tant que le racisme existe. » De sorte que si la déracialisation a bien cours, elle demeure un processus lent qui coexiste avec des formes renouvelées de conscience raciale. 
C’est dire toute l’importance de cet ouvrage qui offre au lecteur une précieuse boussole en ces temps plus que troublés de sectarisme et d’inhumanité.

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