Temps de lecture approximatif : 4 minutes

Annie Drimaracci, Fragiles rivages, éditions Plan B et Scudo édition, 165 pages, 14€

J’écris mais au-delà de l’écriture, je revis.

Une bouteille à la mer

Fragiles rivages est une lettre de 165 pages qu’une femme, en l’occurrence la narratrice, adresse à un homme qu’elle a aimé et qui n’est plus à ses côtés. Elle le désigne par la lettre M, sans doute la première lettre de son prénom, le tutoie, et le 2 novembre 2020, signe sa missive : Else. C’est une bouteille qu’elle jette à la mer en espérant qu’elle cognera un jour contre les rivages de cet homme dont elle est sans la moindre nouvelle.
La rupture n’est pas très ancienne et la superficie de la plaie semble par moments dépasser celle du corps. Pourtant, la narratrice demeure consciente que cette relation ne pouvait pas aller plus loin, qu’elle se trouvait dans une impasse existentielle :

Nous nous étions peu à peu trouvés aux antipodes, chacun ne parvenant plus à supporter les orientations politiques de l’autre.

Or, à propos des antipodes, celle de la France est un archipel perdu au milieu du Pacifique sud rattaché à la Nouvelle-Zélande, sans oublier que la circonférence de la Terre est de 44 000 kilomètres et des poussières. Si Else est délibérément engagée au côté des revendications sociales de la classe ouvrière, M. restait enfermé dans une sorte de tour d’ivoire. Il se plaisait dans un confort égoïste qui lui permettait de demeurer à l’écart des agitations du monde. C’est lors d’une promenade dans les montagnes que la rupture est devenue inexorable et définitive. Les mots ont leur sens dans ce livre, en particulier les adverbes. Parvenu au sommet de sa relation, le couple ne pouvait pas aller plus haut, ou plus loin. Il se trouvait DÉFINITIVEMENT sur l’autre versant, celui de la descente, et de la rupture.
Dans sa solitude, et sa souffrance, la narratrice est à l’affût de la moindre manifestation de cet homme qui se mure dans le silence. Puis, un jour, elle sursaute en tombant sur un post qu’il vient de publier, avec sa photo, « sur la toile ». C’est une grande surprise pour elle car le choix de cette photo n’est pas anodin : elle l’avait prise elle-même alors que la confiance liait le couple. S’agit-il d’un signe de la part de M. si silencieux ? Affiche-t-il ainsi une volonté de réconciliation et d’un retour impossible puisque, on le sait bien, on ne peut se baigner deux fois dans la même rivière ?

La magie salvatrice du verbe

Cette photo déclenche chez la narratrice une envie irrésistible d’écrire, de rassembler les débris, de revisiter son passé avec M. et sa vie en général. Else se met devant l’écran vide de son ordinateur et arpente les décombres des ponts si brutalement coupés :

Il a cueilli mon chagrin. Le chagrin depuis des mois voué à ce silence sans nom, il m’a aidée à le porter, par sa présence dans l’absence. Sans l’once d’une ambiguïté, avec le plus grand naturel. Comme on tend la main à quelqu’un au bord du chemin pour le relever avant de continuer le sien. Et c’est ainsi que cela s’est passé. Je me suis relevée, j’ai repris ma route et quelques semaines après, l’usage de l’écriture m’est revenu et cette idée un peu insensée de t’écrire s’est imposée.

Le portrait de la narratrice se dessine grâce à une succession de touches de couleurs chaudes. Étrangère à toute idée de religion, « hormis celle de rendre quotidiennement grâce à la Nature et à la Création« , elle fait un séjour de deux jours dans un monastère du Carmel qui la marque profondément. Mais ce qui lui permettra de retrouver une sérénité plus durable, c’est son retour sur son île, la Corse, et c’est aussi le sentiment d’immortalité puisé dans ses souvenirs d’enfance :

Alors j’ai traversé la Méditerranée, je suis revenue sur l’île que je porte dans mon cœur, au village où je laisse toujours une part de moi en m’en allant.

Partant du manque, elle demande à son histoire personnelle, intime et individuelle de rejoindre la grande histoire. C’est Victor Hugo qui avait dit : « Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous ». Elle veut que son expérience serve à quelque chose :

… un petit manuel de survie, une sorte de guide pour parvenir à ce lieu que nous cherchons tous, contre vents et marées, et nous sentir après tant d’errances, indéfectiblement à notre place.

Devant la tâche accomplie, elle semble résumer tout ce qu’elle éprouve dans une ode de William Wordsworth :

Même si rien ne peut ramener l’Heure / De la splendeur dans l’herbe, de la gloire dans la fleur ; Nous ne nous affligerons pas, mais trouverons plutôt / Une force dans ce qui en subsiste.

Fragiles rivages est un très beau témoignage relaté dans une langue fluide et particulièrement sensible. Ainsi qu’on peut le lire, fort justement, sur la quatrième de couverture, ces 165 pages, de petit format, sont faites de réflexions sur la souffrance, la solitude, la colère, l’humanité, la nature, le pardon, et la grâce.

Annie Drimaracci est agrégée de lettres modernes. En 2011, elle a publié Première Pierre, un récit sur ses racines corses à Cargèse. Fragiles rivages est son second livre paru aux éditions Plan B, co-réédité chez SCUDO édition. L’écriture d’Annie Drimaracci est aussi le fil conducteur de ses encres, collages et totems, notamment exposés à Cavaillon, à L’Isle-sur-Sorgue, au château de Lourmarin et à Bagnols-sur-Cèze.

Image de Chroniqueur : Fawaz Hussain

Chroniqueur : Fawaz Hussain

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