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La mort de Camus : banal accident de la route ou assassinat politique ?
Dix ans après la révolution de Budapest de 1956, « Paris Match » résumait ainsi les événements :
« Le 30 octobre au soir, pour les Hongrois, c’est la joie. Imre Nagy a réussi à s’affirmer contre les staliniens, qui semblent avoir disparu. Les troupes russes ont commencé à évacuer Budapest et Nagy entame des négociations pour l’évacuation de toute la Hongrie par les troupes soviétiques. Mais le 1er novembre, alors que Nagy proclame le retrait de la Hongrie du Pacte de Varsovie, 15 divisions russes et 6 000 chars pénètrent dans le pays. La révolution va être réduite dans le sang. »
Le 15 mars 1957, Salle Wagram à Paris, Albert Camus revient sur ces événements en ces termes :
« Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il peut y avoir un accommodement, même résigné, même provisoire, avec un régime de terreur qui a autant le droit à s’appeler socialiste que les bourreaux de l’Inquisition en avaient à s’appeler chrétiens (…) Je souhaite que la résistance hongroise se maintienne encore jusqu’à ce que l’État contre-révolutionnaire s’écroule partout à l’est sous le poids de ses mensonges et de ses contradictions. »
Dans son livre, « La mort de Camus » Giovanni Catelli considère que cette prise de position, en s’ajoutant à d’autres, antérieures, par lesquelles Camus dénonçait la tyrannie et l’impérialisme stalinien a signé son arrêt de mort. Cette dernière aurait été commanditée par le Ministre des Affaires Étrangères, Chepilov. Il s’appuie sur les mémoires d’un écrivain tchèque, Jan Zabrana, « Toute une vie », publié en 1980. Le passage clef du livre de Catelli, répété à plusieurs reprises comme un mantra, est un extrait du Journal de Zabrana :
« J’ai entendu un homme qui sait beaucoup de choses, et qui a des sources, une chose très étrange. Il affirme que l’accident de la circulation dans lequel en 1960 est mort Camus a été organisé par l’espionnage soviétique. » Il écrit également : « Si l’on considère l’influence des agents soviétiques en France à cette époque, leurs liens avec les services français ou même avec l’Etat français, on peut penser que l’élimination de Camus, à la veille de la visite de Khrouchtchev, était un fait presque attendu. »
À partir de là, G. Catelli mène l’enquête. Laborieuse, car sur les trois sources possibles de cette affirmation, deux ont disparu et la troisième dément en être l’auteur. Laborieuse, car après l’accident du 4 janvier 1960 qui vit la voiture dans laquelle se trouvait Camus se pulvériser dans un platane, sur une ligne droite à quelques kilomètres de Paris, personne n’a remis en cause le fait qu’il s’agissait d’un banal accident. « Normal » s’écrie Catelli : un nombre si élevé de gens souhaitaient la mort de Camus, entre les marxistes-léninistes qu’il gênait, les existentialistes qui lui en voulaient à mort après sa rupture avec Sartre, les protagonistes de la Guerre d’Algérie… Bref, tous ceux qui lui reprochaient d’être la grande voix profondément humaniste que toute son œuvre et ses positions expriment.
Peut-être…
Le problème, c’est que Giovanni Catelli ne mentionne aucun élément nouveau qui viendrait conforter la théorie de l’assassinat politique. Il en est réduit à clamer sa certitude, ce qu’il fait toutefois avec un certain talent littéraire. Mais pour finir, il conclut son ouvrage par cet aveu d’impuissance :
« Il reste une espérance : avant que le temps n’efface pour toujours toute trace de ce qui est arrivé autour d’Albert Camus depuis le 15 mars 1957 jour de son discours à la Salle Wagram, jusqu’à son accident du 4 janvier 1960, espérons qu’émerge une preuve, un témoignage, une voix qui nous parle, autant que possible, de ce qui a conduit à cet accident tragique. »
En conclusion, le livre est très intéressant, car il restitue l’ambiance pesante du conflit idéologique que ce sont menés les nations et les intellectuels, durant ces années de Guerre Froide.
Mais il est aussi décevant car, concernant la mort d’Albert Camus, il renvoie le lecteur à son « intime conviction. » Aucun élément nouveau ou crédible ne permet de contester la version officielle de l’Histoire : un banal accident de voiture.

Guillaume SANCHEZ
contact@marenostrum.pm

Catelli, Giovanni, « La mort de Camus », Balland Editions, « Documents », 14/02/2019, Disponible, 1 vol. (280 p.), 18,00€.

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Albert Camus est né un 7 novembre et nous a quitté il y a 60 ans. Ces deux dates nous conduisent à publier cette chronique aujourd’hui. JJB

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