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L’auteur de l’inoubliable Poussière d’hommes est revenu en janvier dernier dans nos librairies avec Je suis la maman du bourreau. Anatomie d’une relation mère-fils, Homme-Dieu.

L’une des qualités du verbe de David Lelait-Helo est de disséquer les douleurs de l’âme humaine avec une plume bien taillée. Acérée et pourtant ouatée dans l’infinie compassion pour les personnages d’encre et de larmes auxquels il donne vie. Telle est la narratrice (une des voix) de ce roman, Je suis la maman du bourreau (on connaît aussi le goût de l’auteur pour les dames âgées), à la fois dure, dominante et d’une tendresse aussi profondément que sa douleur. Et sa colère.

Gabrielle de Miremont, aristocrate sûre d’elle, d’un âge fort a passé sa vie à soutenir ses deux piliers, sa foi en Dieu et son fils, devenu le père Pierre-Marie. Dans son carnet bleu et or, elle se livre à une paradoxale confession : « L’écriture me libère de mon chagrin et me porte loin […] En réalité, elle est un joug qui me laboure les chairs et l’âme. » Quand son fils descend lui-même du piédestal sur lequel elle l’a toute sa vie placé, l’ensemble de l’édifice s’effondre. Ce fils adoré, revêtu de l’habit sacerdotal qui, comme tant d’autres – et tous ne sont pas prêtres – a commis l’innommable.

Le titre s’éclaire alors. Mais ce n’est pas la question du péché ou de la faute, non plus que celle du crime odieux qui intéresse David Lelait-Helo. Ce qui l’intéresse, c’est le vernis qui craque. La surface glacée et lisse des visages qui s’effrite, l’illusion des apparences qui, confrontées à la vérité, doit se confondre elle-même à l’implacable réalité. Deux attitudes face à la vérité qui nous bouscule : persévérer dans l’erreur pour préserver l’unité du moi ou accepter l’évidence des faits quitte à refonder entièrement l’édifice que toute vie a la vanité de (se) construire. Cela demande une certaine force de caractère et un courage certain, ce dont ne manque pas Gabrielle de Miremont.

La vérité est une bombe à fragmentation. Pour Gabrielle, elle prend le visage de la victime, d’une des victimes, par qui le scandale de la vérité éclate. La vérité est toujours scandaleuse, car nous ne sommes jamais complètement prêts à la recevoir. Quand elle somme Hadrien, un jeune papa, de se présenter, Gabrielle pense d’abord à la fidélité envers son Église qu’elle voudrait préserver du scandale, « il va sans dire ». « Hadrien tenait en horreur cette expression. Il aurait voulu hurler que rien, jamais, n’allait sans dire. Parce que justement, il fallait dire, tout dire et à n’importe quel prix. » Cette confrontation devient un face-à-face, deux visages transformés par le regard et les mots (ceux qui sont prononcés et ceux qui sont tus). L’un, Hadrien, trouvera une détermination supplémentaire dans son entreprise de dénonciation, et qui est, avant tout, une tentative de reconstruction. L’autre, Gabrielle, réalisera qu’elle ne peut rien sauver de ce champ de ruines. Tout est à déblayer. Mais elle est déjà si âgée ! À moins qu’elle ne puisse aider quelqu’un… « Un homme de Dieu tue trois fois plus car il massacre votre corps mais tire aussi à vue dans votre âme et exécute votre foi. » La mère est ici une autre victime du bourreau. Elle perd la foi en même temps que son fils.

Une fois de plus, David Lelait-Helo parvient à transmuter la souffrance de destins brisés en une force motrice. La fatalité et les vents contraires, aussi douloureux soient-ils chez lui, permettent aux êtres de se révéler, de se relever. Son écriture puise dans les douleurs de la vie une volonté optimiste et émancipatrice auprès de laquelle il est bon de se ressourcer.

Lelait-Helo, David, Je suis la maman du bourreau, Ed. Héloïse d’Ormesson, 13/01/2022, 1 vol. (201 p.), 17,50€

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Marc Decoudun

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