Lotte Hammer et Soren Hammer, Heidi Chérie, Traduit du danois par Frédéric Fourreau, Actes sud, 01/05/2024, 480 pages, 23,80€
Qui est Heidi ? C’est toute l’énigme de ce roman policier écrit à quatre mains par le duo Hammer, un frère et une sœur dont c’est le sixième opus. Car l’identité d’Heidi pourrait mener à celle du meurtrier, qui s’en prend aux enfants des forces de l’ordre. D’abord une fillette enlevée puis assassinée, ensuite deux adolescents kidnappés mobilisent toute l’attention de Konrad Simonsen, chef de la Criminelle danoise, et son équipe.
La petite Ida disparaît de sa crèche en pleine forêt, déjouant l’attention des puéricultrices qui en ont la garde. Immédiatement le roman passe d’une atmosphère insouciante, jeux d’enfants dans un cadre idyllique, à une tension que les auteurs maintiennent jusqu’à la fin du récit.
Des personnages récurrents
Une constellation de personnages se dessine ici : l’équipe des enquêteurs Gurlu Iversen, la préfète de police. Konrad Simonsen, « un homme de soixante-deux ans, grand à moitié dégarni, avec un visage lourd et empreint d’une autorité naturelle et des sourcils noirs et broussailleux. » Ensuite vient son épouse, Nathalie Von Rosen surnommée la Comtesse, une femme blonde élégante, d’environ dix ans de moins. Arne Pedersen, l’adjoint et bras droit de Konrad, et Klavs Arnold. Anna Mia, la fille de Konrad, qui attend un bébé. Ils forment un groupe récurrent auquel le lecteur s’attache au fil des épisodes et qui contribue à sa fidélisation selon le principe de la fiction sérielle. En effet leurs histoires personnelles nourrissent le récit d’actions secondaires, en parallèle à l’intrigue principale. La tension est renforcée par différents éléments, en particulier la présence d’Anica Buch, une enquêtrice peu fiable qui réintègre l’équipe. Son arrivée menace l’harmonie générale.
Anica Buch était une jeune femme brune de trente ans, grande, avec des traits slaves sans grande finesse. Elle avait débarqué d'ex-Yougoslavie alors qu'elle n'était qu'une enfant. Elle était en uniforme, mais sans casquette, et s'assit sur la chaise que la Comtesse lui indiqua. Son expression corporelle était fermée et elle avait du mal à les regarder dans les yeux.
Ce personnage, qui a coutume de travailler en solo, aura du mal à regagner la confiance de l’équipe. La personnalité complexe d’Anica se révèle au fil du récit en particulier quand elle se remémore son enfance en Serbie marquée par la guerre.
Une enquête classique
Le roman est construit comme bon nombre de policiers suivant les procédures attendues, interrogatoires, recherche à l’aide de chiens, disparition du principal suspect, etc.
Divers obstacles menacent l’enquête. Certains soupçons s’avèrent peu à peu fondés. Le récit permet aussi de plonger dans la conscience du meurtrier, un personnage obsessionnel qui fête pour la troisième fois de l’année l’anniversaire de sa petite fille, toujours âgée de huit ans pour lui, alors qu’elle devrait en avoir 11. Le mobile n’est pas vraiment défini, les auteurs livrant des indices avec parcimonie en évitant les précisions spatio-temporelles ou tout autre détail susceptible de mener le lecteur sur la piste. En même temps cet anniversaire fantasmé, en l’absence d’enfants, revêt un caractère extrêmement glaçant.
La peur gagne les forces de police qui se sentent menacées par le meurtrier. Elle se renforce avec l’enlèvement des deux adolescents décrit dans sa brutalité. Contrairement à ce qui se passait pour la petite Ida, la rencontre avec le kidnappeur et les détails de la captivité sont livrés cette fois au lecteur, suscitant incertitude et angoisse. La vidéo postée par le meurtrier montrant la torture d’Helen Boyle est aussi destinée à renforcer la psychose policière. Les complicités dont jouit le meurtrier, extrêmement bien organisé, et connaissant le système de l’intérieur, compliquent la tâche des enquêteurs.
Fausses pistes, témoins parfois réticents, tentative de suicide, autant d’épisodes qui retardent le récit jusqu’à la révélation finale.
Une société danoise sous surveillance
Le roman évoque aussi la relation entre police et justice et le système judiciaire danois qui exige des bases solides pour permettre à la police d’accéder aux données personnelles, téléphoniques ou bancaires des suspects. Sur les questions de surveillance, les regards diffèrent. Anica Buch et Arne Pedersen expriment leurs opinions opposées. Pour Arne, la surveillance de la vie privée, loin de s’avérer inquiétante pour ses concitoyens comme le pense Anica, leur procure au contraire un sentiment d’importance et de sécurité.
Tu es quelqu'un, et pas seulement un grain de sable dans l'immensité de la plage, tu comptes justement parce que quelqu'un daigne garder un œil sur toi. Ou plutôt parce que tu crois que quelqu'un garde un œil sur toi, car c'est du pareil au même. Comme la Bible le clame si justement: "Les yeux de Dieu surveillent les voies de l'homme et il regarde sous ses pas. Autrefois c'était le privilège de Dieu et même son rôle de nous surveiller, aujourd'hui c'est celui de l'Etat-providence social-démocrate, mis ça nous procure le même sentiment de sécurité".
Le récit met l’accent sur les rapports parfois conflictuels avec le ministère de la justice en particulier le PET. Il évoque les milieux néo-nazis, avant se centrer d’autres problèmes sociétaux.
Un monde mafieux
Les auteurs décrivent l’univers des motards ou se focalisent sur le trafic d’êtres humains, notamment celui que pratique la mafia russe, et le sort des prostituées, à travers deux figures de femmes : Benedikte Lerche-Larsen, qui s’adonne au proxénétisme ou Gintare Pukiene, quittant sa famille à 13 ans pour aller vivre à Vilnius. Contrainte de se prostituer, elle est vendue à un réseau qui la conduit à Prague. Elle est ensuite rachetée par Benedikte. Cette figure d’immigrée clandestine offre un parallèle intéressant avec celle d’Anica, exilée à cause de la guerre, mais intégrée à la société danoise, dont elle fait respecter les lois. Gintare livre aux enquêteurs une description des violences policières qui s’exercent sur les prostituées, dans un film qu’on leur a montré pour les convaincre d’éviter la police. Le traitement des prostituées va au-delà des sévices physiques. Celles de Benedikte sont plutôt bien traitées si elles se montrent dociles et coopératives. En revanche, la souffrance morale ne s’efface pas. Gintare prend des douches aussi incessantes qu’obsessionnelles car elle se sent sale en permanence. C’est une figure touchante de victime, au même titre que les petites filles du récit, qui s’attarde aussi sur des portraits de gangsters russes comme Igor Khordorkovsky. Il est également question de dépôts d’armes, de drones tueurs, de meurtre à la ricine rappelant l’affaire du parapluie bulgare, dans une enquête qui se complexifie. Ainsi, le lecteur va de surprise en surprise jusqu’au final.
Dans la lignée des polars scandinaves, un roman agréable à lire, passionnant et foisonnant, qui entraîne le lecteur à sa suite et le tient en haleine. À dévorer d’urgence.
Chroniqueuse : Marion Poirson
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