Charles-Éloi Vial, Talleyrand. La puissance de l’équilibre, Perrin, 07/05/2025, 256 pages, 25€
Parlons tout d’abord du livre en lui-même : huit cents grammes de belles pages d’excellente qualité dans un grand format, le tout agrémenté d’une riche iconographie rendant le texte agréable à lire.
Ensuite, laissez-moi vous présenter l’auteur : Charles-Eloi Vial. Historien, bibliothécaire, archiviste et conservateur à la Bibliothèque nationale de France ; excusez du peu ! L’écrivain n’en est pas à sa première cartouche. Il a en effet écrit de nombreux ouvrages, dont une grande partie est orientée vers l’histoire de la Révolution française, du Consulat et de l’Empire. Fort de cette expérience malgré son jeune âge, l’homme nous présente, non pas sous un nouveau jour mais bien en expurgeant la longue vie du personnage qu’on adore détester, une biographie du « Diable Boiteux ».
Une énième biographie, me direz-vous ? Détrompez-vous. Par la justesse de son propos, par l’approche qui en est faite, Charles-Eloi Vial nous expose de manière fluide et concise la vie semée de contradiction de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.
Une jeunesse de frustration
Bien qu’issus d’une prestigieuse famille française trouvant leur origine avec l’ascension de Hugues Capet, les Talleyrand-Périgord ne nagent pas dans l’entourage des nantis de la cour, flirtant du mauvais côté de la frontière qui sépare les infatués et les hobereaux en 1754, année au cours de laquelle naît le petit Charles-Maurice.
Il est pourvu d’un joli visage et de manières qui profilent sa future personnalité mais il est malheureusement affublé d’un pied bot. Cet handicap, souvent savamment dissimulé dans les nombreux tableaux le représentant ne joue pas en faveur d’une enfance heureuse. De plus, ses parents, ne sachant où placer leur rejeton, décident d’en faire un homme d’Église. Contre son gré, écumant d’une rage longtemps contenue, le jeune homme se prépare à entrer dans la prêtrise, appuyé en cela par l’entourage de la famille, toujours désireuse de rendre service.
Charles-Maurice ne pardonnera jamais au destin de l’avoir placé sur cette voie et il s’évertuera toute sa vie à détourner l’implacable fatalité qu’il porte sur son dos.
Soutane noire, habit rouge
Entré à reculons dans le monde de la Foi, notre homme gravit, grâce à de puissants pistons, les marches de la hiérarchie religieuse. L’argent et les privilèges coulant à robinets ouverts, Charles-Maurice est nommé évêque d’Autun, non sans avoir, au cours de son ascension, picoré à droite et à gauche aux délices du péché de la chair. En 1785, l’une de ses nombreuses conquêtes met au monde un enfant prénommé Charles de Flahaut. Bientôt, l’un et l’autre se serviront de leur parenté pour s’accrocher au pouvoir en place. En effet, son fils deviendra l’amant d’Hortense de Beauharnais qui lui donnera un enfant, le demi-frère du futur Napoléon III.
Au lendemain de la prise de la Bastille, Talleyrand, qui a été élu comme député du clergé aux états généraux, amorce son irrésistible grimpette vers les arcanes de la diplomatie, dont il s’avère bientôt en être le maître. Ses décisions personnelles, toujours judicieusement prises lui permettent de louvoyer afin de se placer comme le chantre de la Providence. Siégeant au côté du Tiers État, il est l’un des principaux acteurs du serment du Jeu de paume et de l’abolition des privilèges.
Incertitude pendant la Révolution
Chaque révolution emporte tout sur son passage. Talleyrand, dont la place dans la société est désormais acquise, n’entend pas être dépossédé de cette vie enrichissante, tant financière qu’intellectuelle, dans laquelle il se prélasse. Pour cela, il est prêt à tout pour maintenir son train de vie et pourquoi pas l’accroître au passage. Entrant comme député de la Constituante, il est bientôt nommé président grâce à son entregent. Il n’y restera pas assez longtemps pour être inquiété par les explosions de violence qui ponctuent les sinistres épisodes de la Révolution.
