David Khalfa, Israël-Palestine, année zéro. Ed. Le Bord de l’eau, 18/10/2024. 316 pages. 16 €
Le livre Israël-Palestine, année zéro est un ouvrage collectif dirigé par David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire du Maghreb et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès. Il réunit les contributions de chercheurs, diplomates, intellectuels et militants israéliens, palestiniens et français. Le livre se veut un espace rare de dialogue et de confrontation d’analyses, alors que le débat public est saturé par les postures binaires et les discours partisans. C’est un document réactif et réflexif collectif où prennent la parole des Israéliens et des Palestiniens aux côtés d’experts et de diplomates. Huit auteurs principaux, dont quatre Israéliens (l’historien et ancien Ambassadeur d’Israël à Paris Élie Barnavi, l’éditorialiste Éva Illouz) et quatre Palestiniens (Ghaith al-Omari ou Ahmed Fouad Alkhatib). L’auteur rassemble des contributions très diverses dans un climat de polarisation : chercheurs, activistes, diplomates israéliens, palestiniens, universitaires français. Ces voix croisées permettent de couvrir plusieurs dimensions — militaire, diplomatique, politique, sociale — et de proposer autant de fenêtres différentes sur le conflit. L’ouvrage plaide pour un effort d’introspection mutuelle et une reconnaissance réciproque, condition d’un futur processus de paix. David Khalfa cherche à comprendre ce que cette date change dans les imaginaires, les traumatismes et le discours public en France, en Europe, au Proche-Orient et en Israël.
Une "année zéro" - Les ruines et la possibilité d’un nouveau départ
Il emprunte la métaphore au film de Rossellini « Allemagne, année zéro » (1947), évoquant les ruines et la possibilité d’un nouveau départ. Le 7 octobre 2023 est présenté par l’auteur comme une rupture majeure et historique, marquant une « année zéro ». Le livre esquisse des pistes autour de la solution à deux États et du rôle que pourraient jouer les voisins arabes et la communauté internationale. L’auteur essaye d’être tout en nuance pour se dégager de la complexité. Du coup, se dégage de l’ouvrage reléguant les simplifications hâtives. Tout au long des pages se dessine une grammaire explicative expliquant le pessimisme dominant qui domine, et pourquoi la paix paraît si lointaine et si difficile à atteindre. Le livre aborde les destructions, les fractures et les blocages, mais reste assez discret sur les propositions pratiques pour sortir du conflit au-delà des vœux de paix. La solution à deux États est évoquée plutôt d’un point de vue utopique au vu des réalités sur le terrain.
Le « 7 octobre 2023 » a marqué un tournant dramatique dans l’histoire du conflit israélo-palestinien : massacre de civils en Israël, guerre dévastatrice à Gaza, multiplication des tensions dans toute la région. C’est une forte émotion provoquée, ce qui peut engendrer une certaine langue sensible, des récits poignants, mais parfois au détriment d’analyses plus distanciées ou de perspectives structurantes sur le long terme. Cet acte barbare résonne encore comme un véritable traumatisme pour l’État hébreu et la population dans son ensemble. C’est aussi un moment d’effroi pour les Palestiniens de Gaza qui subissent des bombardements massifs causant des pertes civiles à Gaza du côté palestinien et des tensions en Cisjordanie. Le livre est donc une réponse au choc moral et politique de l’attaque du Hamas suivie d’une riposte israélienne qui a profondément transformé la donne régionale au point de voir jour après jour l’élaboration d’une radicalisation des discours.
