Katja Schönherr, La famille Ruck, traduit de l’allemand par Barbare Fontaine, Zoé, 28/08/2024, 352 pages, 23€
La famille Rück, c’est un trio formé par une vieille mère acariâtre, un fils égoïste et mythomane, et une petite fille, ado agaçante, qui porte en étendard ses idéaux écolos. Quand la grand-mère tombe lourdement dans l’escalier et se fait une vilaine fracture, son fils n’a pas d’autre choix que de sacrifier ses vacances et de traîner sa fille au chevet de cette mamie ni gâteuse ni gâteau d’ailleurs…
Telle est l’intrigue d’un récit situé dans une bourgade de l’ancienne Allemagne de l’Est imaginé par Kajta Schönherr qui poursuit après le brillant Marta et Arthur son exploration des liens familiaux dont la complexité n’a d’égale que le côté jubilatoire.
Dès les premières lignes, le ton est donné. Inge est une râleuse et son monologue intérieur axé sur la recherche de responsables à cet accident, avec comme figue de proue son crétin de fils, préambule des difficultés à venir.
D’autant que ce dernier après avoir tenté de déroger à son rapatriement vers la maison maternelle pour cause d’obligations professionnelles se verra contraint malgré tout, de se coltiner les foudres de sa mère. Accompagné de surcroît par son ado de fille, dont la mère avait d’autre projet avec son nouveau compagnon.
Admirable portraitiste
Ce huit-clos ainsi défini, l’autrice va prendre le temps de portraiturer ses trois intervenants. En commençant par la grand-mère râleuse, toujours insatisfaite, qui ne manque pas de le faire savoir à tout bout de champ et qui aurait cependant quelque circonstance atténuante.
Il ne faut pas croire qu’il soit facile pour Inge de bouder. Au contraire, ça lui coûte un effort considérable d’esquiver tout regard de son interlocuteur, de couper court à toute conversation. De se taire. Pourtant elle ne peut pas s’en empêcher. Elle ne sait pas comment les autres y arrivent. Elle ne l’a pas appris, personne ne le lui a enseigné, personne ne lui a montré l’exemple.
La description du père est tout aussi atypique. Carsten, est un de ces minables cinquantenaires « qui baisouille à droite, à gauche » et fait quelques vagues présentations marketing pour une entreprise qui vend du papier-alu et des sacs de congélation. Mais lui, prétend que sa vie serait merveilleuse sans ces femmes qui l’oppressent, le pressurent, l’empêchent de faire un pas. Au premier rang desquels sa mère, bien sûr.
Alors il prétexte des voyages d’affaires à Bruxelles, arrive systématiquement en retard, se dérobe et ne répond pratiquement jamais jusqu’à se retrouver dans une tension qu’il évacue en roulant trop vite.
Lisa, la fille, ne manque pas moins de singularité. Si elle consciente des menaces de ce temps et sensible aux effets de l’environnement comme du réchauffement climatique, le reste de son comportement est ciblé sans ménagement.
Une jubilatoire comédie de mœurs
Cette lycéenne de quinze ans, déteste ces femmes qu'elle croise dans la rue, hissées sur leur vélo électrique, tout juste douchées et exhibant leurs mioches dans la carriole attachée derrière. Sachant que la fin du monde est proche, elle abhorre tout autant la connerie des mecs, les viandards, les vieux, les pédants, les profs qui la ramènent. Bref, soyons clairs. Aujourd'hui, Lissa trouve que tous les gens qui l'entourent sont à chier. » Ce qu’elle ne se prive jamais de dire, voire d’écrire sur des post-it qu'elle colle un peu partout, dans la rue, sur les pare-brise. Et de surcroît, elle doit supporter Tom, son beau-père d'une nullité abyssale…
Si on ajoute à cela l’ambiance d’un village moribond, quasi désert, entouré de voisins, vieux en général, et à qui rien n’échappe, on se dit qu’on n’aimerait guère partager de vacances avec un tel trio. Et c’est pourtant tout l’art déployé par Katja Schönherr de le faire évoluer. Jouant sur les travers de trois protagonistes, leurs malentendus comme leurs égoïsmes, l’autrice a un véritable talent pour mettre en scène une comédie de mœurs au style aussi plaisant qu’enlevé.
Un récit résultant en partie des affres de la vieillesse dans lequel on retrouve, comme dans un miroir, bien des traits et des contradictions de notre époque. Ce qui concourt indéniablement à faire de cette Famille Ruck, à la fois une satire sociale et un huis clos familial, synonymes d’un bel agrément de lecture.
![Image de Chroniqueur : Michel Bolasell](https://marenostrum.pm/wp-content/uploads/2021/07/Ph-M.-Bolasell-300x300.jpg)
Chroniqueur : Michel Bolasell
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