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Renaud Evrard, Expériences de mort imminente, Albin Michel, Avril 2024, 304 pages, 21,90 €.

Les Expériences de Mort Imminente ou EMI, EMA, IDE, NDE, thème paranormal, sont le moment où un mourant voit un tunnel avec une lumière blanche ouvrant vers un au-delà, il ne l’emprunte pas et revient sur Terre et à la vie. On pense aux films Les choses de la vie de Claude Sautet (1970), où Pierre, automobiliste gisant, se remémore son passé, Au-delà de Clint Eastwood (2004), où Marie, frôlant la mort lors d’un tsunami, voit sa vie défiler, Les miracles du ciel de Patricia Riggen (2016), où la petite Anna, victime d’une grave chute, fait un rêve éveillé. On n’oublie pas Visions de l’au-delà de Jérôme Bosch (1500) au fameux tunnel multicylindrique lumineux (l’artiste aurait-il vécu une expérience létale ?), La divine comédie de Dante (1472), Les Thanatonautes de Bernard Werber (1994). Si toutes ces fictions alimentent la fascination universelle et intemporelle des écrivains, peintres et cinéastes, que dire des scientifiques, attelés au sujet depuis plus d’un demi-siècle ? Renaud Evrad est psychologue clinicien, MCF-HDR en psychologie à l’Université de Lorraine, cofondateur en 2009 du Centre d’Information, Recherche et Consultation sur les Expériences Exceptionnelles (CIRCEE), réseau de recherche universitaire et clinicienne sur des expériences exceptionnelles (ou paranormales) proposant un service de consultation pour étudier les vécus inhabituels. L’auteur – qui a déjà publié La Mort, une expérience. Un psy face aux expériences de mort imminente (ÉUL, 2022) – est bien la personne EMInente sur le sujet.

L’EMI, une définition casse-tête

En 2008, Ronald, comédien belge, rentre chez lui vers 2 heures du matin à moto. Il n’a pas bu d’alcool et roule à 160 km/h. Subitement, son guidon tourne de gauche à droite, très vite et très violemment. Il tente de décélérer, c’est pire ; il freine de l’avant, de l’arrière, cela s’aggrave. Rien à faire, sa moto est folle. Un flux de pensées l’assaille en quelques secondes. L’acteur principal de la pièce où il joue s’est blessé et a été remplacé, s’il meurt, il sera aussi remplacé. Pratiquant les arts martiaux, il songe à s’éjecter car il sait comment bien tomber mais, vu la vitesse, il finira au mieux tétraplégique. Il reçoit d’un coup une gifle, est projeté dans le temps dans la maison de vacances de ses parents et se voit, à 8-9 ans, regarder dans le salon la télé où un gendarme donne des conseils de sécurité routière : « En cas de guidonnage, accélérez ». Ronald comprend alors pourquoi il est là, aussitôt réaspiré dans son corps de motard, il se retrouve sur sa moto, n’hésite plus, accélère, sa machine racle le bitume à 200 km/h et se remet sur les rails, il ralentit progressivement et rentre chez lui à 25 km/h. A-t-il vécu une EMI ? Certainement pas ! Pourtant sur 80 chercheurs d’EMI, la moitié considère son cas comme une EMI. Comment définir précisément une EMI ? C’est une expérience complexe où un individu est – ou croit être – sur le point de mourir. Il faut ajouter l’élément de surprise. L’EMI se définit aussi dans un agglomérat de tunnel, de lumière, de sentiment de paix, de perception modifiée de l’espace-temps, de décorporation et de rencontre avec des êtres et paysages d’autres dimensions. Bruce Greyson a créé en 1983 l’échelle d’évaluation éponyme. C’est un QCM de seize questions avec toutes trois réponses : une réponse négative (0 pt) si la personne n’a ressenti aucun aspect étrange à son expérience ; une réponse positive modérée (1 pt) si la personne a ressenti un aspect étrange ; une réponse très positive (2 pts) dans les autres cas. Par exemple, pour « Avez-vous vu une lumière brillante inhabituelle ? », oui = 1 pt, la lumière est mystique et non terrestre = 2 pts. En répondant aux questions, le score de 7 traduit une EMI. Pour Ronald, le score est de 12. Une équipe de Liège a proposé une nouvelle échelle C-EMI offrant 5 choix au lieu de 3 par item : aucun aspect étrange (0 pt), léger aspect (1 pt), moyen aspect (2 pts), intense aspect (3 pts), extrême aspect (4 pts). La vie après la vie de Raymond Moody (1975) étudiant 150 cas a fortement influencé les EMI. Les éléments ou syndromes Moody ne sont pas tous présents – Ronald n’a vu aucun tunnel ou être lumineux – ou dans le même ordre. Russell Noyes a interrogé deux cents personnes sur les expériences d’accidents avec une EMI en trois étapes : apparition d’une menace mortelle avec une forte résistance de survie ; capitulation avec sentiment de tranquillité voire de joie avec la vie qui défile ; transcendance mystique. Il appert que les chercheurs n’ont jamais pu s’entendre pour définir les EMI (nombre d’items et d’étapes, découpage, chronologie).