Traumatisme, la destruction, l’urgence autour d’une date
Ainsi, l’ouvrage traduit fortement l’état de traumatisme, la destruction, l’urgence. Le défi, dans ces moments-là, est de maintenir une lueur d’espoir ou au moins de perspectives envisageables. Si le constat de la rupture est pertinent, le diagnostic s’arrête souvent sur la description des blocages sans offrir de scénarios prospectifs solides. La réaffirmation de la solution à deux États, bien que réaliste au regard du consensus international, semble déconnectée des dynamiques actuelles (colonisation accélérée, affaiblissement de l’Autorité palestinienne, fragmentation du champ politique israélien). L’ouvrage ne parvient pas à dépasser cette contradiction entre lucidité descriptive et normativité prescriptive. Il déploie des thèmes centraux tels que : la montée en puissance du Hamas, l’expansion du sionisme religieux en Israël. Il relève également que la seule issue envisagée reste la solution à deux États, bien qu’elle paraisse de plus en plus s’éloigner du champ des possibles. Il met aussi l’implication (ou non) des pays arabes, des États-Unis, et des nouvelles recompositions régionales qui se font et se défont au gré des jours. David Khalfa revendique un souci de dépasser les binarismes (Bien/Mal, agresseur/victime), et de donner la parole à des acteurs modérés, de faire entendre une « éthique de la conversation ». Il n’y a pas une neutralité naïve à chercher, mais une tentative d’équilibre et de compréhension dans un contexte particulièrement chargé émotionnellement. Les contributions sont généralement bien étayées, situées dans le temps, et s’appuient sur des données géopolitiques récentes. Cela donne de la crédibilité au projet et permet au lecteur d’avoir des outils pour comprendre les enjeux complexes.
Le sentiment d’un un déséquilibre
Cela peut donner un déséquilibre selon les attentes du lecteur : ceux qui s’attendent à une défense radicale d’un camp pourraient se sentir frustrés. De plus, la sélection des contributeurs influe nécessairement sur l’angle du récit. En donnant la parole à des personnes engagées mais aussi modérées des deux camps (par exemple des activistes ou militants qui appellent au dialogue), l’ouvrage permet de briser certains stéréotypes. Les récits personnels, les témoignages montrent que les peurs, les drames, les doutes ne sont pas l’apanage d’une seule partie. Cela aide le lecteur à sortir d’une lecture purement abstraite ou géopolitique. Plusieurs chapitres exposent des faits récents, des données, des constats tangibles : l’impact humanitaire, les déplacements, les destructions, ainsi que les conséquences diplomatiques, politiques, médiatiques. Ce texte arrive à un moment où nombre de lecteurs sont préoccupés par la montée des extrémismes, la polarisation des opinions en Europe et ailleurs, et la difficulté à avoir une discussion équilibrée.
Des contributions d’Israéliens, Palestiniens et internationaux pro-dialogue dans un contexte de polarisation
L’ouvrage a le mérite rare, dans un contexte de polarisation extrême, de réunir des contributions d’auteurs Israéliens, Palestiniens et internationaux pro-dialogue. La volonté de croiser les regards donne à ce livre une couleur nuancée du conflit si souvent simplifié à l’extrême. Dans un moment où le débat public est saturé de slogans et de postures partisanes, le simple fait de réunir des points de vue contradictoires dans un même volume relève presque de l’exploit. On y retrouve des analyses, des récits de terrain, des réflexions personnelles sur les traumatismes vécus et sur ce qu’il faudrait inventer pour sortir de la spirale de violence. Quatre voix israéliennes et quatre voix palestiniennes se croisent, ce qui permet de dépasser une narration unilatérale. Cette juxtaposition produit un effet heuristique : elle met en lumière les convergences (traumatismes, peurs, désillusions) autant que les divergences (interprétation de l’histoire, légitimité des moyens de lutte). Le double processus de confessionnalisation est mis en avant en rappelant montée en puissance du Hamas côté palestinien, expansion du sionisme religieux côté israélien. Le livre documente de manière rigoureuse l’affaiblissement du camp laïc (Fatah, Travaillistes) et les conséquences politiques de cet effacement sur l’éloignement de la solution à deux États. Cette analyse structurelle constitue une contribution utile au champ académique, en intégrant des perspectives sociologiques, diplomatiques et sécuritaires.
