Les défenseurs des chiffres romains, des locutions latines, du « Journal de Mickey » ou « d’Astérix », liront avec gourmandise cette « Histoire incorrecte de Rome ». L’esprit de Lucien Jerphagnon et la justesse historique font du bien dans ce contexte de révisionnisme (anachronique par définition). C’est à un étonnant voyage dans l’histoire de la Rome antique que nous invite ce livre.
Dans le chapitre « XVIII. Adnotationes » qui rassemble sources, suggestions bibliographiques (et surtout les commentaires de l’auteur), Giusto Traina avoue que, « par imitatio » son livre aurait dû s’intituler d’après le livre d’Andrea Marcolongo, « La Langue géniale : 9 bonnes raisons d’aimer le grec » (Les Belles Lettres). Ce sera pour l’édition française « Histoire incorrecte de Rome », mais je ne résiste pas à la tentation de traduire, grossièrement (je n’ai jamais fait d’italien), le titre de l’édition originale : « L’histoire spéciale, pourquoi nous ne pouvons pas nous passer des Romains antiques « (La Storia Speciale, Perché non possiamo fare a meno degli antichi romani, Laterza & Figli). L’historien de l’Antiquité, spécialiste de l’Arménie, à Sorbonne Université et au sein du laboratoire de recherche Orient et Méditerranée, répond immédiatement à la question en citant dans le titre du premier chapitre, le poète Horace « De te fabula narratur » (Satires I 1, 69-70), autrement dit « cette histoire te concerne ». Oui, mais pourquoi ?
En Italie, comme en France, il est facile de noter un recul significatif de l’enseignement des lettres classiques et même d’une culture antique. Giusto Traina souligne que, parmi les défenseurs de l’histoire, il s’en trouve certains qui ne s’intéressent qu’à l’histoire contemporaine. Dans nos deux pays, la classe politique affiche sans honte non seulement son manque de culture, mais n’hésite pas à afficher son mépris pour elle. Naguère, l’histoire et la culture antique appartenaient à la culture générale. Cet horizon disparaît quand se creuse, année après année, un fossé de plus en plus grand entre études littéraires et études scientifiques. Il y a d’un côté l’adaptabilité utilitariste à un marché de l’emploi et, de l’autre, un enseignement considéré comme inutile. Je me souviens pourtant d’un ancien dirigeant de L’Oréal qui était diplômé d’Oxford en… littérature.
Reformulons la question : est-ce que l’histoire antique a encore quelque chose à dire à notre époque ? L’auteur précise tout de suite qu’il ne s’agit pas de confirmer « une vision de la “romanité” par laquelle d’aucuns justifient aujourd’hui des positions xénophobes et leur haine […] sur la base d’une vision distordue des institutions et du droit des Romains ». Parmi d’autres idées fausses qu’il corrige, le salut prétendument romain, bras tendu, est une invention de Giovanni Pastrone, dans le film « Cabiria » (1914) avec la collaboration de Gabriele D’Annunzio. Nous lirions avec intérêt « Le Livre noir des récupérations de l’Antiquité » dont l’historien suggère la rédaction !
Cette histoire insolite contribue déjà à débroussailler la Rome antique. Les XVIII chapitres (comme l’auteur, nous insistons sur les chiffres romains), tous titrés en latin (il insiste encore), revisitent ce que nous connaissons ou croyons connaître de ce passé qui a tant à nous dire. L’histoire est peut-être une école de vie (« historia magistra vitae », selon la formule de Cicéron dans le « De oratore »), mais elle est surtout « le domaine des orateurs ». Pour se défier des constructions historiques, des relectures anachroniques et biaisées, il est important de connaître cette histoire, d’en mesurer les écarts avec notre époque, d’admettre sa singularité, avant, peut-être, de construire des ponts pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui.
L’histoire ne se répète pas, ce n’est pas le propos de cet ouvrage. Grâce à des dizaines d’exemples choisis, empruntés au pompeux Cicéron ou aux très sérieuses bandes dessinées d’Astérix ou de Donald, commentés avec un esprit ironique ou grave, et un humour critique, Giusto Traina balaye toute l’histoire antique de la Ville éternelle. De la série « Rome » à Boris Johnson, il assemble des éléments épars pour nous « montrer que l’Histoire romaine mérite d’être racontée de façon “incorrecte” et que, Italiens ou Français, nous avons un lien particulier avec elle ». Nous en redemandons.
Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm
Traina, Giusto, « Histoire incorrecte de Rome », traduit de l’italien par Eric Vial, Les Belles lettres, 19/03/2021, 1 vol. (284 p.), 19,50€
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