De la page blanche au livre, il y a l’inspiration, le travail, le talent. Dans son nouveau livre, « La cime ne me contredit pas. Essai de liberté esthétique », Arta Seiti transforme cette tension en une expérience poétique singulière et féconde, connectée à la vie, au monde, à l’univers.
« Je viens de l’abîme. » L’anaphore vient scander ce manifeste poétique. La création se vit dès le rectangle blanc de la feuille. L’espace devient un volume, une, deux pièces vides. « Je viens de l’abîme. Le creux m’appelle » nous dit-elle. S’il peut y avoir du plein, c’est d’abord parce qu’il y a du vide. Créer n’est pas emplir, remplir ces pièces, ces espaces pleins de vide, mais c’est parce qu’il y a ce creux en chaque artiste que les artistes créent. « Sens-tu la lumière de mon gouffre, de ma soif de créer ? » La poétesse ne crée pas de l’existant ; ce serait inutile. Elle crée ce qui en elle n’existe pas encore et qui doit advenir. Pour cela, il faut d’abord élaguer, couper les branches du non-(h)être. « La flamme semble à mon âme consumée, prête à être immolée. »
Alors l’abîme répond à la cime du titre, évoque l’alchimie et l’hermétisme de la « Table d’émeraude ». « Je viens de l’abîme ; de cet endroit désert où il se déroule des épopées. » Dans les profondeurs se reflètent les sommets, et au cœur de l’athanor de la page blanche, le haut et le bas se répondent, se confondent, dans un processus de transformation qui métamorphose l’être, consume les dualités arbitraires. Le noir et le blanc, le haut et le bas, l’être et le non-être, le passé et l’avenir, le plein et le vide.
« Les portes s’ouvrent subitement. L’une est noire. Une œuvre noire. Aucune hantise d’y entrer. L’autre est blanche alors que l’aube se substitue à la nuit. »
Pour Arta Seiti, la création est le lieu idéal – au sens platonicien – où « affirmer enfin l’inassouvissement » de l’âme. La page blanche devient le lieu possible de l’existence, de l’expression du vide qui devient ainsi autre chose. En grec, poíêma a le sens « d’œuvre », de « création ». C’est la langue, le monde, le moi, qui sont en gestation dans le verbe, et qui offrent cette liberté esthétique revendiquée. Le moi n’est rien.
« Cette pesanteur n’est pas vide.
De mon vide ressort continuellement quelque chose. »
Si le haut de l’abîme et le bas de la cime se rejoignent, alors les contraires trouvent leur résolution : quand le regard plonge, il s’élève, et il se prolonge quand il s’engouffre dans l’intériorité. « J’atteins cet endroit vide-plein. » Le manifeste devient alors véritablement anthropologique : se considérer soi-même comme un autre.
Ce que je vois, c’est l’image de mon dedans. La création esthétique et poétique prend alors son envol, au-dessus de la canopée : le hêtre s’enracine dans les profondeurs et se hisse vers la lumière. « Les cimes des montagnes me servent de toit et le ciel du hêtre me fait de l’ombre et me protège. »
« J’essaye de devancer le temps. Il n’y a ni passé ni futur dans mon abîme. Il y a des espaces intermédiaires qui s’interpénètrent. Et c’est ainsi que le point d’appui cosmique est au croisement. C’est une coexistence dotée de sa sublime singularité. Mon appui et mon lien. Je suis libre de contempler les invisibles énergies, les fécondités infinies. D’animer toutes les formes de la nature et d’inventer les images d’un monde.
Créer n’est pas remplir le vide, c’est ajouter à son expression. En transcendant l’espace poétique de la pièce blanche, la verticalité de la profondeur et du sommet, Arta Seiti offre un univers unique qui permet de libérer l’expression des contraintes, du temps, de l’espace.
Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm
Seiti, Arta, « La cime ne me contredit pas : essai de liberté esthétique », préface Alain Santacreu, Fauves éditions, 06/04/2021, 1 vol. (118 p.),14,00€
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