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Georges Soler, Jules Pams humaniste et Catalan, Cap Béar, 25/11/2024, 230 pages, 18€

Il convient de souligner d’emblée l’initiative heureuse et significative de Georges Soler de s’être intéressé à Jules Pams, figure emblématique du radicalisme méridional de la IIIe République. Son ouvrage met en lumière les contradictions et les passions d’une époque charnière de l’histoire de France. Né en 1852 à Perpignan, ce « bourgeois gentilhomme », a su naviguer avec habileté entre les notables locaux et les cercles de pouvoir parisiens, se frayant un chemin jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Son parcours, jalonné de succès électoraux, d’engagements passionnés pour sa terre natale et d’ambitions politiques contrariées, reflète les complexités d’un temps où la République se consolide, où les crises économiques et sociales se succèdent et où les luttes d’influence font rage. À travers le prisme de la vie de Jules Pams, c’est toute une page de l’histoire politique française qui se dévoile. Sa relative discrétion tranche avec les envolées des figures républicaines de l’époque mais dissimule une grande et surtout efficace implication. Il laissera de lui l’image d’un travailleur infatigable pour le bien de son pays.

L’ascension d’un notable méridional (1852-1893)

Issu d’une famille aisée de négociants en vin, Jules Pams reçoit une éducation soignée, du lycée de Perpignan au lycée Charlemagne à Paris, puis à la faculté de droit. Après un passage dans l’entreprise familiale, il devient avocat à Perpignan en 1886, se distinguant par ses talents de pénaliste plaidant avec succès des cas difficiles. Parallèlement à son cursus, il s’investit dans les cercles politiques et les loges maçonniques, se constituant un réseau d’influence local. À Paris, il se lie d’amitié avec Joseph Joffre, futur commandant suprême de l’armée française, autre enfant du pays au destin exceptionnel. Jules Pams affiche très tôt son appartenance à la franc-maçonnerie, dont les valeurs d’humanisme, de progrès et de laïcité résonnent avec ses convictions républicaines. Sa présence au sein de la loge « les amis de la parfaite union » à Perpignan (qui existe encore) lui permet de côtoyer des personnalités influentes, dont le père d’Emmanuel Brousse. Ce dernier deviendra son alter ego politique, partageant avec lui une passion du terroir et une vision sociale avant-gardiste. Il tissa aussi avec le père de Brousse, une solide relation basée sur le partage des mêmes idéaux républicains et humanistes. Cet engagement maçonnique contribue à l’ancrage local de Pams et renforce son image de notable républicain. Toutefois, son particularisme affirmé lui vaudra des accusations d’accointance avec les mouvements indépendantistes, accusations infondées au regard de son engagement républicain indéfectible et de son attachement à la République une et indivisible.

L’entrée en politique de Jules Pams se fait par la voie classique des notables de l’époque : le conseil municipal de Perpignan. Élu en 1884 sur une liste radicale-socialiste, il s’illustre rapidement par sa pugnacité et son opposition farouche au maire, Alphonse Simon, devenant un de ses opposants les plus virulents. Le scrutin entre les deux listes fut très serré mais Simon, à la tête de l’Alliance, emporta une courte majorité qui installa durablement ce clivage dans le paysage politique local. Cette première expérience électorale marque le début d’une longue carrière politique. En 1892, il devient conseiller général du canton d’Argelès-sur-Mer, fonction qu’il conservera jusqu’à la fin de sa vie. L’année suivante, il est élu député de l’arrondissement de Céret, au terme d’une campagne âpre, s’affirmant comme un fervent défenseur de la laïcité et de son terroir. Son combat politique se focalise sur deux piliers : la laïcité et la défense de son terroir, plus spécialement sa ville, Port-Vendres, et la viticulture en général. Il fut constamment réélu en tant que député jusqu’en 1904, date à laquelle il deviendra sénateur. Cette période marque le début de sa reconnaissance par le pouvoir parisien et son implantation nationale. Son ascension politique est ainsi marquée par un engagement constant au service de ses convictions et de sa région, et par une capacité à s’imposer comme une figure incontournable du paysage politique local et national.

