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Gaspard Koenig, Humus, Éditions de l’Observatoire, 23/08/2023, 1 vol. (379 p.), 22€.
À reçu le prix Interallié 2023, le prix Transfuge du meilleur roman français 2023 et le prix Jean Giono 2023

Écrire un roman d’envergure mêlant un grand sujet de société aux vicissitudes de la vie contemporaine, n’est pas à la portée du premier venu. À leur manière, Michel Houellebecq, avec Les particules élémentaires, Jean Rouaud pour Les champs d’honneur ou encore Lydie Salvayre avec Pas pleurer, s’y son respectivement essayé avec succès. Et c’est dans cette lignée d’auteurs Balzaciens si l’on peut dire, que s’inscrit aujourd’hui Gaspard Kœnig.
Pour certains qui n’avaient qu’une idée parcellaire de ses activités de philosophe ou d’influenceur lors de ses interventions télévisées, – notamment lors de sa candidature à la dernière élection présidentielle –, la chose n’allait pas de soi.
Son premier roman, Octave avait vingt ans, décrit par l’ex-chroniqueuse du Monde, Josyane Savigneau, “comme une fiction très drôle et assez méchante, où la critique sociale n’est jamais aigre, plutôt désopilante”, présageait certes un savoir-faire en devenir. Mais c’était sans commune mesure avec la maestria déployée quelques années plus tard avec Humus. Cette impressionnante fresque sur la crise environnementale actuelle qui, par-delà sa dimension écologique ouvre, via les péripéties de deux jeunes ingénieurs agronomes, son comptant d’attrayants rebondissements.

Sérieux et verve mêlés

Le propre même d’un roman à tiroirs, axé autour d’une thématique contemporaine qui, une fois ouvert, tient en haleine le lecteur tant par le sérieux du sujet que par la verve constamment déployée.

Les deux garçons prirent l’habitude de s’enfuir ensemble le soir de leurs mornes turnes de la Maison des ingénieurs agronomes pour aller prendre une bière sur la terrasse de l’école, au dernier étage du bâtiment central. […] La masse sombre de la forêt était barrée devant eux par les rails suspendus du futur métro du Grand Paris Express, et auréolée au loin par le halo lumineux de la ville. La nature en sursis les invitait à philosopher. Ils ne refaisaient pas le monde, comme les générations précédentes. Ils le regardaient se défaire et tentaient de se trouver un rôle dans l’effondrement à venir.

Tout commence par le propos inattendu d’un directeur de recherche dans un amphi médusé sur le plateau de Saclay.

Première biomasse animale terrestre, les lombrics assurent l’essentiel de la vie du sol. On estime que ces minis vers de terre avalent et rejettent chaque année trois cent tonnes à l’hectare ! Voilà pourquoi le grand Charles Darwin pensait que le lombric est l’animal le plus important de l’évolution naturelle. Sans lui, tout s’écroule.

Pimenté de satire sociale

Affirmation des plus étranges qui incitera les deux frais diplômés à combler leurs lacunes sur ce constat de la nature. Puisque l’humanité s’était ruée pour comprendre l’infiniment grand des cieux et restait balbutiante devant l’infiniment petit des sols, la démarche d’investigation était toute trouvée. Qu’importent leurs différences familiales !
Bien qu’Arthur soit d’ascendance bourgeoise parisienne et Kevin issu d’un milieu modeste du Limousin, leurs carrières s’orienteront vers un commun destin.
À l’instant où le second décide de reprendre la ferme de ses grands-parents rendue stérile par les pesticides, son ami plus aisé, va investir dans la création d’une entreprise de compostage de déchets.
Lequel des deux réussira à atteindre ses objectifs ?
Entre Arthur, l’idéaliste, qui entreprend de faire revivre les sols labourés de sa ferme, et Kevin, le campagnard, qui propulsé dans les hautes sphères du pouvoir, va mettre au point un lombricomposteur de taille industrielle, les itinéraires sont distincts. Voire, par moments diamétralement opposés, que l’auteur va savoir intensifier par le biais de leurs vies affectives singulièrement pimentées.
Qu’il s’agisse des relations avec leurs compagnes, — Philippine un temps associé de Kevin, ou d’Anne qui va s’extraire d’un retour à la terre pour revenir aux dorures d’un cabinet ministériel —, le roman va progressivement glisser vers une satire sociétale qui en diversifie l’intérêt.
Un pamphlet moqueur et cruel à la fois sur les différents acteurs politiques et économiques de l’hexagone qui n’a d’égal que les références sexuelles, où la comparaison érotique avec une scène de copulation entre lombrics a de quoi laisser pantois.

Kevin ne comprenait pas qu’Arthur gaspille ses meilleures années avec une seule fille, un seul corps, un seul avenir possible. Il trouvait ce genre de relation hétérosexuelle incroyablement rébarbative. Tout était couru d'avance : le désir, le couple, les enfants, la fatigue, l'ennui, puis une seule alternative : le divorce ou la résignation, aussi appelée amour de ma vie.

Cocasse et brillamment documenté

Au gré du récit qui alterne les recherches sur les vers de terre en milieu rural ou dans le cadre universitaire et de start-up, le périple des deux protagonistes est aussi cocasse qu’interrogatif sur les dangers du productivisme agro-industriel et de l’épuisement des terres.
Une salutaire remise en question que la série de portraits et de considérations philosophiques rend d’autant plus suggestive.

- C’est qui les autres ? demanda Léa. – Je sais pas, ceux qui ont un CDI et qui vont au supermarché le week-end. Ceux qui habitent en ville et qui travaillent dans des bureaux de verre. Et puis ceux qui passent à la télé pour nous expliquer ce qu’on devrait penser. Tous ceux-là se baladent à l’air libre en faisant des phrases. Ils croient que sans eux le monde s’arrêterait de tourner. Mais la vérité, c’est que sans nous, ils n’auraient rien à bouffer…

Par sa sagacité comme par son esprit frondeur, l’on discerne ainsi sans peine le Gaspard Kœnig multifaces, polémiste, créateur d’un think-tank et habitué du milieu rural pour avoir sillonné les routes de France à cheval.
C’est tout cet ensemble, centré sur le thème de l’urgence écologique, via l’étude au demeurant parfaitement documentée des lombrics, qui fait l’originalité de Humus, une fiction à la croisée du roman initiatique et des enjeux environnementaux actuels.
Aussi attrayant qu’incandescent !   

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Chroniqueur : Michel Bolassell

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