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Jean-Paul Alduy, Ce que maire m’a fait, Les Presses Littéraires, 15/04/2025, 144 pages, 17€

Le TGV fend l’air, mais c’est moins l’espace que le temps que Jean-Paul Alduy traverse dans Ce que maire m’a fait. Son retour vers Perpignan, la cité de son existence publique, devient le prétexte à une introspection ciselée, une plongée dans les arcanes du pouvoir municipal et les ressorts d’une transformation existentielle. Cet ouvrage, signé et illustré par l’architecte-urbaniste propulsé maire, se dérobe à la chronique factuelle pour offrir le relevé délicat d’une âme aux prises avec la Cité, une exploration des mécanismes par lesquels un territoire finit par imprimer sa marque indélébile sur celui qui aspire à le modeler. Plus qu’un bilan, c’est un récit d’initiation aux strates multiples, où la psychologie de l’élu se dévoile au contact des servitudes et des grandeurs d’une fonction aussi exaltante qu’exposée.

Du compas à la mêlée – l'épreuve du réel perpignanais

L’itinéraire de Jean-Paul Alduy (alias Zébulon), avant l’épreuve du suffrage universel, est celui d’un esprit forgé aux disciplines rationnelles des grandes écoles françaises – Polytechnique, les Ponts, les Beaux-Arts. Planificateur de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, il incarne ce « technocrate bien installé dans la capitale » dont l’entrée en politique à Perpignan, en 1993, relève du « bouleversement inattendu ». Le contraste est saisissant : d’un univers de conception maîtrisée, il est projeté dans les réalités d’une cité « à l’arrêt, grise, triste, fracturée… », où un tiers des actifs est sans emploi et où l’héritage politique est lourd. Ce fardeau est d’autant plus complexe qu’il est intimement lié à la figure paternelle, Paul Alduy, ancien maire respecté. La relation filiale, déjà tendue, atteint un paroxysme de douleur lorsque, devenu maire, il se voit contraint d’« engager une action en justice contre son père, l’ancien maire… » Le face-à-face qu’il décrit, la réponse laconique du père – « Je comprends, les temps ont changé, je me défendrai… » – condense la charge tragique d’un mandat commencé sous le signe de la rupture.

Cette immersion brutale dans l’arène politique locale accélère une mutation profonde. L’urbaniste doit désapprendre pour réapprendre, troquer la certitude du planificateur pour la souplesse de l’écoute, une vertu qu’il confesse avoir tardivement cultivée. Ses premières actions, empreintes d’une énergie palpable, se tournent vers la jeunesse et la culture comme ferments de renouveau : le Conservatoire, la Casa Musicale, la salle de concert El Médiator sont autant de jalons d’une politique urbaine qui entend l’aménagement comme une œuvre vivante. La piétonnisation du quai Vauban devient un laboratoire de « démocratie de participation ». Néanmoins, cette transformation n’est pas un long fleuve tranquille. Les revers sont cuisants, comme la défaite aux élections législatives de 1997, où il reconnaît son « immaturité politique » face aux déchirements fratricides au sein de la droite locale et au poids des appareils. Surtout, le pouvoir local à Perpignan, carrefour d’influences et de vives tensions, s’avère une machine à broyer. Les émeutes de 2005 et, plus encore, « l’affaire des chaussettes » en 2008, qu’il nomme sa « descente aux enfers », le soumettent à des tempêtes médiatiques et judiciaires dévastatrices. Ces crises, au-delà des cicatrices personnelles qu’il confesse, ont sculpté sa compréhension des arcanes et des aspérités du pouvoir municipal. Il en sortira endurci, capable, dit-il, « d’encaisser les insultes sans trop souffrir… », trouvant dans sa Vespa jaune un improbable emblème de cette proximité reconquise avec « les gens d’une passion sincère ».

Une géopolitique identitaire face aux flots contraires

Jean-Paul Alduy a déployé pour Perpignan une vision éminemment politique, où l’urbanisme devient le bras armé d’une stratégie géopolitique. Face à l’enclavement perçu comme un « lointain cul-de-sac de la France » (ce qu’il est toujours plus), il promeut l’idée de « Perpignan la Catalane » (qui est devenue sous le règne du RN la décriée « Perpignan la rayonnante). Cet étendard identitaire n’est pas, dans son esprit, synonyme de repli, mais un tremplin vers un espace plus vaste, le triangle dynamique Barcelone-Montpellier-Toulouse. L’apprentissage du catalan, la diplomatie active avec la Generalitat, et la création d’une Délégation de Perpignan à Barcelone sont les manifestations de cette volonté d’ancrer la ville dans un destin européen et méditerranéen. La Creu de Sant Jordi, décernée par Jordi Pujol, symbolise cet équilibre entre racines et horizon.

Cette ambition s’incarne dans des réalisations d’envergure : la nouvelle gare TGV, fruit d’un labeur de dix-huit ans parsemé d’embûches, et le Théâtre de l’Archipel, conçu comme un « espace d’expression de toutes les écritures de la Méditerranée ». L’image de l’« archipel », chère à l’auteur et répétée à dessein, nourrie de ses souvenirs de navigation en mer Égée, devient une métaphore centrale de sa pensée territoriale, mais aussi de sa conception de la laïcité républicaine : un ensemble d’identités distinctes, préservées dans leur singularité tout en étant solidaires et enrichies par leur interconnexion. C’est une tentative de réponse aux logiques de fragmentation sociale, une manière, affirme-t-il, de « rompre avec le repli et la culture insulaire pour ouvrir les regards sur des horizons larges ». La « mosquée de la fraternité », issue d’un dialogue interconfessionnel, en est un témoignage. Ainsi, son opposition résolue au Front National, qui menaçait son premier mandat, s’est érigée en « fil conducteur » de son action.

Le livre s’achève sur une méditation empreinte d’une mélancolie lucide quant au passage du temps, à la nature de la transmission et à la clôture d’un cycle d’engagement public. Fidèle à une promesse de limitation de ses mandats, Jean-Paul Alduy choisit de se retirer, un acte parfois mal compris, notamment lorsqu’il cède son fauteuil de maire en 2009 pour présider la communauté d’agglomération, une décision qu’il qualifie rétrospectivement de « faute politique dont les conséquences furent très lourdes ». Les dernières pages, qui esquissent un Perpignan à l’horizon 2060, trahissent un esprit qui, même retiré des affaires, continue de sonder l’avenir, de peser les défis climatiques, technologiques et sociaux. L’urbaniste visionnaire demeure, pensant la ville du futur : densifiée, connectée, résiliente.

Ce que maire m’a fait est un texte feuilleté où se conjuguent l’intime, le politique et le territorial. Jean-Paul Alduy y dépeint, avec une sincérité qui n’élude pas toujours les angles morts de sa propre épopée, la fresque d’une passion pour une ville et pour la res publica. Le livre, s’il met en lumière une transformation et une résilience indéniables, aurait peut-être gagné à approfondir certaines contradictions personnelles et les dynamiques politiques complexes qui ont jalonné son parcours, au-delà des grandes crises médiatisées. Il demeure néanmoins un témoignage précieux sur la complexité de l’art de gouverner au local, sur la solitude de l’élu face aux tempêtes, mais aussi sur l’extraordinaire force de conviction qui peut animer un bâtisseur lorsque la fonction est vécue comme une interaction constante entre une conscience, une Cité et l’impérieuse nécessité d’agir. Un éclairage singulier, à l’heure où la fragmentation et l’emprise du Rassemblement National menacent plus que jamais le vivre-ensemble au sein de Perpignan la Catalane.

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