Marcel Pagnol écrivait que « la contemplation prolongée de la Joconde ne nous donne pas le talent de Vinci ». Ceci est peut-être vrai, mais elle incarne toutes les femmes de la Renaissance. Un demi-sourire narquois plaqué sur le visage, Mona Lisa est intangible, indéchiffrable. Son regard est perçant, poursuivant chaque admirateur sans pour autant révéler ses secrets. Elle trône muette, observatrice. La femme de la Renaissance est ainsi, en retrait. Sylvie Le Clech écrit qu’elle « s’efface de la vie comme elle y était entrée : avec discrétion et une fois son devoir accompli ». On se l’imagine par défaut, car elle reste, pour l’Histoire, un point d’interrogation. Madame de Lafayette la représentait faible, incarnée par Marie de Montpensier. Déçue par son amant, dévastée par la mort de son seul ami, répudiée par son mari, elle meurt de chagrin, emportée par la dépression en seulement quelques jours. Cette image frêle et fragile véhiculée notamment par les sonnets de La Belle Cordière, Louise Labé, est loin de la réalité. Le fait qu’elle soit effacée ne veut pas dire qu’elle ne vit pas. Sylvie Le Clech, au contraire, nous dépeint les portraits de femmes fortes et courageuses, qui se battent et font preuve de résignation face aux multiples tragédies qu’elles subissent : guerre de religion, épidémies, morts infantiles…
Chacune à leurs façons, elles s’émancipent, se façonnent indépendance et liberté à travers la gestion de leurs domaines et les legs de leurs maris et pères ; elles s’abandonnent à la littérature telle Marguerite d’Angoulême qui publia en 1533 l’Heptaméron, recueil de soixante-douze nouvelles ; ou, comme Constanza Fergoso, se constituent un réseau d’intellectuels, bien avant la mode des salons.
Dans ces familles italiennes où les hommes font la guerre et y laissent leur vie, les femmes sont les actrices d’une civilisation brillante et défendent les intérêts des leurs, comme la louve défend ses petits.
Sylvie Le Clech décrédibilise la croyance populaire selon laquelle que le mariage et les naissances sont les uniques événements de la vie des femmes, même si la condition de leur sexe leur impose ces rites de passages. Certaines, comme Vannina d’Ornano, dont le contrat de mariage fut signé avant sa naissance, n’eurent pas la chance de Françoise de la Platière qui finit par obtenir un divorce, signe de sa libération. « Femmes de la Renaissance » nous offre une galerie de femmes puissantes, allant jusqu’à inspirer le respect, et même la peur des monarques. La légende raconte que le corps éventré de Gabrielle d’Estrées fut caché à Henri IV, de peur qu’il ne venge la mort de sa maîtresse. Comme l’écrit l’auteure : « même mourante, Gabrielle restait donc dangereuse ».
Des « Femmes de la Renaissance », on ne connaît que les reines et les maîtresses royales. Sylvie le Clech déconstruit les mythes autour de ces femmes de pouvoir, dévoilant un visage que l’on ne leur connaît pas. L’imposante et effroyable Catherine de Médicis, commanditaire du massacre de la Saint Barthélémy, se révèle une mère brisée, repentante de ses erreurs politiques.
Ainsi, telle celle d’un monstre sacré, l’image de Catherine a été déformée jusqu’à être perçue comme effrayante machiavélique. Pourtant, les épreuves personnelles auxquelles elle doit faire face à ses combats la renvoient à la condition commune des femmes de la Renaissance.
Mais l’auteure nous fait aussi découvrir les femmes du peuple, des provinciales loin de la Cour. Elles sont imprimeuses, sages-femmes, sorcières, et par leur soif de liberté, font rayonner la culture humaniste de la Renaissance. « Femmes de la Renaissance » est une véritable anthologie d’inspirations. Féministes, entrepreneuses, femmes de lettres, elles n’ont besoin ni d’époux ni de père pour se construire et s’établir en tant qu’actrices de la société. Avec cet ouvrage, Sylvie Le Clech nous prouve avec brio et passion qu’il est possible d’être femme et libre dans un monde patriarcal centré sur la sainteté du mariage et de la procréation.
Éliane BEDU
articles@marenostrum.pm
Le Clech-Charton, Sylvie, « Femmes de la Renaissance : elles ont lutté pour leur liberté », Tallandier, 26/08/2021, 1 vol. (312 p.), 20,90€
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