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Récit à plusieurs voix, récit poétique parfois, théâtral encore, « Gratte-ciel » embrasse l’histoire algéroise au détour d’une uchronie sur les rives de la Méditerranée.
Qu’il est salutaire et bon de ne pas toujours lire la même chose ! Avant « Gratte-ciel », je ne connaissais pas les éditions de L’Arche. Un concours remporté sur les réseaux sociaux a mis ce titre entre mes mains. Heureux hasard ! Cette lecture a pourtant déconcerté les repères génériques que j’avais construits sur le récit. La lecture d’un second livre des éditions de L’Arche, que je désirais cette fois, m’a permis par son étrange familiarité de mieux entendre résonner l’écho du premier.
Ce « récit », puisque c’est le sous-titre de « Gratte-ciel », m’a ravi et surpris. La puissance de ses évocations m’a transporté et éloigné des codes génériques conventionnels, déroutant mes habitudes. À partir d’un projet de Le Corbusier, le « plan Obus », Sonia Chiambretto construit une histoire éclatée, à plusieurs voix, une histoire à la chronologie éparpillée. Cette histoire est celle d’Alger que le projet architectural aurait transformé en ville occidentale. Chaque chapitre donne le point de vue d’un narrateur différent, comme un kaléidoscope, avec son style, sa parlure, permettant ainsi de reconstituer une fresque complexe. Une histoire ou des histoires réalistes dans une construction urbaine non réalisée, une structure fantasmée, qui devient le lieu des possibles. Un lieu pour s’approprier le passé.
L’originalité de ce texte hybride est d’offrir une multiplication des points de vue intelligente et indispensable pour s’emparer, sans la ravir, de soixante-ans d’histoire. Une histoire qui appartient à tous, et dans laquelle la France a joué un rôle. L’indignation et l’horreur nous gagnent à la lecture du récit lucide d’un capitaine français pendant la guerre d’Algérie. La terreur des attentats et des intimidations, vécue par les narrateurs, se fait contagieuse pendant la décennie noire. Les personnages féminins surtout, Ksu et Fella, sont les plus attachants, comme si déjà, les femmes voyaient plus loin que les hommes.

« Je tangue.
À force de monter sur le toit-terrasse, j’ai attrapé une vue d’oiseau. Je vois là-bas, dans le désert, une vieille base vie envahie par le jasmin. »

Fragment après fragment, quelques motifs reviennent : en face du Milk Bar, l’image de la statue d’Abd el-Kader, repeinte au gré des circonstances politiques ; les passages versifiés, rythmiques, qui ponctuent les récits ; le syntagme « Abel court », qui court littéralement au fil des pages jusque sur les rabats de la couverture. Ce n’est pas une langue difficile, mais ce livre n’est pas lisse. Et si sa lecture peut surprendre, ses aspérités nous permettent encore de nous accrocher.

Les constructions de Le Corbusier auraient pu s’élever dans le ciel d’Alger. L’œuvre de Sonia Chiambretto prend aussi de la hauteur, à sa manière, en construisant des ponts entre tous ces différents récits sur les rives de la Méditerranée.

Marc Decoudun
contact@marenostrum.pm

Chiambretto, Sonia, « Gratte-ciel : récit », Arche éditeur, 20/08/2020, 1 vol. (136 p.), 14,00€

Le « plan Obus » sur le cite de la FONDATION LE CORBUSIER
et l’interview de l’auteur sur FRANCE CULTURE

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