David Chanteranne, Jacques-Louis David, Passés Composés, 10/09/2025, 326 pages, 24€
J’étais en troisième. Nous venions de commencer l’étude de la tragédie d’Horace par le grand Corneille. La page de garde du classique que nous devions bientôt connaître sur le bout des doigts était décorée de la reproduction d’un tableau intitulé : « Le serment des Horaces ». J’en tombais aussitôt sous le charme et autant vous dire que cela me servit bien pour avaler de bonne grâce la totalité de la pièce. L’auteur de cette œuvre ne nommait David. Pas besoin de prénom pour cataloguer mon peintre préféré. Je vous rassure, entretemps, de l’eau a passé sous les ponts mais si l’artiste ne compte plus parmi mes idoles, il n’en reste pas moins dans le top dix.
Quelques mois plus tard, mon père nous amena à Paris pour les fêtes de Noël. Au Louvre, je pénétrais dans la salle des grands tableaux. Du haut de mes quinze ans, je découvrais stupéfait l’original du tableau cité plus haut. À la pose virile des frères Horaces et de leur père s’ajoutait le malheur consenti des sœurs et des épouses. Pas de chichi, pas de fioritures dans cette œuvre, rien que l’être humain dans son état le plus brut. Je n’en étais pas au bout de mes surprises en me retournant. Six mètres sur dix de chef-d’œuvre s’offrait à moi : « Le sacre ». En prenant tout mon temps, j’en étudiais tous les détails. Je passais ensuite devant le magnifique « Enlèvement des Sabines », le militaire « Léonidas aux Thermopyles » et le terrible « Les licteurs rapportant à Brutus le corps de ses fils ». Mon opinion était faite !
Quelques graviers dans les rouages vinrent pourtant atténuer mon admiration pour David lorsque je regardais dans mes livres d’histoire la liste des conventionnels ayant voté la mort de Louis XVI, y figurait le nom de mon peintre ainsi que son allégorie sur l’un des plus cruels révolutionnaires : le tueur Marat. On en resta là.
David Chanteranne, l’un des plus grands spécialistes de la Révolution et de l’Empire, déjà auteur d’excellents ouvrages sur la période, a décidé de nous rendre compte, dans son nouvel opus particulièrement documenté, de la vie de Jacques-Louis David, une très intéressante biographie, avec la verve et le sérieux qu’on lui connaît. Quelle bonne idée !
En effet, si l’œuvre de l’artiste est connue des amateurs, je suis prêt à parier que peu de monde est en mesure de s’exprimer sur la vie de celui-ci. Avec ce nouveau livre, le vide est comblé. Place à la biographie ! Celle-ci est judicieusement agrémentée d’extraits de la volumineuse correspondance que le destin a eu bon goût de préserver. C’est à travers elle que nous entrons dans l’intime du personnage dont on peut dire, sans se tromper, qu’il était habité par une frappante dualité.
S’il n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche, Jacques-Louis est tout de même issu d’un milieu bourgeois, en ce milieu de XVIIIe siècle. Très tôt attiré par les arts, il doit cependant entreprendre des études afin que ses parents accèdent peut-être à un rang supérieur. Alors qu’il se passionne pour le dessin et l’architecture, arts dont il s’avère être doué – on s’en doute – il épouse une jeune fille de son milieu. Elle lui donnera quatre enfants qui offriront toute satisfaction à leurs parents. Les deux garçons se distingueront sur les champs de bataille de l’Empire alors que les demoiselles épouseront des militaires renommés.
Dans cette période artistique du néoclassicisme, Louis David excelle dans des représentations toutes aussi réussies les unes que les autres. Comme dit fort justement l’auteur, notre personnage est, à sa manière, un historien. Rien ne lui échappe, ses lectures abondantes rejaillissent sur ses tableaux, truffés d’allégories et de codes historiques. Lorsque la Révolution éclate, notre homme est, sinon au fait de sa gloire, en tout cas l’une des figures de la peinture moderne. Possédant la force morale suffisante, il fait jouer son entregent pour obtenir des locaux exceptionnels afin de s’adonner à sa passion et s’entoure d’élèves dont certains atteindront le firmament. Question d’argent, il fait preuve d’une âpreté combattante qui ne lui servira pas toujours.