David Khelfa rappelle l’imbrication des traumatismes fondateurs — Shoah et Nakba — dans la construction des identités collectives et des postures politiques. La notion de « projection victimaire » est particulièrement féconde pour comprendre le blocage des compromis, chaque camp s’inscrivant dans une logique mémorielle qui interdit le renoncement. La centralité du 7 octobre comme « année zéro » tend à occulter les continuités de long terme : le processus d’Oslo, l’assassinat d’Itzhak Rabin, la Seconde Intifada, ou encore la Guerre de 2014. En posant le 7 octobre comme un point de bascule radical, le livre prend le risque d’une approche événementielle au détriment d’une analyse diachronique plus complète.
Une analyse sans doute trop timorée
Le livre, néanmoins, ne va pas au bout de l’analyse car sans doute trop retenu, et voire timoré. Il n’interroge pas, par exemple, assez les implications structurelles des transformations régionales (Iran, normalisation israélo-arabe, rôle des États-Unis) ni la nature profondément asymétrique du conflit. De ce point de vue, il reste davantage un outil de sensibilisation critique et un témoignage intellectuel qu’une synthèse scientifique exhaustive. Dans un moment très chargé d’émotion et d’enjeux, remettre le dialogue en priorité, refuser le silence, proposer une lecture plurielle en écartant les simplifications est de bon augure. L’auteur cherche à comprendre non pas “qui a raison / qui a tort”, mais “comment on en est arrivé là, quelles sont les conséquences, quels obstacles réels existent au changement”. C’est un ouvrage qui, bien qu’imparfait, contribue à l’espace public : il incite à penser, à ne pas se contenter des slogans, à regarder les réalités du terrain — les souffrances des civils, les dilemmes moraux, les questions de responsabilité. Pour ceux qui veulent s’informer en profondeur, qui cherchent une entrée sérieuse dans ces débats, ce livre fonctionne très bien. Entre constat désespéré et appel à une reconstruction politique et morale, ce livre s’impose comme une tentative courageuse de rouvrir l’espace du dialogue, à un moment où il paraît presque impossible. Le livre permet au lecteur de confronter des récits croisés de terrain, des analyses militaires, politiques, diplomatiques et sociétales.
Au terme de la lecture on a le sentiment, bien évidemment, que le livre de David Khalfa ne résout pas les contradictions qu’il met en lumière, mais il assume une fonction essentielle : maintenir un espace de dialogue et de complexité dans un moment où les logiques de haine et de simplification dominent. Il s’agit, je le pense, d’un document à verser dans l’histoire de cette longue marche oscillant entre la résistance intellectuelle et la fermeture du débat sur ce conflit. L’histoire est en train de s’écrire. Les suites du 7 octobre 2023, l’attaque du Hamas au petit matin contre Israël suivie d’une riposte militaire dévastatrice dans la Bande de Gaza est encore incertaine. C’est le moment du désastre absolu pour l’État hébreu et pour la possibilité d’une reconstruction. L’auteur insiste sur la nécessité de sortir d’une logique de confrontation victimaire et de refus du narratif de l’autre.
Un livre "équilibré" dans un espace qui ne l’est pas
Ce livre « équilibré » n’est pas la garantie absolue de fédérer des points de vue unanimes entre manque de vive dénonciation pour les uns, et au contraire certains aspects sont minorés. La distanciation nécessaire pour juger rationnellement est un facteur humain, émotionnel qui risque d’emporter l’auteur et les lecteurs sur des terrains « minés par avance ». Il est difficile d’avoir une parole sereine et bien posée. L’ouvrage collectif nous permet d’entrer dans des débats complexes dans l’approche du conflit israélo-palestinien, et dans le désastre de ce jour dont on se souvient comme « le 7 octobre » comme se souvient du « 11 Septembre ». L’ouvrage engage à l’introspection et à la réflexion. Tout le monde sait à quoi on fait référence… On a besoin aujourd’hui d’un livre pour comprendre les raisons de cette montée de violence, ce qui a amené ce cataclysme, et surtout pour sortir de l’impasse et garder l’espoir.

Chroniqueur : Patrice Sabater
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