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L’Iguane de Mona

Avec ce cinquième roman au titre insolite, Michaël Uras va nous surprendre. On peut déceler chez ce professeur de lettres modernes – écrivain reconnu par la critique – qui a grandi entre l’Est de la France et la Sardaigne, une attirance pour la chaleur et les paysages insulaires. C’est donc le genre de livre qui invite aux vacances, tant ses couleurs de sable et de mer sont évocatrices de soleil et de la douceur d’un ailleurs. Et pourtant…

Quel point commun entre la mouette de l’illustration de couverture, dont l’œil fixe un invisible horizon, et l’iguane du titre, ce saurien au physique plus étrange qu’attirant, sinon leur immobilité au soleil ?
Et pourquoi Mona, cet îlot des Caraïbes, réserve d’une grande valeur écologique plutôt que haut lieu touristique ?
C’est bien en iguane de Mona que se rêve Paul, le narrateur et protagoniste, quadragénaire désœuvré depuis qu’il a démissionné de la société de crédit dont il était un des meilleurs éléments.

Mais dans l’introspection désabusée à laquelle il se livre, on le perçoit d’abord comme un oiseau aux ailes rognées ce Paul rêveur, d’abord captif d’une relation conjugale insatisfaisante, pas totalement détériorée puisque subsistent sa propre attirance pour Kate et une tendresse distraite chez elle.
Leurs chemins se sont tellement éloignés depuis leur rencontre à la faculté et la naissance de leur fils Milan !
Kate est devenue une brillante universitaire reconnue dans un milieu d’intellectuels, quoique contestée du fait de l’originalité de ses recherches.
Lui, cerné de médiocres ambitieux, assure le large confort de leur vie matérielle, non sans compromis avec ce qu’il croit avoir gardé de pur dans sa personnalité originelle.
Quant à « Pomme » Curieux nom choisi pour un chien de race ! De manière polysémique « croquer la pomme » c’est transgresser, mais aussi croquer la vie.
Or, Paul ne croque rien. Il se reconnaît lui-même sans courage et fatigué en permanence.
Car il est aussi captif de ses douleurs et de ses frustrations. Ses dents le torturent. Son ami dentiste tente de le soigner, mais c’est fort regrettable de partir pour un mois de vacances sur l’île de Mona. Il a des insomnies récurrentes, des rêves agités, une envie de viande quand sa femme et son fils lui imposent un régime de légumes verts. Une vie « verte », qu’il voudrait « bleue et jaune ».
Captif surtout du poids d’un passé dont il n’a jamais rien dit à Kate.
Ses années d’enfance, le départ d’un père indifférent et les maltraitances maternelles, lui ont laissé un puissant syndrome d’abandon. Comment dévorer la vie si le passé ne vous a pas donné de bases dans la tendresse et la confiance ?
Paul ne dit rien du présent non plus. Ses silences sont lestés de lourds mensonges.
Comment avouer à Kate la nature de son travail et l’insupportable mission confiée par son méprisable PDG ?
La plume de Michaël Uras ne rend absolument pas les situations tragiques. Son style alerte, teinté d’humour, favorise les phrases courtes, et nous rend très vite son personnage sympathique, tout en dénonçant avec efficacité les dérives cyniques de notre société consumériste.
Paul, aussi désœuvré soit-il, n’a rien de l’ambiguïté d’un Jean-Claude Romand dans « L’Adversaire » d’Emmanuel Carrère, même si, comme lui, il passe des journées assis dans sa voiture,
Pas un instant on ne pourrait l’envisager suicidaire ou criminel. Il aspire vraiment à lézarder au soleil, à échapper aux contraintes d’un environnement dont il réalise combien il est toxique. Un PDG abject, des collègues envieux, un voisin intrusif, des fournisseurs avides, et un travail dépourvu de toute humanité.
Par contre, il ressemble comme un frère à son homonyme, antihéros de Jean-Paul Dubois dans « Le cas Sneijder », cabossé par la vie et ses angoisses, mais gardant intactes sa capacité de tendresse et son autodérision.
Paul souffre. Certes, il va même somatiser jusqu’aux marges de l’irrationnel. Il se retrouve en plein jour trempé par une pluie que nul n’a vu tomber, ou incapable de se décider à démarrer son véhicule.
Si lourd parfois est le fardeau d’un homme dans une existence qui peut sembler banale !
Alors il cherche à apaiser ses tensions, déniche un vague travail alimentaire, en devenant Diego l’Argentin une partie de ses journées…
Et le reste de son temps est consacré à la chasse aux larves xylophages d’un rouge puissant qui ont fait leur apparition dès les premières pages du roman. La première qui éclate en goutte de sang, une autre qui descend comme une larme sur le visage de Paul, jusqu’à la colonisation massive de la maison.
Cette couleur rouge envahit sa vie, en névrose obsessionnelle, alors même qu’il se fige dans une incapacité de communiquer avec sa femme pour rechercher des solutions rationnelles aux problèmes. Le mur de ses silences est devenu infranchissable tant il a peur de la perdre.
Rouge s’échappant d’un tableau de Mark Rothko dans l’esprit fatigué de Paul…
Rouge symbolique d’un prévisible réchauffement climatique avec son cortège de menaces pour la vie des hommes…
Ou simplement celui de la honte, de la souffrance morale et des remords qui étouffent ?
Et c’est à Mona seulement que, dans l’âpre et chaude réalité de l’île fantasmée, à la faveur d’une très mauvaise plaisanterie du voisin, que Paul, face à Kate et leur fils, verra enfin s’effondrer toutes ses défenses et la charpente de ses mensonges.
D’une sorte de mise au monde, liée à l’observation des iguanes, surgit un être nouveau douloureux mais lucide.

