Temps de lecture approximatif : 3 minutes

Philippe Vilain, La malédiction de la Madone, Robert Laffont, 25/08/2022, 1 vol. (192 p.), 19€.

Il se dit que Naples est la ville de l’Amour. Elle est aussi celle de la Madone, la Vierge, la Femme, la Mère, qui ne meurt jamais et qui n’a pas de tombeau. Dans les années 1950, elle fut celle de d’Assunta Maresca – dite Pupetta (petite poupée) – une pasionaria désormais aussi vénérée et immortelle que la ville qui lui a donné le jour.
Fille d’un mafioso, Pupetta ne craint rien ni personne, pas même son père et ses frères. La jeune fille de 19 ans s’imagine libre d’aimer qui bon lui semble. C’est l’âge où chaque jeune fille ne devrait être esclave de rien, et surtout pas d’elle-même. Lors d’un concours de beauté, un chef de la Camorra tombe sous le charme de Pupetta et l’épouse, sans que rien ne puisse entraver un tel bonheur qui porte en son sein déjà le fruit.

Ce qu’elle éprouvait surtout en déroulant son film intérieur, c’était un grand vertige comme le souffle du destin. Son amour avec Simonetti était trop beau pour ne pas avoir été écrit. Voilà, songeait-elle, l’existence n’est qu’une succession de choix, de hasards et de coïncidences, qui se réalisent malgré nous, et rien de ce qui nous arrive nous appartient.

Rien ne pouvait entraver un tel bonheur, si ce n’est l’affreuse vengeance d’un témoin, la jalousie d’un frère de la Camorra qui a engagé un tueur. La jalousie est ce sentiment qui vient en nous et qui nous ordonne de faire ce qu’elle désire. Elle sème, elle ravage et elle moissonne.
Pour Pupetta, enceinte de six mois, c’est l’heure de la vengeance. Mais cette vengeance n’aura de prix et ne sera juste, qu’en lui donnant une forme et une force égale au crime.
Le crime perpétré par Pupetta est d’une folie quasi mystique ; la folie de l’âme et l’ivresse homicide du corps. Tuer par amour est le plus haut point que puisse atteindre une existence humaine. Et cette victoire sanglante de l’esprit sur le corps, celle où la pensée ne domine pas la vie, seule une femme en est capable. En se vengeant du meurtrier de Pasquale Simonetti, Pupetta ne tue pas qu’une partie d’elle-même pour l’exaltation de l’autre, elle met la ville en folie, en feu, un feu qui dévore et consume, en faisant languir toutes les femmes et pâlir d’amour tous les hommes, surtout les plus insensibles. Ce crime pour lequel Pupetta va payer le prix a fait d’elle une légende. Il y a dans ce court roman inspiré de faits réels et dont se saisira la presse internationale en 1959, la même force du désir de pardon qu’à la lecture de Dostoïevski. Le crime entraîne le châtiment, mais le pardon précède la faute. Les remords et les regrets qui pénètrent en nous sont toujours funestes. Jamais Pupetta n’exprimera le moindre regret.
Alors qu’importe le crime, même s’il s’agit de celui d’un malfrat. Sans amour ne nous sommes pas destinés à périr ? Avec cette plume sublime et délicate, Philippe Vilain nous restitue la légende de l’amour pour son personnage et pour Naples. Comme si cette cité avait été créée par, et pour l’Amour.
Si Francis Carco (1886-1958), le plus grand poète de Paname, des filles perdues et des mauvais garçons était toujours en vie, il aurait salué en Philippe Vilain sont plus talentueux successeur. Une citation suffit à s’en convaincre :

Elle demeurait de longs moments, seule, sur le toit de son immeuble, à regarder la ville, sa ville, cette ville qui engloutissait toutes ses sensations, tous ses sentiments, toutes ses émotions, sous le soleil de laquelle ses espoirs et ses rêves d’amoureuse fondaient, où gisait sa jeunesse meurtrie. Naples lui faisait l’effet d’une fiction maléfique ; elle n’en voyait plus que la beauté tragique et devinait confusément que plus jamais elle ne pourrait y être heureuse.

Loin de l’effervescence des grands prix littéraire qui monopolise tous les médias, lisez La malédiction de la Madone. Elle révèle la puissance et l’envoûtement que l’on peut ressentir pour Naples, avec en filigrane ce triple mystère incarné par l’Amour, la Force du sacrifice et la Beauté de la vengeance…

Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

NOS PARTENAIRES

Faire un don

Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.

Vous aimerez aussi

Voir plus d'articles dans la catégorie : Littérature méditerranéenne

Comments are closed.