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Fawaz Hussain, Par le souffle de Sayat-Nova – voyage en Arménie et en Géorgie, Transboréal, 10/01/2025, 184 pages, 10,90€

Il existe dans nombre de cultures, des poètes errants qui partent à la découverte de territoires essaimant leurs parcours de chants et de poésies. On connaît mieux nos troubadours auteurs de récits épiques ou des chansons de geste agrémentant diverses cours du Moyen-Âge dont la présence ne se limitait d’ailleurs pas à l’Hexagone.
Qu’il s’agisse des payadores, trouvères itinérants dans la Pampa argentine qui seront plus tard à l’origine du tango, ou des starets – sorte de thaumaturges ou des prophètes dans l’ancienne Russie –, ce genre de personnages charismatiques ont essaimé dans divers continents.
Jusque et y compris en Orient par le biais de bardes qui perpétuaient une tradition millénaire en déclamant partout où ils passaient de vibrantes poésies.
L’un de ces derniers fuyant les troupes d’un shah de Perse pour la capitale de la Géorgie s’appelait Sayat-Nova, et c’est à sa découverte que nous invite l’écrivain kurde Fawaz Hussain en mettant littéralement ses pas dans les siens.
Pour dépasser le cadre de la biographie classique et obéir aux hauts faits du barde arménien, ce dernier n’avait d’autre option que de se rendre sur place. À la mi-décembre 2023, précisément.

En solidarité avec le peuple kurde et arménien

Peu importait la proximité d’un proche conflit entre la Russie et l’Ukraine. Selon lui, je n’avais pas le droit de me laisser charrier par des événements insignifiants tel un caillou dans le lit d’une rivière ballotté par un torrent impétueux. Je devais de toute urgence le rejoindre dans le silence millénaire de l’ensemble monastique de Sanahim et Haghpat. Là-bas, cerné par les montagnes du nord de l’Arménie, nous aurions de longues conversations sur tout ce qui n’allait pas pour moi, ici-bas. Et puis, si je me montrais digne de sa confiance, il organiserait en ma faveur de multiples circonstances heureuses. Il ferait tout cela uniquement par solidarité entre nos deux peuples, les Arméniens et les Kurdes, ses rescapés et mes oubliés de l’histoire…

Telle est la raison d’être du voyage de l’auteur qui après s’être longuement penché sur l’histoire de l’Arménie, nous livrera celle de son héros troubadour.
Après une éducation au monastère de Sanahim, Sayat-Nova est confié vers sa douzième année à un maître artisan afin d’apprendre le métier de tisserand. Orienté plus tard dans la musique pour devenir barde professionnel, il maîtrisera trois instruments dont celui qu’il préfère, le kamancha. Devenu ménestrel dans les cours royales de Géorgie puis de Telavi – l’actuelle Tbilissi —, où il tombera amoureux de la princesse Ana, son destin basculera en raison de prétendants jaloux voyant d’un mauvais œil le penchant d’une princesse pour un baladin arménien.

Dans une langue qui ressemble au gazouillis des oiseaux

Frappé par la disgrâce royale, il sera condamné à devenir le moine Stepanos pour qui la poésie comme l’amour ne seront qu’un pâle souvenir., comme souligné dans la préface.

Dans ce témoignage unique, Fawaz Hussain nous communique ainsi la profonde nostalgie des amants d’autrefois, toutes destinées à finir de façon tragique : Majnoun et Leïla comme Tristan et Iseult. Amère évocation d’heures fugitives du bonheur effacé.

C’est en partant sur les traces de ce barde-poète, transitant du froid d’une chambre d’hôtel en hiver au repas cuisiné avec amour par ses hôtesses caucasiennes, que l’auteur évoquera le temps forts de son existence.
Dans le souci de mieux situer l’action dans son cadre géographique et historique, ce dernier dépeint avec acuité les contours du passage sur terre du poète errant et convoque les événements historiques et les bouleversements politiques de son temps.
D’Erevan à Tbilissi, en passant par Sanahin, Haghpat et Alaverdi, la figure de Sayat-Nova resurgit ainsi comme par magie de la mémoire des habitants, dans des lieux chargés d’histoire et même sur les étagères des couvents.
Un hommage que Fawaz Hussain se devait de lui rendre à sa manière, tel qu’il l’exprime dans les ultimes lignes de l’ouvrage.

Ayant le choix des langues pour le dire, entre le kurde, l’arabe et le français, je n’ai pas hésité longtemps. Comme Sayat-Nova avait tant chanté l’amour du Rossignol pour la Rose, j’allais le célébrer dans la langue qui ressemble au gazouillis des oiseaux à la tombée du jour, dans un jardin plein d’arbres fruitiers.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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