Certes, aucun problème de fond n’est vraiment réglé. Mais Michaël Uras a su le rendre touchant, cet iguane humain bardé de défenses, cet orphelin fragile, auquel nous pourrions nous identifier par nos lâchetés personnelles, nos tentations de la facilité, nos impuissances à assumer la réalité.
À la dernière page, nous l’abandonnons, avec les siens, face à la côte portoricaine…
Comme dans le conte écrit pour Milan par son père, la fin du roman reste ouverte à une suite possible. Nous l’attendrons avec impatience.

Christiane SISTAC
Contact@marenostrum.pm

Uras, Michaël, “L’Iguane de Mona”, “Préludes”, 27/05/2020, 1 vol. (284 p.), 17,90€.

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La Maison à droite de celle de ma grand-mère

Giacomo, est un jeune traducteur qui vit à Marseille. Alors qu’il doit rendre sans retard à son éditeur, la traduction d’une nouvelle version de Moby Dick, il se rend en Sardaigne. Toutes les occasions de revenir dans son île natale lui sont nécessaires.

Cette fois, le voyage est motivé par la mauvaise santé de la grand-mère, Nonna, qui est sur le point de quitter notre monde. N’en finissant pas de mourir, elle réserve encore quelques surprises à sa famille.

De retour parmi les siens, Giacomo retrouve une vie qui s’écoule lentement, selon les traditions et les habitudes, à l’écart de la frénésie des villes. Dans un style limpide, Michaël Urias évoque les choses simples de la vie, le lieu d’où l’on vient, le retour vers la terre natale, les rapports avec la famille, l’ami d’enfance, et les personnes qui ont marqué son existence.
Il est confronté à l’attente paisible de la mort de l’aïeule qui n’est pas vécue comme un drame par la famille, mais plutôt comme une chose normale.
C’est une vie routinière qui est dévoilée, que l’on devine à la fois terriblement ennuyeuse et pourtant, paradoxalement, très heureuse. Mais, en réalité, n’est-ce pas cela le bonheur ?
Harcelé par son éditeur, notre Giacomo a de nombreuses difficultés pour traduire le texte. Il se laisse prendre par le quotidien au sein de son île.
On comprend à la fin de l’histoire l’épreuve dramatique subie par Giacomo et son ex-compagne, et la nécessité de ce retour aux sources.
Ces thèmes sont traités par l’auteur avec une grande sensibilité qu’il tente de masquer par un humour fin qui donne parfois un aspect « déjanté » au récit, par exemple son titre décalé et aussi la conduite facétieuse de Nonna ou encore l’étrange exercice de son travail par le médecin du village, le docteur Ignazio.
À propos du club de football local : “Nous devînmes rapidement une sorte d’équipe légendaire à travers la région. En dix années, nous ne gagnâmes pas la moindre rencontre. Nous ne pouvions être rétrogradés, car nous évoluions déjà dans la catégorie la plus faible. (…) Nos adversaires profitaient de nos confrontations pour tester de nouvelles tactiques.”
Michaël Urias nous emmène dans un monde simple, authentique et rempli de personnages et de sentiments profondément humains. Nous sommes heureux de le suivre dans ce voyage qui procure un vrai moment de fraîcheur, un pur bonheur.

Robert MAZZIOTTA
Contact@marenostrum.pm

Uras, Michaël, “La Maison à droite de celle de ma grand-mère”, “Le Livre de poche”, 27/05/2020,
1 vol. (302 p.), 7,70€.

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