Jiddu Krishnamurti (1895-1986) est un gourou, mais dans son véritable sens, c’est-à-dire celui d’enseignant, de Maître spirituel ou de guide. Il n’est pas l’homme qui a dirigé une secte ou rassemblé des milliers de disciples autour de lui. Il est l’antithèse d’un Osho (1931-1990) dont la platitude et la stupidité de l’enseignement furent à la hauteur de sa collection de Rolls Royce, et des multiples scandales qu’il a causés. L’itinéraire spirituel de Krishnamurti est celui d’un jeune hindou que la Société théosophique d’Annie Besant a tenté – à la fin des années 1920 – de nous imposer comme « futur instructeur du monde » et « nouveau Messie ». Un avatar du Bouddha dans la lignée du Christ et de la prétendue hiérarchie occulte des grands initiés qui dirigeaient alors le monde. À cette époque-là, il y avait suffisamment de benêts pour y croire et leurs descendants œuvreront dans les mouvements de contre-culture. Afin de rassembler les oboles, on lui a même créé une organisation sur mesure : « L’Ordre de l’Étoile d’Orient ». Hélas, en 1929, stupeur ! Il pousse un cri de libération et décide de devenir un « homme ordinaire ». Le futur Messie va échapper à ses créateurs et, dans le discours devenu célèbre qui va être au cœur de son futur enseignement, il déclare, devant des milliers de fidèles et à la radio : « La Vérité est un pays sans chemins, que l’on ne peut atteindre par aucune route, quelle qu’elle soit : aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue : et je le maintiens d’une façon absolue et inconditionnelle. La vérité, étant illimitée, inconditionnée, inapprochable par quelque sentier que ce soit, ne peut pas être organisée […] Si on l’organise, elle devient une religion, une secte, une chose cristallisée, morte, que l’on impose à d’autres. C’est ce que tout le monde essaie de faire. La Vérité est ainsi rétrécie et transformée en un jouet pour les faibles. La Vérité ne peut pas être rabaissée au niveau de l’individu, mais c’est bien plutôt l’individu qui doit faire l’effort de s’élever jusqu’à elle. » Annie Besant est effondrée. Son rêve de de domination spirituelle par le biais de Krishnamurti s’achève, surtout lorsqu’il écrit : « Nous avons inventé Dieu. La pensée a inventé Dieu, c’est-à-dire nous, dans notre détresse, dans notre désespoir, notre solitude et notre anxiété, nous avons appelé cette chose appelée Dieu. Dieu ne nous a pas fait à son image – j’aimerais que ce soit le cas. Personnellement je n’ai aucune croyance vis-à-vis de quoi que ce soit […] Si vous êtes libres de la peur, de la tristesse, vous n’avez besoin d’aucun Dieu […] Il n’y a pas de résurrection, c’est là une superstition, une croyance dogmatique. Tout ce qui existe sur cette terre, cette merveilleuse terre, vit, meurt, prend forme, puis se fane et disparaît. »
Au sein de l’œuvre immense du « gourou » et de ses ouvrages de référence, « Le Dernier journal de Krishnamurti » est singulier, car il est dicté dans la solitude et à l’aide d’un magnétophone. À chaque page, il s’adresse à lui-même. Si j’ai un modeste conseil : c’est de commencer ce petit livre par le dernier chapitre et sa médiation du 30 mars 1984, sur une feuille morte qu’il découvre à ses pieds. Il dit : « On tue à la guerre au nom de tant d’idéologies romantiques, nationalistes ou politiques. Nous avons tué des hommes au nom de Dieu. La violence et la tuerie vont de pair. Et devant cette feuille morte dans toute sa beauté, sa couleur, peut-être pourrions-nous être conscients au plus profond de nous-mêmes, saisir ce que doit être notre propre mort, non pas à la fin ultime, mais au tout début de notre vie. La mort n’est pas une chose horrible, une chose à éviter, à différer, mais plutôt une compagne de chaque jour. De cette perception naît alors un sens extraordinaire de l’immensité. » C’est à croire, qu’en l’espace d’une méditation et grâce à cette feuille morte, le grand maître Indien est entré en communion spirituelle avec l’écrivain et poète Maurice Magre (1877-1941), qui – dans son dernier recueil de poèmes, « Le Parc des rossignols » (1940) – nous a laissé un très beau poème similaire : « Les larmes de la feuille de saule ».
À l’heure où la pandémie mondiale nous affecte et nous laisse augurer une chute des civilisations, plus que jamais le philosophe et poète Krishnamurti devrait être – tout comme Henry Thoreau et Ramana Maharshi – au cœur de notre existence : « Si l’homme ne change pas radicalement, s’il n’introduit pas une mutation en lui, non pas à travers Dieu ou des prières – tout ceci est trop puéril, trop immature –, nous nous détruisons nous-même. Une révolution psychologique est possible aujourd’hui, pas dans mille ans. » Cette mutation, nous la trouvons à chaque page du « Dernier Journal » de Krishnamurti, un ouvrage indispensable qui se glisse aisément dans une poche et appelle à établir une relation profonde et durable avec la nature et ce que nous sommes réellement : une future feuille morte qui va bientôt se détacher de l’arbre de la vie…
Jean-Jacques BEDU
contact@marenostrum.pm
Krishnamurti, Jiddu, « Dernier journal », Desclée De Brouwer, « Poche – Les carnets DDB », 04/11/2020, 1 vol. (195 p.), 7,90€.
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