Enfin ! Ces cinq lettres résonnent comme un cri de soulagement marquant l’épilogue d’une affaire qui a profondément secoué la société française pendant douze ans, affaire connue sous le nom célèbre de son infortuné protagoniste : le capitaine Alfred Dreyfus. Accusé à tort d’espionnage et de trahison au profit de l’Allemagne et condamné à la déportation sur l’île du Diable (Guyane), la réhabilitation du capitaine Dreyfus dans une Troisième République aux bases encore fragiles et gangrenée par un antisémitisme virulent, sera loin d’être une tâche aisée pour ses défenseurs. Le roman de Robert Harris « D. » (2013) adapté au cinéma par Roman Polanski sous le titre « J’accuse » en 2019, s’intéressait surtout aux investigations menées par le commandant Picquart pour faire éclater la vérité, entreprise semée d’embûches qui aboutit cependant en 1899 à l’annulation du premier jugement. Un nouveau procès, organisé à Rennes condamne de nouveau Dreyfus pour trahison, mais lui accorde le bénéfice de circonstances atténuantes. Gracié dans la foulée par le président de la République Émile Loubet, Dreyfus est désormais un homme libre, mais pour les dreyfusards la victoire est loin d’être complète car son innocence n’a toujours pas été reconnue.
« Enfin ! » s’intéresse à un personnage dont le nom n’est, hélas, guère resté à la postérité, bien qu’il ait joué un rôle majeur dans la réhabilitation de Dreyfus : le ministre de la Guerre, le Général Louis André. Récit à la première personne sous forme de journal, le roman offre une incursion très réussie dans le quotidien de ce militaire vieillissant, qui se retrouve en 1900 à la tête d’un ministère dans lequel l’état-major fait la pluie et le beau temps et où, malgré sa position, il ne lui est pas toujours facile d’imposer ses vues. Le premier chapitre débute en avril 1903, date à laquelle le Général André se voit confier la lourde tâche de mener une nouvelle enquête sur les charges qui pèsent contre Dreyfus. Secondé par son officier d’ordonnance, le capitaine Antoine Targe, il va entreprendre de collecter tous les documents relatifs à l’affaire et qui sont éparpillés dans les bureaux du ministère. Mais rien n’est fait pour lui faciliter le travail. Non pas que les pièces du dossier aient été détruites, mais plutôt car elles ont été, volontairement ou non, noyées parmi des centaines d’autres. Sans parler du manque de coopération des responsables de ces différents services. Pourtant, une fois exhumées, « les archives sont terribles. Mêmes recouvertes de poussière. Elles ressuscitent immédiatement, […] impitoyablement ce qui a été ». Ainsi, le 12 juillet 1906, la Cour de cassation a eu le courage de reconnaître la totale innocence du Capitaine Dreyfus et l’armée de le réintégrer dans ses fonctions.
En parallèle des investigations menées par le Général et le capitaine Targe qui permettent au lecteur de mieux saisir les acteurs et les enjeux de cette affaire, c’est tout le quotidien d’un ministre qui se dévoile. Les deux auteurs évoquent les visites de casernes, les inaugurations, la complexe gestion du budget de l’armée, les cérémonies officielles comme la messe à Notre-Dame lors de la mort du pape Léon XIII. On croise aussi des figures marquantes du paysage politique comme Georges Clemenceau, avec qui le Général André discute longuement lors d’un voyage en train. Il est aussi question de l’ancrage local d’un homme qui n’a jamais renié ses origines bourguignonnes. Élu conseiller général de son fief de Gevrey-Chambertin, il aime retourner avec son épouse dans sa Côte-d’Or natale. Derrière l’austère visage immortalisé par le peintre Gabriel Ferrier, reproduit en couverture, Anne Parlange et Vincent Raude laissent entrevoir un portrait d’une grande sensibilité. Portrait intime d’un homme qui préserve sa vie privée, loin des attaques, souvent virulentes, qu’il doit affronter sur la scène publique. Sa femme, Marguerite Chapuy, une ancienne chanteuse d’opéra est présentée comme un soutien indéfectible : « Elle m’a appris l’amour. Je le lui ai appris. Nous l’avons découvert ensemble. Nous n’en parlons jamais à personne. Le milieu militaire est hostile au bonheur. Non qu’il le méprise ou le tienne pour une bassesse. Mais sa tâche est de tuer. Ou de se préparer à tuer. «
Dans cet univers impitoyable de « tueurs », le Général André, poursuivant sans faillir sa quête de vérité, nous touche avec ses doutes et sa fragile humanité.
Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm
Parlange, Anne & Raude, Vincent, « Enfin ! : le dénouement de l’affaire Dreyfus : récit historique », Editions Ex Aequo, « Hors temps », 12/02/2021, 1 vol. (172 p.), 16€
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