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Destin féminin et violence du monde dans le roman « L’espoir »

Dunya Reiwald, L’espoir, 15/09/2025, Ed. 5 Sens, 396 pages, 24€

Certains livres se lisent comme on traverse une fièvre. L’espoir de Dunya Reiwald est de ceux-là : un roman urgent, imparfait et vibrant, qui juxtapose la guerre cellulaire d’une leucémie et les guérillas oubliées du Sud global. Une œuvre qui interroge, sans concession, le prix à payer pour rester vivant.

L’architecture de la double violence

Contrairement aux récits linéaires classiques, Dunya Reiwald impose d’emblée une structure en miroir brisé. Le roman débute non sur le confort ou l’intime, mais sur le chaos extérieur : la chaleur écrasante d’une manifestation qui tourne au carnage, introduisant la figure de Juan avant même celle de Julie. Ce choix narratif pose d’emblée le postulat que la violence intime sera toujours l’écho d’une brutalité plus vaste.

Dunya Reiwald, forte de son bagage scientifique, observe les mécanismes de destruction. Cependant, elle abandonne ici le rapport purement médical pour toucher à une écriture de la sensation brute. Si la rigueur scientifique affleure dans la description de la maladie, elle sert avant tout de support à une réflexion métaphysique : comment habiter un corps – ou un pays – qui cherche à vous expulser ?

Julie : la trajectoire du "taureau"

Au cœur du dispositif se trouve Julie. Son parcours est celui d’une érosion et d’une reconstruction permanente. Fuyant la toxicité d’une mère alcoolique et manipulatrice à Paris, elle croit trouver refuge en Suisse, ce pays de carte postale qui ne sera pour elle que le théâtre d’une nouvelle claustration : celle de la chambre stérile.

Dunya Reiwald décrit la « bulle plastifiée » de l’hôpital, non comme un lieu de soin, mais comme une zone de guerre psychique. C’est là, dans cette privation sensorielle absolue, que Julie forge sa résistance. Refusant la posture de victime passive, elle développe une obstination farouche. L’image de la jeune femme marchant « la tête baissée comme un taureau prêt à enfoncer une porte » illustre parfaitement cette énergie du désespoir qui traverse le livre. Julie n’est pas une héroïne romantique ; c’est un organisme qui lutte pour ne pas s’éteindre, quitte à commettre des erreurs, à s’égarer dans des relations pansements ou à poursuivre des chimères amoureuses.

L’ombre portée du Tombar : une géopolitique émotionnelle

En contrepoint de cette lutte cellulaire, le roman déploie le destin de Juan. Révolutionnaire charismatique et tourmenté, il incarne l’autre versant de la souffrance : celle qui naît de la lucidité politique. À travers lui, Dunya Reiwald évoque le « Tombar », île fictive de l’Océan Indien qui fonctionne comme une allégorie transparente des conflits d’autonomie (rappelant inévitablement le Timor ou les luttes contre l’hégémonie indonésienne).

Le texte se fait ici tribune, dénonçant sans filtre le chantage terrifiant du développement économique imposé par les grandes puissances. Les discours sur le néo-colonialisme, tenus dans les salles obscures de comités fribourgeois ou les geôles pakistanaises, pourraient alourdir le récit. Ils lui donnent au contraire son armature éthique. La trahison des idéaux, la violence des milices et la lâcheté internationale ne sont pas des décors : ce sont les murs contre lesquels Juan et ses compagnons se fracassent, tout comme Julie se fracasse contre la maladie.

Une prose de l’urgence et de l’imperfection

Dunya Reiwald ne cherche pas la « belle phrase ». Son écriture est une matière vivante, parfois rugueuse, qui privilégie l’impact à l’élégance formelle. Elle capture les atmosphères avec une acuité sensorielle notable : la puanteur des cellules, la lumière aveuglante des déserts, ou le froid pénétrant des côtes bretonnes où Julie tente de reprendre souffle.

Si le roman frôle parfois le manichéisme dans sa représentation des figures d’autorité (la mère tyrannique, certains médecins ou agents politiques), cette radicalité sert le propos : nous sommes dans la subjectivité écorchée des personnages. Dunya Reiwald parvient à rendre palpable l’attente, ce temps suspendu de l’angoisse, que ce soit en attendant les résultats d’une analyse sanguine ou des nouvelles du front.

La vie comme acte de résistance

L’espoir n’est pas un livre sur la guérison ou la victoire politique, mais sur l’entêtement. Il met en scène des êtres qui, selon la formule de Malraux placée en épigraphe, trouvent dans l’espoir leur « raison de vivre et de mourir ». Sans promettre des lendemains qui chantent, Dunya Reiwald nous livre un récit sur la capacité d’endurance.

Que ce soit Juan disparaissant dans les méandres de son engagement ou Julie affrontant l’inconnu de sa convalescence, tous deux illustrent une même vérité : l’innocence est la première victime de la vie, mais la volonté est sa dernière forteresse.

Avec L’espoir, Dunya Reiwald ne nous offre pas seulement un roman sur la résilience : elle nous injecte une dose d’adrénaline littéraire qui nous force à regarder la fragilité de nos existences bien en face, pour mieux la transcender.

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