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François Parrot, Un hiver à Tanger, Bouquins, 13/04/2023, 1 vol. (288 p.), 21,50€.

Un jour, je ferai comme Rimbaud. Je partirai, je voyagerai. Je prendrai le bateau pour aller en face, à Tanger. Et je ne reviendrai jamais. » Ces mots, le héros d’Un hiver à Tanger les prononce alors qu’il n’est encore qu’un adolescent en vacances de Noël à Malaga. Cette autre rive, perçue comme un véritable eldorado, il veut en effet plus que tout l’atteindre afin d’échapper à une existence chaotique et délétère. Une partie du roman relate ses mésaventures d’enfance et d’adolescence dans les années 1960. Dans une France tiraillée entre tradition et modernité, ce garçon chétif et timide du Sud-Ouest, ne répondant pas aux critères de masculinité virile, est rejeté par sa famille. Son hiver, il l’entame déjà à cette époque dans les pensionnats privés catholiques où il subit, avec ses camarades, de nombreux sévices et violences sexuelles. La plume de François Parrot retranscrit de manière clinique et glaçante ces faits graves entourés d’une véritable omerta. De cette adolescence abîmée, il retient malgré tout des souvenirs tendres, ceux de ses amis Éric et Ousmane, de son premier amour Kate, une jeune anglaise rencontrée lors de vacances d’été trop courtes. Mais il doit aussi composer sans cesse avec les adultes, personnages toujours menaçants malgré leur bienveillance trompeuse, à l’instar d’André le conseiller pédagogique et psychologue du lycée qui le prend sous son aile, pour le meilleur ou surtout pour le pire. De cette fréquentation, le jeune homme gardera un alcoolisme effréné qui ne le quittera plus.

L’autre versant du roman se déroule dans l’actuelle Tanger, lorsque le protagoniste a entamé littéralement l’hiver de sa vie. Avec soixante ans d’écart, c’est cette fois Tanger qui subit une profonde mutation par sa spectaculaire modernisation dont on prend l’ampleur lors du passage du héros au complexe portuaire de Tanger Med. « Le port est une fourmilière, des centaines de dockers vont et viennent, le dos courbé sous le poids des charges qu’ils transvasent d’un container à l’autre. » Lui, il préfère davantage les nuits tangéroises avec ses milieux interlopes qu’il a fréquentés quelques décennies plus tôt, dans des bars où les Occidentaux consommaient avec frénésie alcools forts et drogues dures. Mais ce Tanger tend à disparaître :

Les grands travaux occupent beaucoup les journalistes, notamment les programmes de réhabilitation de certains endroits mythiques de la ville. Son regard est attiré par une photo récente du Teatro Cervantes, lieu sublime que le roi s’est engagé à restaurer. Lors de ses longues promenades solitaires, il s’arrête souvent devant sa façade délabrée. Il y est attaché, la voyant s’étioler avec tendresse. Le lieu va renaître sans lui, il ne le verra pas retrouver son lustre et ce n’est pas bien grave. La fête est finie, pas de regret.

Un énième soir de débauche, il croise la route d’Awa, un jeune migrant ivoirien aux yeux verts dont les péripéties le bouleversent. Ce dernier veut coûte que coûte, malgré des tentatives infructueuses, traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. À travers ce jeune migrant, le héros recherche le jeune homme qu’il a été et qui aurait aimé avoir une aide bienveillante pour traverser l’existence sereinement. Mais Awa disparaît aussi vite qu’il l’a rencontré, tant son statut de clandestin lui fait craindre en permanence des contrôles policiers. Le protagoniste se lance donc dans un jeu de piste désespéré à travers Tanger, pour retrouver ce jeune migrant qu’il veut aider par-dessus tout afin de lui éviter un hiver trop précoce.

François Parrot nous livre un premier roman sans concession sur des sujets graves et parfois encore tabous qui parcourent les sociétés de part et d’autre de la Méditerranée.

Image de Chroniqueuse : Marine Moulins

Chroniqueuse : Marine Moulins

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