Hotel Pams à Perpignan

Le combat pour sa terre (1893-1907)

Jules Pams voue un attachement viscéral à Port-Vendres, sa ville natale, dont il perçoit le potentiel économique et stratégique. Son action se déploie sur deux fronts : la modernisation du port et la lutte contre la concurrence de Marseille. Épaulé par Emmanuel Brousse, il déploie ses talents de tacticien et de négociateur face à Maurice Rouvier, député des Bouches-du-Rhône, qui défend les intérêts marseillais. Jules Pams, fin stratège, présente un projet de loi instituant des rotations maritimes régulières entre Port-Vendres et l’Algérie, consacrant ainsi l’importance du port catalan comme porte d’entrée vers la France et portant un coup aux ambitions hégémoniques de Marseille. La bataille pour la reconnaissance de Port-Vendres comme un acteur maritime de premier plan fut acharnée, et illustre la détermination de Jules Pams à promouvoir les intérêts de sa ville et de sa région. Il batailla ferme pour que soit instituée une liaison maritime bi-hebdomadaire qui permettrait de désenclaver Port-Vendres et d’en faire un pôle d’attraction et d’échanges commerciaux significatifs avec les colonies, plus particulièrement avec l’Algérie. Cette liaison maritime fut effective en 1879 malgré les manœuvres du député Rouvier des Bouches-du-Rhône qui voyait d’un mauvais œil l’émergence d’un concurrent sérieux au monopole de fait dont jouissait sa ville.

La défense de la viticulture méridionale, en proie à une crise profonde au début du XXe siècle, constitue un autre combat majeur de Jules Pams. Fin connaisseur du milieu, il se fait le porte-voix des vignerons du Midi, dénonçant le mouillage et le sucrage des vins, des pratiques frauduleuses qui menacent les petits producteurs. Il s’oppose avec force aux départements du nord qui avaient recours au sucrage pour augmenter artificiellement le degré de leurs vins. Le Roussillon, du fait de sa situation géographique, et donc de son ensoleillement, n’avait pas besoin de ces pratiques frauduleuses pour produire des vins de qualité et d’un degré alcoolique naturel satisfaisant. La défense de l’appellation « vins naturels » et l’amélioration de la qualité deviennent ses chevaux de bataille. La crise atteint son paroxysme en 1907, avec la révolte des vignerons du Languedoc, qui manifestent pour la défense de leurs intérêts face à des parlementaires jugés trop favorables aux industriels betteraviers du Nord. Jules Pams, en fin stratège et négociateur, s’engage au cœur de cette période troublée, réclamant l’interdiction du mouillage et du sucrage. Il exige une prise de conscience des parlementaires de la gravité de la situation. La loi du 29 juin 1907, si elle apporte des réponses partielles aux revendications, provoque le mécontentement de certains départements, démontrant la complexité de la question. Mais il lutta avec force et conviction pour tenter de mettre fin à ces deux fléaux. Il milita aussi pour que les pouvoirs publics accompagnent les recherches agronomiques en vue d’améliorer la qualité des vins, point essentiel à ses yeux pour redresser durablement la viticulture.

Au-delà de ces combats spécifiques, Jules Pams incarne les valeurs du radicalisme républicain : laïcité, justice sociale et défense des classes populaires. Son action est guidée par une volonté de progrès social et de lutte contre les inégalités. Il prend ses distances des royalistes qui sévissaient encore, et des tergiversations des opportunistes menés par des figures politiques de l’époque. Sa vision politique s’appuie sur une rupture avec la mainmise de l’Église et sur un rôle accru de l’État dans la protection des populations défavorisées. Fervent partisan de la laïcité et des réformes sociales, il s’engage activement dans le processus menant à la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. Anticlérical convaincu, il militait pour un affaiblissement de l’emprise de l’Église sur les affaires de l’État. Pour ce faire il défendit l’instauration de lois destinées à réformer en profondeur les institutions pour les rendre plus populaires. Sa participation à la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État marqua une étape majeure de son action politique et démontra, si besoin était, sa volonté de faire de la France un pays moderne et social.

Escalier d'Honneur de l'Hôtel Pams à Perpignan

L’homme d’État (1907-1930)

En 1904, Jules Pams quitte la Chambre des députés pour le Sénat. Ce changement marque une forme de consécration pour ce notable méridional. Au Sénat, il continue à défendre les intérêts de sa région et les valeurs du radicalisme, tout en s’investissant dans de nouvelles responsabilités. Membre de la commission sénatoriale des douanes, il crée une commission permanente de défense des intérêts viticoles. Son implication dans les affaires publiques le conduit à accepter le poste de ministre de l’Agriculture dans le cabinet Monis en 1911. Il y sera reconduit en 1912 sous les gouvernements Caillaux et Poincaré, avant d’atteindre l’apogée de son parcours ministériel en étant nommé ministre de l’Intérieur par Clémenceau en 1917. Il prit une part très importante au sein de la commission des douanes en proposant la création d’une commission sénatoriale permanente consacrée à la défense des intérêts viticoles si malmenés à l’époque.