La conscience face à la mort

Que se passe-t-il lors d’une EMI ? Game over ou Respawn ? L’axe privilégié est le cerveau mourant. Techniquement, Ronald n’est pas mort, il n’a pas une égratignure, est en parfaite santé mais a cru y passer. Le Respawn, mot emprunté aux jeux vidéo, est la résurrection du personnage : Ronald a survécu à une attaque de panique en pensant mourir, le cœur battant à la chamade avec un afflux sanguin aux risques physiologiques. Le syndrome de Cotard touche des personnes convaincues que leurs organes – estomac, cœur, intestins – sont pourris et qu’elles sont des cadavres ambulants. Ronald ne parle pas de tunnel mais de panneaux routiers qui défilent en donnant l’impression d’un axe central et de passage à travers un panneau qui est l’entrée de sa chambre d’enfant. A-t-il fait une expérience d’EMI proche d’une G-LOC, centrifugeuse des astronautes encaissant une gravité avec un afflux sanguin vers la tête pouvant provoquer un évanouissement et la Mort ? L’hypothèse d’un trouble de la vision séduit car elle décrit en partie ce qui s’est passé, restaure la normalité et va dans le sens de la gravité rationnelle de Robert McLuhan. Dans La mort d’Olivier Bécaille d’Émile Zola, le héros, passé pour mort, assiste à son propre enterrement. Un cauchemar est de se réveiller vivant, enfermé dans un cercueil. Il y a deux façons de mourir : la première est la mort après l’arrêt de la fonction respiratoire et de la circulation du sang, la seconde la mort cérébrale. Comme dans les films, l’onde de la mort se voit dans les courbes de mesures des fonctions vitales qui oscillent et s’aplatissent avec l’alarme qui retentit. Et si la mort était réversible via une onde de réanimation réoxygénant le cerveau ?

Le cerveau hacké ?

Comment Ronald, face à un danger immédiat, s’est-il laissé envahir de pensées, images et sensations ? La SF est friande du cerveau qui enregistre des données tel un ordinateur (Néo apprend les arts martiaux en téléchargeant des données dans son cerveau dans Matrix). Ronald, qui voit défiler des panneaux en diaporama, plonge dans les souvenirs de son enfance. Parmi les millions de souvenirs mémorisés, son inconscient repère le seul bon message. Pour Freud, « Dans l’inconscient, rien ne finit, rien ne passe, rien n’est oublié ». Pour Michael Nahm, l’intelligence de l’inconscient a pris le relais et offert une sortie de crise. Plutôt que de souvenir, on peut parler de rappel de souvenir ou de déjà-vu. Ronald vit la scène de son enfance dans le chalet parental et se voit en fantôme traversant le temps. Selon Anthony Bacqué, il vit un rêve éveillé que la fatigue peut provoquer en pleine concentration, comme en conduisant. L’EMI ramenée à une forme de rêve ? Pour certains individus, mélanger l’imagination et la réalité est une part de leur personnalité. C’est l’inclinaison à la fantaisie des personnes rapportant des EMI. Parmi les souvenirs, il existe des super souvenirs : « Que faisiez-vous au moment de l’attentat du 11 septembre 2001 ? » (Pour ma part, je faisais le plein de diesel à Leclerc-Sud et parlais à la caissière blonde). Selon les chercheurs du Coma Science Group, les souvenirs flash désignent des souvenirs émotionnels notables. Ils sont pourtant de faible intensité face aux souvenirs d’EMI qui, au-dessus du lot, sont si importants qu’ils restent dans le cerveau et ressortent quand le corps est malmené (arrêt cardiaque, coma) ou un grave péril évité (accident, chute, noyade). On peut aussi parler de mort lente et d’énergie du désespoir.

Les recherches en EMI portant sur des répercussions de vécus progressent lentement. Les scientifiques travaillent avec des individus dans leur jus qui, difficulté supplémentaire, mettent des années à se confier de peur de passer pour des fous. Si la moyenne est de 16 ans selon Regina Hoffmann, Ronald a mis 14 ans pour avouer son EMI. Mais combien de personnes se taisent à jamais ? Les EMI sont un trip dans la Cinquième dimension, aux frontières de la vie et de la Mort. L’auteur, enseignant-chercheur ayant dirigé en huit ans douze masters et deux thèses, différencie la maigreur de la littérature scientifique et la rareté des exemples, les forums regorgeant d’exemples d’EMI d’accidents, d’enfance, de femmes enceintes, de fulgurés (personnes frappées par la foudre). Leur champ de recherche manque de verticalité, de profondeur de champ historique, mais aussi d’horizontalité permettant de sortir de la marginalité. Cet ouvrage, somme toute axé sur Ronald, est une étude scientifique du genre. Dense et riche en témoignages, il est une bonne entrée sur les arcanes du cerveau et la survie de l’âme (télé)transportant vers l’au-delà et l’extra-life. Les EMI ou le survivre à sa propre Mort est un nouveau champ d’étude universitaire appelé à se développer. EMI soit qui mal y pense !

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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