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La conversion de Michel Onfray a l’immense intérêt de réveiller le souvenir d’un auteur peu connu du premier siècle avant notre ère : Lucrèce, et de son unique et remarquable œuvre : « De Natura Rerum » (De la nature), dédiée à l’aristocrate et ami Memmius. Il ne faut pas se méprendre : le philosophe athée n’est pas devenu croyant : il sublime la philosophie de Lucrèce en nous proposant d’abandonner notre ancienne vie pour adopter la pensée du philosophe antique. Cette métamorphose, loin de s’identifier à une volonté divine se rapproche d’un existentialisme vrai. Le poème de Lucrèce s’adresse à la conscience, et jette un regard moderne sur la nature comme l’avait fait auparavant par Démocrite et Épicure. Michel Onfray rend hommage, à Bernard Combeaud, brillant latiniste qui a traduit les six livres originaux. Ce travail lui permet d’aborder toute la philosophie lucrétienne d’où se dégagent l’existentiel, les atomes, l’amour, le matérialisme, le progrès, la civilisation et enfin la mort.

La philosophie pose d’abord les vraies questions et ensuite la science apporte les vraies réponses. Que nous disent les six livres « De Natura Rerum ». Dans le premier, Lucrèce délivre un message de paix pour Rome. Ensuite il s’exprime sur l’Univers infiniment étendu fait de vide et de particules infiniment petites : les atomes, « Or tout cela n’arriverait pas, si l’infini ne pouvait fournir une abondance inépuisable de matière qui répare en temps convenable tout ce qui se perd ». En quelque sorte les incommensurables limites de l’espace et du temps.

« J’ose affirmer que le monde n’est nullement l’œuvre des dieux ». Ainsi commence le second livre. Celui-ci se poursuit par le mouvement des atomes dans l’espace, justifie ainsi le comportement de la matière et de sa masse. Tous les phénomènes observés ont une explication rationnelle : de l’instinct des animaux, des manifestations célestes, à l’arrivée des tempêtes. Avec sa perception globale de l’Univers, Lucrèce conclut qu’il existe d’autres mondes semblables aux nôtres, après s’être largement inspiré de la vision atomiste de la matière à laquelle il adhère.

Dans son troisième livre, il se rapproche de la philosophie épicurienne dans laquelle tout à une signification rationnelle hors Dieu : « l’esprit et l’âme ne sont autre chose qu’une partie de l’Homme ». La mort est une finalité. Les exemples s’enchaînent sur l’expression de la souffrance, de la maladie et sur les conséquences pour l’âme d’un mourant et son extinction. Mettons nos espoirs dans les incertitudes du lendemain.

Le quatrième livre nous amène sur le matérialisme concret auquel il est attaché. Le regard porté sur un objet permet d’en définir la distance et la forme. La nuit, le jour, le soleil, la lune, les vents, les marées, la pluie ne sont pas les fruits du hasard, car leurs effets sont irréfutables. Si un architecte utilise des outils faussés, les murs ne seront pas droits. Tout à une signification précise dans les paroles, les mots, le goût, les odeurs, les couleurs, les sons, les rêves. Lucrèce termine ce livre par un hymne à la femme et à l’amour.

Le cinquième livre traite des doctrines et des études religieuses. Le monde a eu un commencement et il aura une fin, ce qui déjà un concept de la philosophie épicurienne. Le poète fait preuve d’un extraordinaire esprit imaginatif en évoquant l’origine de la Terre. Puis l’apparition de la vie végétale et animale, ainsi que les débuts de la vie humaine en partant de sa présence primitive jusqu’à l’avènement de la civilisation. Impressionnante lucidité intuitive : « c’est ainsi que les arts ont atteint leurs plus hautes perfections ».

Dans le sixième livre Lucrèce relève tous les dangers que représentent les orages, les vents violents, les inondations qui sont la manifestation de la vitesse des molécules. Il explique le phénomène naturel du tremblement de terre par le détachement d’une masse de terre minée par le temps et qui se précipite dans un vaste bassin rempli d’eau. La relation entre ses phénomènes n’est pas étrange, mais authentique. Bien avant Lavoisier, Lucrèce sait nous dire que rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Sa profonde admiration pour Démocrite et pour Épicure se ressent dans son écriture. Aujourd’hui, on peut se réjouir de retrouver son œuvre unique dans laquelle la mort, le repenti ou le châtiment des âmes est sans fondement.

Avec Démocrite, la collision des atomes en déplacement donne naissance à la diversité du monde. Avec Épicure, il partage dans le plaisir le but de la vie. Pour nous, il poétise l’existentialisme et le réalisme de la nature. Il a suscité l’admiration de Virgile, d’Ovide, de Cicéron. Oublié au Moyen-Âge, les chrétiens considèrent avec épouvante la non-existence du Dieu providentiel. Cela n’empêche point d’ouvrir cette œuvre vers la beauté de la nature et ses existences ainsi qu’une approche d’empathie pour l’humanité.

Michel Onfray a su mettre en valeur toute la philosophie de Lucrèce, tout en préservant l’aspect réaliste d’une pensée antique, originelle et passionnante. Oui, nous pouvons vivre selon Lucrèce, et c’est une conversion à laquelle chacun de nous pourrait aspirer.

Alain VALS
articles@marenostrum.pm

Onfray, Michel, « La conversion : vivre selon Lucrèce », Bouquins – Mollat, 18/11/2021, 1 vol. (187 p), 18€.

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