Devenu ministre de l’Agriculture, Pams s’attache à moderniser l’administration, à rationaliser les services et à promouvoir l’enseignement agricole. Son action est guidée par la volonté d’adapter l’agriculture française aux exigences de la modernité. Il entreprend une réorganisation complète des services, s’appuyant sur l’expertise de son ami Emmanuel Brousse, dans le but de mettre fin au « laisser-aller » ambiant. Sa nomination en tant que ministre de l’Intérieur en 1917, en pleine guerre mondiale, le met en première ligne face aux défis sécuritaires et logistiques du conflit. Il doit maintenir l’ordre et la cohésion sociale, faisant preuve de fermeté face aux mouvements sociaux et aux menaces qui pèsent sur la République. Cette fonction, particulièrement exposée, fut de courte durée, mais en 1919 il reprit ce poste et engagea une profonde réorganisation administrative pour surmonter les épreuves du conflit mondial, et tenter de pacifier un climat social délétère dans une France exsangue. Son expérience et son sens de la négociation lui permirent d’apporter un souffle nouveau au sein d’une administration en plein désarroi, mais aussi de s’attaquer à des problèmes majeurs comme l’amélioration de l’enseignement agricole et la réorganisation des services de l’État dans un pays dévasté par quatre années d’un conflit aussi inutile que destructeur.

L’action politique de Jules Pams laisse un héritage contrasté. Salué pour son engagement régional et son action réformatrice, il est critiqué pour son côté « notable de province » et ses liens avec la franc-maçonnerie. Sa candidature à l’élection présidentielle de 1913 est envisagée, mais les inimitiés et les haines prennent le pas sur les compétences. Il échoue, comme lors de son élection à la présidence de la commission de la Société des Nations pour l’installation des réfugiés arméniens. Sa fin de vie politique est marquée par une défaite aux élections cantonales de 1928 à Argelès-sur-Mer. Malgré cet échec dans son fief, l’empreinte qu’il laissa dans le paysage politique de la IIIe République reste indéniable. La défense de l’intérêt général, et en particulier de sa région natale, fut le fil conducteur de son action. Son engagement au service du bien commun s’exprima avec force dans les combats qu’il mena en faveur de l’agriculture, de l’enseignement et de la modernisation de l’administration. S’il connut un oubli relatif après sa mort en 1930, son action et son engagement méritent d’être remis en lumière comme une parfaite illustration des luttes politiques de cette époque charnière de l’histoire de la France.

En refermant cet ouvrage, force est de saluer le travail remarquable de Georges Soler, qui fait revivre avec talent et érudition la figure de Jules Pams. Cette biographie fouillée et passionnante éclaire d’un jour nouveau le parcours de cet homme politique d’envergure, injustement méconnu de la IIIe République. L’auteur met en lumière l’engagement indéfectible de Jules Pams pour sa terre natale, le Roussillon, et sa volonté constante de défendre les intérêts de ses concitoyens. De ses combats pour Port-Vendres à son action en faveur de la viticulture et de l’enseignement agricole, le Sénateur apparaît comme un notable profondément attaché aux valeurs de la République, de la laïcité et de la justice sociale. Sa sensibilité aux questions sociales, son humanisme et sa générosité en font une personnalité attachante, dont la mémoire, grâce à cet ouvrage, sort enfin de l’oubli. On ne peut que remercier Georges Soler de nous offrir cette plongée captivante dans la vie d’un Jules Pams qui a marqué son époque et dont l’héritage mérite d’être redécouvert, et de souligner à quel point le Roussillon peine à enfanter de nouvelles figures de cette trempe. On peut ainsi considérer qu’Arthur Conte fut le dernier héritier des Jules Pams, Emmanuel Brousse et Joseph Joffre, et que depuis, aucun natif du pays catalan n’a été capable de prendre dignement leur suite ni de porter avec autant de force et de conviction les couleurs et les valeurs de cette terre si singulière.

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