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Laurence Florisca Rivard, Implosion, Héliotrope, 02/09/2025, 256 pages, 19 €

Il existe des romans qui surgissent au moment précis où une société interroge ses fondements moraux, où les certitudes vacillent sous le poids de révélations longtemps tues. Implosion de Laurence Florisca Rivard appartient à cette catégorie des œuvres qui captent l’air du temps, tout en creusant les strates les plus profondes de la psyché humaine. Le titre, lui-même, annonce cette destruction sourde, cette déflagration intérieure qui consume les personnages sans éclat visible, dans le silence assourdissant des consciences aux prises avec l’insoutenable.

Le dispositif polyphonique choisi par La romancière orchestre une partition à trois voix – Katlyn la mère, Charles l’ami, Clémence l’amoureuse – qui tournent autour de la figure absente-présente de Sébastien Côté, jeune prodige du tennis accusé d’agressions sexuelles. Cette architecture narrative révèle d’emblée l’intelligence formelle du roman : plutôt que d’adopter le point de vue de l’accusé ou des victimes, l’autrice explore les ondes de choc qui traversent l’entourage, ces personnages périphériques soudain propulsés au centre d’un séisme dont ils découvrent, stupéfaits, qu’ils en portaient peut-être les prémices. La narration à la première personne, alternée entre les trois protagonistes, crée une intimité troublante avec des consciences qui se débattent, oscillent, se contredisent, dans une langue qui épouse les méandres de leur désarroi.

L’écriture de Laurence Florisca Rivard frappe par sa capacité à saisir les micro-mouvements de la pensée, ces instants où la certitude bascule dans le doute. Les phrases épousent le rythme haché des émotions contradictoires : “Je voudrais lui donner toute ma lumière pour qu’il ne l’arrache plus à d’autres”, songe Katlyn dans un élan maternel déchirant qui condense toute l’ambivalence de son amour. Cette prose nerveuse, parfois saccadée, parfois fluide, mime les soubresauts intérieurs des personnages. Les descriptions des espaces – l’appartement vitré de Katlyn surplombant la ville, le gym où Charles observe Sébastien, le Blue Lagoon où travaille Éloïse – deviennent des prolongements métaphoriques de l’état psychique des protagonistes, créant une géographie émotionnelle où l’intime et le social se télescopent.

Le roman déploie avec acuité la question de la complicité et de l’aveuglement volontaire. Charles, hanté par le souvenir d’une soirée à Outremont où il a aidé Sébastien à monter une jeune femme ivre dans une chambre aux murs mauves, incarne cette zone grise où l’innocence et la culpabilité se confondent. Son monologue intérieur révèle les mécanismes de déni, les rationalisations successives, mais aussi cette lucidité tardive qui ronge : la porte verrouillée qu’il a entendue sans vouloir comprendre. Laurence Florisca Rivard fait montre d’un réel talent dans la restitution de ces moments où la conscience vacille entre ce qu’elle sait et ce qu’elle refuse de savoir.

La figure de Katlyn constitue le cœur battant du roman. Mère isolée dans sa tour de verre, elle porte en elle les traces d’une violence conjugale ancienne qui résonne avec les actes de son fils. La transmission intergénérationnelle du trauma traverse le récit comme une malédiction grecque transposée dans le Montréal contemporain. Son parcours – de la sidération initiale à la découverte de la clé USB – dessine une trajectoire morale complexe qui échappe aux catégories binaires de victime et de complice. La romancière explore avec finesse cette culpabilité maternelle qui interroge : comment élève-t-on un homme dans une société où la domination masculine reste inscrite dans les corps et les imaginaires ?

Clémence, elle, incarne le déchirement amoureux face à l’innommable. Sa voix porte la contradiction d’une génération féministe qui se découvre amoureuse d’un possible agresseur. Les scènes de sexualité entre elle et Sébastien – crues, parfois violentes avec consentement – interrogent les frontières ténues entre désir et domination, entre jeu érotique et reproduction de schémas oppressifs. Le roman explore ainsi les paradoxes du désir féminin dans une culture saturée de pornographie et de performances genrées.

Au-delà de l’intrigue, Implosion dresse le portrait d’une société québécoise contemporaine traversée par les débats sur le consentement et la culture du viol. Les références au mouvement #MeToo, les discussions entre amies sur la loyauté et le féminisme, les réactions polarisées sur les réseaux sociaux ancrent le récit dans notre époque tout en lui conférant une portée universelle. L’auteure capture avec justesse cette atmosphère de tribunal permanent où chacun devient juge et partie, où l’intime devient spectacle médiatique.

Ce premier roman révèle une voix singulière qui ose affronter les questions les plus brûlantes de notre temps avec une maturité littéraire remarquable. Laurence Florisca Rivard signe une œuvre salvatrice qui refuse les simplifications morales pour plonger dans la complexité vertigineuse des relations humaines quand elles touchent aux fondements mêmes de notre humanité.

Image de Chroniqueuse : Lydie Praulin

Chroniqueuse : Lydie Praulin

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