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De tous les péchés, la luxure est bien sûr celui qui excite le plus l’imagination et les attentes. Peut-être est-ce moi. Le seul mot de luxure entraîne à sa suite une odeur de soufre et de stupre, des images d’orgies débridées ou d’ambiance feutrée d’une maison close d’un autre temps. Laurence Nobécourt nous prend à rebours, entre l’essai et la poésie, avec un verbe évocatoire, dès le début. C’est une femme qui parle, ou plutôt La Femme, le Féminin : « Voudrais-tu te dire, Ô toi, Féminin obscur et merveilleux ? / Se pourrait-il que ta complainte, un jour, soit enfin entendue et reçue ? ».
Partant d’Évagre le Pontique, le moine qui établit la liste des péchés capitaux, la voix féminine s’empare de l’origine du mot, « la luxuria : du latin luxare, déboîter. La luxure est une luxation de l’âme ». (p. 20). De cette blessure originelle découlerait nos maux et la suite d’interrogations de cet essai poétique : le péché viendrait de cette dislocation entre le corps et l’âme, le plaisir et le désir. Ce serait une erreur de croire que le sujet entraînerait la réflexion du côté des idées les plus gauloises. Rien n’est plus éloigné de la grivoiserie que le texte de Laurence Nobécourt. « Je n’ai jamais pu croire à la gaîté des libertins, ce sont de tout petits enfants meurtris qui grimacent des plaisirs corrompus et navrés, tandis qu’en eux l’innocence fait le trottoir en espérant un peu d’amour », affirme-t-elle page 32. Si la luxure est une faim insatiable qui se dévore elle-même, elle permet d’apprendre à se connaître.
Alternant les passages de réflexion et une langue poétique, « Post tenebras lux » s’engage volontiers et avec une indéniable délicatesse, dans un pastiche du « Cantique des cantiques », dont on retrouve les formules bibliques et la volupté d’un désir triomphant. L’apostrophe « Ô Adonaï », qui revient plusieurs fois, inscrit le texte dans une quête spirituelle à la sensualité voluptueuse. « Ô par mon corps d’Occident, mes courbes d’Orient, je t’ai appelé pour que tu habites la vérité crue de mes flancs, cette noce en moi qui est plus qu’une soif, une présence, mon seul accomplissement » (p. 35). L’adresse à Dieu interpelle aussi l’homme, plus largement, l’humanité. À propos du fratricide biblique originel d’Abel (Gn 4, 1-16), l’essayiste répond à Caïn : « Homme, tu es responsable de ce premier frère que tu es pour toi-même, responsable de sa haine et de son ombre. » (p. 39).
La luxure ouvre donc la voie à une quête ontologique, un désir d’être, véritable travail spirituel de construction et de déconstruction. « Il n’y a d’épousailles qu’intérieures, de communion à autrui qu’à mesure de l’unité en soi » (p. 40). Par son sexe, le féminin s’élève. « La sexualité n’est pas divertissement, elle est accomplissement et travail ». La sexualité mène au désir, à l’union en soi et à l’extérieur de soi, à la communion des âmes, car « l’unité nous est accès seulement par la multitude. Et la différence qu’elle suppose : cette présence de l’autre définitivement autre ». (p. 96) « Le manque est le Graal, la source d’abondance et notre unique bien », précise-t-elle encore, dans une philosophie traditionnelle du désir.
Quelle poésie ! Quelle écriture sensuelle ! Laurence Nobécourt recrée dans le verbe les gestes de l’amour : « par une syntaxe de caresses et de bouches faire de tout baiser une grammaire » (p. 51). Les gestes qui blessent, qui abaissent l’âme dans la fornication et une pratique de la sexualité comme sensations fortes, peuvent être une étape dans le désir… d’autre chose. « Est-ce d’avoir connu la confusion jusqu’à la répulsion qu’une soif de clarté nous en délivrera ? » s’interroge-t-elle page 78. Il faut recréer les mots et les gestes qui apaisent, qui guérissent et élèvent l’âme. « Nommer, voilà ce qui doit être : être non pas seulement procréateur par le sexe mais créateur par le verbe, c’est ce à quoi la sexualité en amour nous appelle » (p. 50).
La sexualité peut être le lieu d’une réconciliation du moi, une libération de son véritable désir ontologique et la guérison de cette luxation de l’âme. « Et ainsi, loin de toute procréation, l’Éros est une création propre à l’Homme libéré de ses exigences animales qu’il révèle à sa finalité : la sexualité est une prière. » (p. 40).

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Nobécourt, Laurence, « Les sept péchés capitaux. La luxure : post tenebras lux », Le Cerf, « Les sept péchés capitaux », 04/02/2021, 1 vol. (120 p.), 12,00€

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