Gabriel Ringlet, La blessure et la grâce, Albin Michel, 01/03/2023, 1 vol. (277 p.), 19,90€
Gabriel Ringlet est un être singulier. Non pas tant par ses différentes attributions de théologien et de vice-recteur à l’université catholique de Louvain-la-Neuve ou l’engagement de certaines publications telles que L’Évangile d’un libre penseur, Éloge de la fragilité et Va où ton cœur te mène, (précédemment recensée), mais par son art de faire accéder au mystère et de réconcilier d’une certaine manière « Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas », selon la célèbre élégie d’Aragon.
Quelqu’un qui par sa parole libre, sans langue de bois a le don de nous faire (re)découvrir les trésors de l’Écriture pour leur donner sens et les actualiser au cœur de nos anxiétés.
En langage savant, cela relève de l’herméneutique, un domaine que l’ancien professeur maîtrise à sa manière, avec l’insigne avantage de le rendre accessible au plus grand nombre. Une chose est, en effet, le travail d’exégèse, apte à déchiffrer la part souvent hermétique des Écritures, une autre est de savoir l’intégrer dans les quotidiens cabossés de l’existence.
C’est la raison d’être de La blessure et la grâce, qui plus encore que les vingt-quatre ouvrages du même auteur, défriche pour tout un chacun, un authentique chemin de spiritualité. Pas celle de mentors et autres gourous survalorisant l’humain heureux à grand renfort de pensée dite positive, mais d’un prêtre professeur qui exalte la profondeur de la Parole pour en faire le creuset d’une génération chamboulée.
Conscient que la quête de sens d’un monde désenchanté est aujourd’hui tapie au fond de bien des consciences, celui-ci développe ainsi une voie à l’intime de l’être qui façonne un nouveau genre littéraire chrétien.
Le cheminement d’une vie bonne
Conçu en courts chapitres, à partir d’anecdotes, de faits divers, voire en référence à des films ou à des chansons, mais tous en résonance avec l’Évangile, le livre constitue de constants éclairages pour le cheminement d’une « Vie bonne », telle que la définissait Paul Ricœur.
Dans ce contexte cependant, le début d’ouvrage référent au Livre des Lamentations, à l’époque où Nabuchodonosor assiégea et détruisit la ville de Jérusalem, ne manque pas de surprendre. Mais si l’auteur s’attarde ainsi sur ce récit symbole de douleur, c’est pour mieux en définir toute l’actualité comme le soulignent ces divers passages.
Quand des femmes sont violées à travers la planète avec la bénédiction de traditions dévoyées… C’est maintenant que des prophètes sont tués dans des lieux sacrés (1,20). Quand un enseignant soucieux de dialogue est décapité en pleine rue à deux pas de son école… C’est maintenant que Judée va en déportation sous l’humiliation et le poids de l’esclavage (1,3). Quand douze mille enfants meurent de faim chaque jour dans le monde… C’est maintenant que les bambins défaillent de faim à chaque coin de rue (2,19).
Au gré des siècles, rien de nouveau sous le soleil donc, jusqu’à ce que se manifeste hier comme aujourd’hui, la miséricorde divine. Les bontés du Seigneur ! « C’est qu’elles ne sont pas finies ! C’est qu’elles ne sont pas épuisées ! Elles sont neuves tous les matins« , comme le souligne le verset 23 des Lamentations, considérées par la plupart des exégètes comme un des plus beaux chants de la littérature mondiale.
Cette ouverture close, Gabriel Ringlet va dès lors cesser son volet de commentateur biblique pour laisser libre cours à son imagination. Un concret des jours tiré de son vécu et d’instants privilégiés dont il va faire son miel, au grand bonheur des lecteurs.
Tonifiante catéchèse
À première vue, de brèves histoires comme tirées d’un journal intime qui s’insèrent en fait dans une judicieuse lecture chronologique du Nouveau Testament. Ainsi de la Paternité oblique jusqu’au Seigneur de la danse, soixantième mini-chapitre de l’ouvrage, l’auteur va évoquer le parcours global des quatre évangiles qui partant des récits de l’annonciation et de la naissance, se poursuivent avec l’appel des disciples, les sections de guérisons, de paraboles sur l’ensemble des enseignements de Jésus avant d’aboutir à la passion et la résurrection.
Une sorte de catéchèse des différentes étapes de la Bonne Nouvelle contribuant à rendre aussi savoureux que tonifiants des textes mille fois lus et entendus qui, sous la plume de ce conteur, prennent une consistance inattendue. Comme sa manière de raconter l’universalité de L’Épiphanie à travers l’histoire du petit Noah ou d’évoquer les affres de la mère du Christ via les paroles d’une chanson de Linda Lemay.
Comment tu as fait, maman Pour te relever chaque fois ? Est-ce qu’avec le temps Ça s’apprend… ou bien pas ? Partage tes blessures Parle-moi de ta vie Offre-moi tes fissures Et j’avancerai… promis.
Prenant de la sorte exemple sur des extraits de Sylvie Germain ou de Jean Sulivan, s’attardant ensuite sur quelques temps forts de l’actualité, voire tirant parti de standards d’Angèle ou de Stromae, Gabriel Ringlet semble prendre plaisir à nous faire découvrir le creuset d’amour évangélique. Même s’il n’est jamais aussi à l’aise que dans son rôle d’exégèse. De savoir rendre plus explicite le sens des paraboles comme celle de l’homme riche (Luc 16, 26) ou de l’homme insensé (Luc 12, 15).
Dans la première par exemple, en soulignant que derrière les deux personnages de la parabole se cache un enjeu plus collectif, l’auteur préfère mettre en garde.
Comment prévenir l’ensemble des gens enfermés dans leurs richesses ou leurs certitudes. Comment les réveiller ? Puisqu’ils n’ont pas accueilli Moïse et les prophètes, seule l’ouverture à la Parole paraît en mesure de franchir l’abîme d’incompréhension les concernant
Une allégresse poétique
La démonstration est encore plus frappante pour ce qui est de l’homme avide, désireux seulement d’amasser son bien, sans souci aucun de solidarité.
Pour mieux définir le bien-fondé d’une attitude contraire, l’auteur nous livre à dessein, celle d’un photographe spécialisé à portraiturer l’intimité des moines dans les abbayes.
Un matin, après avoir pris des photos de l’ordination d’un jeune moine à la demande du père abbé, la mort le frappa brusquement au moment il accrochait les images de sa future exposition. Des images qu’il aurait pu monnayer très cher mais qu’il avait choisi de conserver au sein de la fraternité.
Agissant de la sorte, Gabriel Ringlet fait ainsi l’éloge de la gratuité.
Je crois qu’en le rappelant d’un coup à l’entrée de la nuit, Dieu lui a ouvert les bras, plein d’admiration pour sa folle vocation. Et j’ai la joie de penser que Bruno Rotival contemple aujourd’hui ce qu’il a cherché toute sa vie : un silence lumineux.
Un exemple parmi bien d’autres de La blessure et la grâce qui atteint sa perfection lors de la finale du commentaire sur les Béatitudes où la profondeur d’aimer n’a d’égale qu’une vibrante allégresse poétique.
Soyez saints ! Pas parfaits. La sainteté n’est pas hors pair. Elle ne va pas se nicher à l’écart. C’est le contraire. Elle fait son nid dans les buissons du quotidien. Attentive à nos épines. A nos fatigues. A nos larmes. A nos soifs. Elle se tient au bord du lit. Parfois au bord du vide…
Chroniqueur : Michel Bolassell
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