Le 14 juillet 1789, un autre aspect de la personnalité de David se révèle. Est-ce sincère ? Profite-t-il de la vague irrésistible qui déferle sur la France ? Sans nuance, il prend le parti des antiroyalistes, oubliant sans doute les confortables émoluments que lui ont versé les « ci-devant » dont il a réalisé de magnifiques portraits. Choisi pour immortaliser « Le serment du Jeu de paume », il se présente à la législature et est élu député. C’est au milieu de ses collègues qu’il va donner libre cours à une haine dont on comprend mal les tenants.
De pamphlets violents aux discours enflammés sur le perchoir, il dénonce sans vergogne les faibles et les nobles. Sans état d’âme, il vote la mort de Louis XVI. Coïncidence ? Il est président de la Convention le jour où le malheureux roi est conduit sur les lieux de son trépas. Dans cette période propice à une justice impitoyable, malheur aux tièdes. Les Girondins, les poètes, les écrivains seront abandonnés par le peintre qui sera sur le trajet du dernier voyage de Marie-Antoinette afin de croquer le visage de la condamnée. Ultime offensive : il se fait le chantre de Marat, l’homme à qui il fallait cent mille têtes, en immortalisant sa mort, dans sa baignoire. Il ne faut pas s’étonner qu’il soit décrété d’arrestation et emprisonné après que ses « amis » robespierristes aient suivi le même chemin que les milliers de Français qu’ils ont envoyés « ad patres ».
En revanche, Louis David, dans un élan de mauvaise foi peu commun, se défend de toute ignominie. Il attend impatiemment, dans un cul de basse-fosse, la clémence des Thermidoriens qui, voulant faire table rase du passé, finissent par le libérer. Notre artiste se remet immédiatement au travail car la période s’avère riche en évènements à peindre sur une toile. À l’occasion d’une rencontre fortuite, il fait la connaissance du vainqueur de la campagne d’Italie qui lui commande un portrait. Celui-ci, inachevé car le général Bonaparte part pour l’Égypte, restera une référence dans le domaine du dessin.
Tout en renouant avec l’art, David voit avec soulagement le général corse revenir au bercail et s’emparer du pouvoir le 18 brumaire. Il décide qu’il n’aura plus qu’un seul maître : Napoléon. Ce dernier va lui commander tout au long de l’Empire, de multiples œuvres mondialement connues. Il atteindra le paroxysme de l’espièglerie en se représentant sur le tableau du Sacre, et mieux encore, en remplaçant les traits de Joséphine par ceux de sa fille, de vingt-trois ans la cadette de l’impératrice. C’est également, dans un mélange de jalousie et d’orgueil qu’il suit la réussite artistique de ses anciens élèves tels que Gros, Vernet ou Gérard que l’empereur sollicite de plus en plus.
À la chute de l’Empire, Louis David se croit à l’abri, au vu de sa notoriété mondiale. C’est sans compter sur l’esprit de revanche – mais on peut les comprendre – des frères du roi guillotiné. Il doit s’exiler à Bruxelles, d’où il ne reviendra pas mais où il continuera à exercer son art avec brio jusqu’à sa mort.
Artiste incomparable, modèle de centaines de peintres, arriviste forcené, capable de naviguer dans les bas-fonds en parvenant toujours à sortir la tête de l’eau, Jacques-Louis David restera aux yeux du monde comme l’auteur des plus belles toiles et on oubliera certainement les mauvais penchants auxquels il s’est adonné.

Chroniqueur : Renaud Martinez
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