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Si l’on en croit la légende, tout serait parti d’une gifle. Une dette impayée des Français envers le Dey algérien et un coup d’éventail, semblent avoir été une raison suffisante pour que l’armée française envahisse l’Algérie en 1830. Nous le savons, l’Histoire n’est écrite que par les vainqueurs. Ce n’est donc pas surprenant que la France s’enorgueillisse d’avoir conquis un pays pour défendre l’honneur de l’un des siens. Bien que la France ait toujours, par le passé, fait montre de réactions promptes et belliqueuses, un coup d’éventail ne peut avoir été la seule motivation de l’invasion de l’Algérie. Il serait bien naïf de croire qu’une telle entreprise ne fut pas planifiée depuis de nombreuses années. Il nous reste donc à nous demander :  quelles furent les réelles motivations politiques de la conquête de l’Algérie, exception faite de l’affront du Dey à la monarchie.
Alors que cette année marque le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, et que les langues commencent à peine à se délier face au traumatisme qui résulta de cette période, il semble impératif de retourner aux sources de la colonisation de l’Algérie afin d’expliquer le présent et y trouver des réponses à nos questions. Un mouvement nationaliste n’apparaît pas du jour au lendemain, mais se construit petit à petit. Le mouvement de libération algérienne qui combattu contre la France dans les années 1950 trouve déjà ses racines en 1830. À travers La Conquête, Colette Zitnicki entreprend une analyse détaillée de la colonisation d’Algérie, nous éclairant sur les prémices du nationalisme algérien, de la résistance coloniale, et de la politique musulmane mise en place par le gouvernement français.

Reste à vivre aujourd’hui avec ce passé. Il nous faut le connaître, le partager au sein de nos sociétés respectives et entre les deux rives de la Méditerranée. C’est le travail des historiennes et des historiens. On peut ainsi contribuer à cet apaisement des mémoires qui est nécessaire pour bâtir un monde commun, loin des polémiques et des appropriations politiciennes de cette histoire "pleine de bruit et de fureur".

Suite à l’échec de Waterloo, la France chercha un moyen de s’imposer à nouveau sur la scène internationale. Le XIXe siècle marquant l’apogée de l’entreprise coloniale, l’expansion des positions du royaume outre-mer apparut comme une mesure appropriée pour ce projet. La conquête de l’Algérie, pays agricole et minier représenta également un apport de matières premières dans un monde où l’ampleur de la révolution industrielle ne cessait de croître. Bien plus que politique, la colonisation de l’Algérie est également une conquête civilisationnelle et religieuse, même si ces deux facteurs sont souvent oubliés. Charles X, qui initia l’invasion avant d’être détrôné en 1830, fut séduit par l’idée d’une reconquête chrétienne de l’Afrique présentée par son ministre de la Guerre. Encore une fois, la Croix allait batailler contre le Croissant, chacun priant pour la chute de son adversaire. Une fois terre chrétienne et romaine, la France se donna pour mission « d’européaniser » le Maghreb, transformant ses institutions, son architecture, et faisant de l’islam et sa charia l’ennemi de l’administration.

Avec les progrès de la navigation qui raccourcissent la durée du voyage en Méditerranée, mais aussi l’installation de milliers de colons et le déploiement d’une administration de plus en plus calquée sur le modèle métropolitain, l’Algérie se rapproche physiquement, pourrait-on dire, et culturellement de la France. Cet Orient qui apparaissait si lointain, si étrange, voire si dangereux, en partie domestiqué, francisé, patrimonialisé, est désormais à moins de deux jours de Marseille.

Malgré l’effondrement du régime du Dey qui laissa le peuple algérien dans l’incapacité de résister à la colonisation française, les confréries religieuses s’organisèrent, s’imposant comme force d’opposition à la conquête. Reprenant le symbole du croissant contre la croix, plusieurs historiens interprétèrent cette résistance comme une revanche contre les croisés. À travers ces premières oppositions, notamment menées par l’Émir Abd El-Kader, il est déjà possible de discerner l’ébauche de la nation Algérienne. Certains diront que sans la France il n’y aurait pas d’Algérie. Même si cela peut nous sembler exagéré, il est indubitable que la conquête française sema les graines d’un nationalisme algérien, qui gronda et grandît jusqu’à l’indépendance du pays.

L’ouvrage de Colette Zitnicki résume parfaitement cette naissance nationaliste à travers sa reconstitution de la conquête d’Algérie. Avec une étude qui s’étend de 1830 à 1848, l’auteur démontre comment la destinée de deux pays que tout oppose peut s’unir en à peine dix-huit ans, préfaçant dès lors leur séparation tragique. Avec un style très agréable et tranchant, Colette Zitnicki dresse avec brio le portrait d’une période historique trop oubliée, mais dont la connaissance est impérieuse afin de mieux appréhender l’évolution des relations entre la France et l’Algérie. Une lecture indispensable, soixante ans après la signature des accords d’Évian.

Zytnicki, Colette, La conquête : comment les Français ont pris possession de l’Algérie : 1830-1848, Tallandier, 10/03/2022, 1 vol. (349 p.), 22€.

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Éliane Bedu

Présidente de Mare Nostrum

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