Après avoir occupé divers postes de haute volée, il pense à juste titre faire bientôt partie de la prochaine charrette. En effet, un évêque défroqué issu de la noblesse, cela fait mauvais effet pour le Comité de salut public, avide de nouvelles têtes à placer sous le couperet de la guillotine. Talleyrand, non sans avoir placé les pions de son futur retour, fuit en Amérique le temps de laisser les Jacobins s’entretuer. Il ne reviendra qu’en 1796.
L’indispensable
De retour en France sous le Directoire, Charles-Maurice tire de nouveau les ficelles de ses connaissances jusqu’à se faire nommer ministre des affaires étrangères. À ce poste, il va accomplir des prouesses de diplomatie et ceci pour deux raisons. La première servira à redonner à la France la place qui lui revient dans le monde, en caressant dans le sens du poil les puissances étrangères, en ne rompant pas avec la noblesse française exilée et en prenant les bonnes décisions le rendant indispensable aux Directeurs gouvernant mal, il est vrai, le pays.
La seconde raison est beaucoup plus prosaïque. En contribuant à la stabilité post-terreur, il peut de nouveau faire couler les devises dans sa poche.
Un général ténébreux et inconnu fait à ce moment son apparition. Intelligent, fougueux mais patient, Napoléon Bonaparte partage sûrement les mêmes projets que Talleyrand mais lui possède le charisme suffisant pour les réaliser. Charles-Maurice le sent confusément et décide de devenir le serviteur primordial du futur consul.
Son visage, désormais immortalisé dans les portraits, suggère une personnalité narquoise et suffisante qui était à coup sûr la sienne. Bien qu’il répugne au Corse de s’adjoindre un tel serpent, il sait bien que celui-ci peut servir en toutes choses son ambition.
Un traître ?
Artisan du retour précipité de Bonaparte d’Égypte et du coup d’état qui mène ce dernier au pouvoir après le 18 brumaire, Talleyrand se pose là en cheville ouvrière du Consulat. Présent à tous les conseils, protagoniste des grandes décisions, le « diable boiteux » tire la couverture à lui et prépare au plus profond de son cerveau les bouleversements à venir. Changeant secrètement de chemise à chaque ordre du Consul, il pousse celui-ci à l’Empire, à la répudiation de Joséphine, aux diverses déclarations de guerre, sans omettre l’exécution scandaleuse du duc d’Enghien.
Son attitude louvoyante, son rictus condescendant et ses amis proches aux idées dangereuses ont raison de la patience de Napoléon qui le rabroue de plus en plus lorsqu’il ne le traite pas en public de « merde dans un bas de soi ». Dès lors, Talleyrand n’a plus qu’une idée en tête : perdre le maître de l’Europe. Il va y mettre toute sa haine jusqu’à parvenir, au terme d’un long combat dans l’ombre, à mettre l’empereur à genoux. Il lui faut maintenant composer avec le roi, revenu dans les bagages des ennemis, malgré les nombreuses casseroles qu’il traîne au derrière.
Un survivant ?
Si on peut reprocher à Talleyrand d’avoir trahi ceux qui l’ont fait accéder aux plus hautes responsabilités, on ne peut, sans faire usage de la plus grande des mauvaises fois, dénoncer son incroyable capacité à retomber sur ses pattes. Bientôt, grâce à ces comédies dont il est le digne représentant, il arrivera à se faire une place au soleil sous la Restauration.
Si son décès va rassurer de nombreux survivants de cette période de notre histoire riche en évènements, il n’en laissera pas moins, pour certains, le souvenir un personnage emblématique de la Révolution et de l’Empire. Lisez le livre. Vous jugerez par vous-mêmes.

Chroniqueur : Renaud Martinez
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