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Sabine Rousseau, Henri Burin des Roziers – 1930-2017, Éditions du Cerf, 12/10/2023, 480 pages, 29,00 €.

Comment écrire sur la vie d’un homme au parcours prophétique dont le besoin de justice n’a d’égal que celui d’une irrépressible liberté ? Et comment définir le sens d’une existence, telle que celle d’Henri Burin des Roziers sans en tisser pour autant une légende ?
C’est disons-le tout net, le tour de force réussi par Sabine Rousseau dans cette passionnante biographie, qui n’a rien d’une hagiographie comme elle s’en défend.
Pour rendre le plus accessible la complexité du personnage il lui fallait naviguer entre deux écueils comme elle l’a spécifié lors d’une conférence donnée aux dominicains du couvent Saint Jacques. Soit entretenir une légende dorée, nourrie de petites anecdotes souvent répétées ou risquer de produire une analyse objective mais désincarnée, privée de chair.
Pour éviter ces deux travers, l’historienne qui avait précédemment publié deux ouvrages à ce sujet : Les crucifiés de la terre et Comme une rage de justice, parus aux mêmes éditions du Cerf, s’est appuyée s’est appuyée sur deux atouts. Sa parfaite connaissance de l’intéressé et le recueil qui lui ont permis d’étayer les faits d’un long parcours d’existence et d’administrer autant que possible le régime de la preuve.
Une démarche des plus honnêtes qui concourt ainsi à dessiner le portrait d’un homme exceptionnel sans jamais l’auréoler de la lumière diffuse qui caractérise souvent ce genre d’essai. De sorte que cet ouvrage d’environ cinq cents pages scindé en quatorze grands chapitres, se lit comme un véritable roman.

Une existence passée à faire le lien

Avocat au barreau de Paris avant d’entrer en vie religieuse et de se consacrer à restaurer la dignité des paysans de Haute-Savoie d’abord, puis longuement des travailleurs esclaves au Brésil, Henri Burin des Roziers est le prototype d’un destin singulier comme le souligne Guy Aurenche dans la préface.

Une existence passée à apprendre et ré-apprendre à faire du lien à savoir s’ajuster. Non pas comme le caméléon prenant les couleurs du temps, mais comme le juste, celui qui a réussi l’impossible rendez-vous avec la vie bonne, comme la qualifient les Latino-Américains.

Toute une somme de vertus à laquelle l’environnement familial n’est cependant pas étranger. Pour autant que ces choix ultérieurs – politiques aussi bien que religieux — aient pu provoquer quelques fêlures, cette unité familiale demeurera constante. C’est ce dont va attester l’autrice en liminaire de sa biographie par un courrier que le jeune Henri adresse à sa mère lorsqu’il était étudiant à Cambridge.

Votre gentillesse et votre affection à papa et à vous m’ont rudement aidé, je vous en suis reconnaissant. Je réalise maintenant combien cela doit être dur pour les garçons dans mon cas qui n’ont pas une famille comme la mienne pour les soutenir.

Une confiance à s’épancher auprès de ceux susceptibles de le comprendre qui le conduira à s’exprimer librement. Ainsi, de la lettre envoyée à son père, lorsque officier durant la guerre d’Algérie il manifestera sa très nette aversion vis-à-vis des représailles touchant les populations civiles autochtones.

Dans et à l’extérieur du couvent

Notre répression est terrible, au point d’en être écœurante et angoissante. Pensez, comment l’autre jour, on a complètement brûlé dix mechtas environnantes laissant sans abri des dizaines de familles qui n’ont plus rien. Nous employons en fait les méthodes qu’on reprochait avec tant de haine aux Allemands. Déroutant !

Est-ce ce constat d’inégalité ou une quête intérieure qui vont l’orienter vers une vie religieuse ? Sans doute un peu des deux dans son choix pour l’ordre dominicain qui offre à ses yeux le double avantage d’une vocation contemplative et apostolique, c’est-à-dire dans et à l’extérieur du couvent.
En réalité, s’il affectionne les premières années d’étude à Lille, il est beaucoup moins à son aise par la suite à Paris où il demeure plus sensible à la prédication qu’aux arguties livresques des cénacles thomistes. Avec son implication en qualité d’aumônier d’étudiants puis auprès du centre Saint Yves, son orientation va peu à peu prendre tournure, telle que l’explicite Sabine Rousseau. A commencer par son questionnement sur le devenir humain à la veille des événements de 1968.
S’agissant du genre d’hommes que la société est en passe de créer, il le définit ainsi :

Un homme qui refuse qu’il y ait des laissés-pour-compte dans une société Un homme qui croit à l’importance de cette dimension humaine qu’est la culture. Un homme qui veut être autre chose qu’un consommateur…

Ce sera le point de départ d’une expérience de la marge. En accord avec le provincial, il partagera en compagnie d’un autre frère dominicain, la vie du monde ouvrier à Besançon dans un premier temps puis du milieu paysan sur les hauteurs d’Annecy. Une façon pour eux de se recréer intérieurement et de communier avec les conditions de vie et de travail d’un environnement pauvre culturellement et matériellement.

L’attention aux autres, sève d’une vocation

C’est là, au contact de réfugiés politiques sud-américains, qu’il prendra la décision de poursuivre son apostolat de l’autre bord de l’océan. Au Brésil notamment, là où il y a des combats à mener pour défendre les droits humains élémentaires et depuis longtemps bafoués des populations exploitées, comme il l’explique.

Car il s’agit vraiment là de l’Église des pauvres, pour une fois pas en paroles mais en réalité et que tous ces gens n’apparaissent pas là comme passifs, mais comprennent leur vie par rapport à l’Évangile, n’hésitant pas à dénoncer les injustices dont ils sont victimes.

Toute une somme de spoliations et d’asservissements que Rubin des Roziers se fera un devoir de défendre en tant qu’avocat. Lui qui n’avait jamais exercé ce métier en France va le pratiquer en obtenant officiellement sa carte d’avocat dans l’ordre brésilien.
Des années durant, il va ainsi se confronter et plaider pour ces milliers de Sans-terre alternant quelques victoires judiciaires avec les menaces d’expulsion et même de la prison. Ce qui ne diminuera pas pour autant sa motivation à poursuivre sa lutte contre “la bête immonde du capitalisme face à ce peuple de pauvres, ingénu, fragile et aux mains nues.”
Déterminé dans son apostolat auprès des plus démunis parce que soutenu par une prégnante vie de foi, celui-ci n’agira jamais cependant, comme un électron libre. Ce sera en grande partie l’objet de la conclusion de l’autrice. Toute sa vie durant, Henri Burin des Roziers fut un homme de fidélités qu’après avoir brillamment démontré dans sa biographie, Sabine Rousseau va judicieusement énumérer dans les derniers mots de l’ouvrage.

Sa famille qui le soutint activement et matériellement sans faillir, ses frères et sœurs dominicains qui tentèrent avec lui de réinventer l’Eglise, les communautés paysannes ainsi que les militants syndicaux dont il partagea les combats. Preuve que l’attention aux autres, fut la sève de sa vocation.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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