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Cécile Berly, Guillotinées : Marie-Antoinette, Madame du Barry, Madame Roland, Olympe de Gouges, Passés composés, 01/02/2023, 1 vol. (171 p.), 17€.

Si les implacables excès de la Révolution répugnent à la plupart des personnes – mais pas toutes ! – nous nous sentons encore plus meurtris lorsqu’il s’agit de victimes féminines. Nous les imaginons fragiles, sans défense, soumises à une justice arbitraire autant que sauvage. Point de misogynie dans cette impression, simplement un sentiment atavique pour le sexe “faible” qui connaîtrait de manière plus intense les affres de l’horreur devant le sinistre couperet. Or, devant la certitude d’une fin odieuse, les femmes et les hommes sont “égaux en droit”.
Si Cécile Berly tient à nous relater la mort de quatre personnalités incontournables de la Révolution, c’est qu’elle est spécialiste des héroïnes connues ou inconnues. Sa production littéraire, reconnue, mélange avec succès son expérience d’historienne et sa verve d’écrivain. Elle va relater la fin de vie poignante de quatre figures de cette époque tragique de la Révolution, qui se voulait paisible. Pour cela, elle va disséquer son propos en plusieurs chapitres chronologiques : “arrêtées, emprisonnées, jugées, condamnées, guillotinées”, plutôt que nous exposer la biographie de chacune de ces femmes promises à l’échafaud.
Pourquoi elles ? Par misogynie, justement ! Parce qu’elles représentent aux yeux des pires révolutionnaires une incursion intolérable dans un monde nouveau ou seuls les hommes ont leur place. Ils remplacent l’abolition des privilèges de 1789 par une autre séparation sociale : le genre.

Qui sont-elles, ces victimes expiatoires du Comité de salut public ?

La plus connue, sans doute, et aussi la plus haïe par la Révolution, c’est sûrement Marie-Antoinette de Lorraine, ex-reine de France, veuve du ci-devant Louis Capet. Elle représente pour les Jacobins la quintessence du pouvoir absolu honni.
À l’opposé, la Convention va décréter qu’une bonne et sincère révolutionnaire ne mérite plus de la Patrie. Ses crimes ? Avoir été une fervente disciple de Rousseau, dont les nouveaux maîtres de la France se targuent de suivre les préceptes, se mêler de politique et surtout être l’amie indéfectible des Girondins proscrits. C’est Madame Rolland.
Olympe de Gouges sait écrire, et très bien. Trop bien peut-être ! Sa réussite littéraire, ses fins articles de presse, sa sincérité intellectuelle et, par là, ses écrits pamphlétaires ne peuvent que gêner ceux qui entendent conduire le pays vers une épuration de la doctrine déviante.
Enfin, dernière maîtresse de Louis XV, icône emblématique d’une monarchie exécrée et désormais révolue, Madame du Barry, la “catin royale” incarne ce que l’Ancien Régime a de plus futile et de plus méprisant. Pourtant, elle se tient bien tranquille depuis la mort de son royal amant vingt ans auparavant.
Mais de quoi les accuse-t-on pour mériter le pire des sorts ? Comme souvent, il est facile de trouver un ou des motifs irréfutables lorsqu’on veut parvenir à ses fins. Ne dit-on pas : “Lorsqu’on veut tuer un chien, on dit qu’il a la gale”. Pour l’une, d’avoir fomenté la violence et d’avoir incité la contre-révolution au travers de courriers compromettant de nombreuses personnalités. Pour enfoncer le clou, on parle d’inceste, de gestes déplacés et de subornation. Pour une autre, d’avoir corrompu son ministre de mari en rédigeant ses propres courriers pour le dévier de la pureté de la Révolution. Si l’accusation ne suffit pas, on rajoute aux pièces à conviction les preuves de ses accointances avec les désormais ennemis de la Patrie : ces crapules de Girondins qui trouvent que la Terreur fait couler trop de sang. Olympe de Gouges, quant à elle, insulte le Peuple et ses représentants incorruptibles dans des pamphlets révoltants, niant de ce fait les bienfaits de la Révolution. Au cas où, on lui collera un crime de corruption et de pots-de-vin. La du Barry a été victime d’un cambriolage au cours duquel ses bijoux ont été volés. Les coupables sont arrêtés à Londres avec une partie de leur butin. La comtesse se rend plusieurs fois en Angleterre dans le cadre de cette affaire. Excellente occasion pour l’accusateur public de dénoncer des faits indéniables de collusion de la catin royale avec les nobles exilés à Londres. Cet agent de liaison de la réaction royaliste ne s’avérerait-elle pas un sinistre espion des émigrés ?
Les conditions d’incarcération de ces quatre malheureuses sont un cas d’école dans l’échelle de la cruauté, qu’elles s’exercent physiquement ou psychologiquement. Bien qu’elles ne soient pas logées à la même enseigne, les prisonnières sont promises à toutes les vexations. Leur état de santé empire à chaque nouvelle dégradation de leur condition de détention, au point d’en faire des fantômes, au mieux, des impotentes pour la majorité. Aucune intimité ne leur est permise, aucune sortie autorisation de s’extraire, ne serait-ce que quelques heures, de leur immonde bouge. Si elles obtiennent, le plus souvent grâce à des pots-de-vin ou à l’attitude de quelque bonne âme, de quoi se distraire, ces menus plaisirs ne leur enlèvent, en aucun cas, la chape d’horreur qui est leur quotidien.
Enfin, vient le jugement ! Elles l’attendent de toutes leurs forces, croyant pouvoir émouvoir Fouquier-Tinville, le terrible accusateur public. L’énergie du désespoir les fait se défendre contre toutes les calomnies dont elles sont accusées. Elles ne savent pas que leur sort est scellé depuis longtemps. Les cris de la populace se mêlent aux imprécations des juges. Le verdict tombe : la mort !
Il n’est pas besoin de perdre du temps en vains appels à la clémence, la sentence est exécutoire dans les 12 heures. Alors chacune, après d’ultimes vexations, monte les marches qui la mènent à la charrette, sous le regard haineux des sans-culottes. De la Conciergerie à la place de la Révolution, une foule dense et hystérique lance des quolibets et des objets sur les femmes, désormais d’une dignité qui force le respect, qui n’ont même pas droit à la paix de leur dernier instant. On retiendra une assistance plus calme lors du passage de Madame Rolland, dont la sérénité est rompue par un butor qui s’exclame : “A la guillotine !”. La condamnée répondra : “J’y vais ! “

C’est au pied de l’échafaud que se révèlent les tempéraments mais également les limites du courage. Madame Rolland dira, voyant la statue de la Liberté qui remplace l’effigie de Louis XV à cheval : “Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! “ Marie-Antoinette, en montant les marches vers la guillotine, écrase le pied de Samson. Elle lui dira : “Excusez-moi, Monsieur le bourreau”. Enfin, Madame du Barry, éplorée, ne comprenant toujours pas pourquoi elle a été promise à la mort, s’accroche à la charrette, aux montants de l’escalier. “Encore un petit instant, Monsieur le bourreau”.

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Chroniqueur : Renaud Martinez

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