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Hôtel Baron : mémoire d’un Alep cosmopolite en ruines

Taline Ter Minassian, Hôtel Baron. Ed. Bibliomonde. 25/11/2025. 275 pages. 18 €

Chaque livre porte une histoire particulière en raison de la trajectoire de son auteur ou des souvenirs vrais ou romancés qui s’y rapportent. Parfois le texte est au croisement de plusieurs routes et de l’Histoire. Qui aura connu jadis Alep et son célèbre hôtel trouvera dans l’ouvrage de Taline Ter Minassian, historienne spécialiste du Caucase et du Moyen-Orient, un véritable trésor et des souvenirs qui font aujourd’hui partie de l’histoire de la Syrie avant la barbarie de Daesh. Ce que l’on dit de cet hôtel pourrait s’appliquer aussi à l’Hôtel Péra d’Istanbul construit à la fin du 10e siècle pour accueillir les voyageurs de l’orient Express ; dont Agatha Christie et de l’Hôtel La Mamounia accueillant Winston Churchill. Des Hôtels qui sont plus que des hôtels. Ce sont de véritables institutions. Dans Hôtel Baron, l’auteur propose un récit singulier, à la frontière entre l’essai historique, le reportage et la réflexion personnelle. Prenant pour point d’ancrage l’Hôtel Baron d’Alep, aujourd’hui marqué par la guerre syrienne, l’auteure explore la mémoire d’un espace chargé d’histoire, tout en interrogeant la disparition d’un monde cosmopolite au Moyen-Orient. L’analyse politique approfondie du conflit syrien n’est pas au cœur de la démarche de l’écrivaine.

L’Hôtel Baron n’est pas seulement un décor, mais un véritable personnage

Il est le témoin silencieux des bouleversements politiques, culturels et humains du 20e et du début du 21e siècle. À travers cet établissement Alep est présenté comme un carrefour de civilisations. Cet hôtel illustre était fréquenté autrefois par des diplomates, des aventuriers, des intellectuels et des figures politiques et historiques. Ce choix permet de donner une profondeur historique à un lieu souvent réduit, dans les médias contemporains, à l’image de la destruction et du chaos. Le livre s’inscrit dans une démarche de réflexion sur les ruines, matérielles et symboliques en interrogeant la disparition des lieux de sociabilité cosmopolite et la fragilité des équilibres culturels au Moyen-Orient. L’auteure pose une question universelle : « Que reste-t-il des mondes détruits, et comment les raconter sans céder à la nostalgie ? »

Mémoire d’un monde perdu dans l’écho des ruines syriennes

Le ton mélancolique et contemplatif ne cherche pas à produire une parole centrée sur une nostalgie et sur la disparition d’un monde cosmopolite fréquenté par des élites, au risque de reléguer au second plan les expériences des populations ordinaires. On pourrait néanmoins être de temps à autre un peu tendu à le croire… L’ouvrage est sensible et intelligent. Il permet le dialogue entre histoire, mémoire et écriture. Plus qu’un livre sur la Syrie en guerre, il s’agit d’une réflexion sur la perte, l’exil et la fragilité des mondes humains. En mêlant les références historiques, les souvenirs personnels et les observations géopolitiques, Taline Ter Minassian, donne au texte et à l’hôtel une voix et une place qui parlent en faisant anamnèse de l’essentiel. « Qui aurait cru que cet hôtel se taise à jamais ? » Ici, il continue à exister et à émerger des ruines tout comme le Souk extraordinaire de cette ville unique. L’Hôtel Baron apparaît comme un lieu-mémoire, témoin d’un Alep autrefois carrefour commercial, culturel et politique. Alep abrahamique, du temps des caravanes, de la transhumance des hommes et des bêtes au cœur du Croissant fertile, lieu de passage et de migrations, lieu culturel et spirituel tout à la fois avec sa Citadelle et son histoire singulière.

Taline Ter Minassian éclaire l’histoire culturelle du Moyen-Orient

À travers ce lieu-mémoire, l’auteure évoque la disparition d’un Alep cosmopolite et retrace les transformations historiques et culturelles du Moyen-Orient. Il incarne un Moyen-Orient pluriel, ouvert et connecté au reste du monde. Taline Ter Minassian retrace les transformations profondes de la région, du mandat français aux conflits contemporains, sans jamais céder à une narration strictement chronologique. L’ouvrage renouvelle la manière de penser l’histoire du Moyen-Orient contemporain. Plus qu’un livre sur Alep ou sur la guerre syrienne, Hôtel Baron est une invitation à réfléchir à ce que signifie transmettre le souvenir d’un monde définitivement disparu.

Destruction et mémoire au cœur d’un récit historique sensible

Le livre privilégie la réflexion sur la mémoire, les ruines et la perte plutôt qu’une analyse politique systématique du conflit syrien. La guerre a bouleversé les repères habituels du travail des historiens, les archives ont été détruites et Alep à jamais a perdu d’une certaine façon l’âme qu’elle gardait comme un trésor, et qui s’efforce de retrouver avec peine aujourd’hui. Damas, Palmyre, Lattaquié, Hama, Homs, Deir ez-Zor, Maaloula, Sednaya, Deir Mar Moussa…, autant de lieux et de villes, qui ont chacune ressenti en leur chair la destruction, l’annihilation, la douleur de la perte, et des blessures infligées aux Hommes, au patrimoine syrien et universel de l’Humanité. L’Hôtel Baron, la Citadelle, le Souk, la mosquée omeyade grandement endommagée en octobre 2012 et son minaret détruit par des bombardements du 24 avril 2013. La ville a connu cette douleur et ce drame. En ce sens, l’ouvrage dépasse le seul cas syrien et pose des questions universelles sur le rapport entre histoire, mémoire et écriture.

Taline Ter Minassian nous permet de repenser l’histoire à partir des traces et des mondes disparus. Elle nous permet de nous rapprocher d’Alep et de la Syrie au moment où les médias tiennent une fois de plus le Proche-Orient et les Chrétiens d’Orient à distance. Elle nous invite, dans ce moment incertain pour les Syriens, à vivre au travers de cet hôtel le passé, et l’avenir de ces lieux qui restent « magiques », historiques, romantiques, et combien chers à nos cœurs. Merci aux Éditions Bibliomonde de nous faire voyager, et à son auteure de nous plonger au cœur de la vie des Alepins. Un livre charmant et délicat qui fera sans doute un beau cadeau à offrir pour Noël.

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