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Philippe Meyer, La prochaine fois je vous l’écrirai, Les Arènes, 25/04/2024, 304 pages, 22€

Georges Louis Leclerc, comte de Buffon, lorsqu’il a prononcé son discours de réception à l’Académie française le 25 août 1753 a eu cette formule : “Le style est l’homme même”. Si une chose caractérise et personnifie bien Philippe Meyer, c’est son style où la gourmandise, l’esprit, l’érudition ébouriffante, l’intelligence et l’effronterie se mélangent pour enchanter ceux qui l’écoutent ou le lisent et le Prix Richelieu qu’il a reçu en 1994 pour sa troisième édition le récompense justement.
La prochaine fois je vous l’écrirai est son dernier livre paru aux éditions Les Arènes. Ce titre est bien sûr un clin d’œil à l’émission musicale qui reprenait les titres célèbres ou non du XXe siècle que l’on a pu entendre et mieux encore écouter sur France Inter pendant 16 ans au début des années 2000. C’était “La prochaine fois je vous le chanterai”, titre en hommage à la pièce de James Saunders. C’est dans cette émission culte que l’on pouvait constater que “le progrès fait rage”.

Le chemin buissonnier de Philippe Meyer

Comme Henri Gougaud, Philippe Meyer a cette capacité – ce don – de captiver son auditoire et de le rendre plus intelligent par une espèce d’illumination de l’esprit due sans doute à l’installation d’un rapport de proximité, de connivence, avec l’auditeur (bien sûr “sachant auditer” comme dit Meyer).
Il s’agit de souvenirs d’enfance et de jeunesse, où l’auteur nous conte comment la radio fut son compagnon d’enfance et d’adolescence avant de devenir un gagne-pain. Comment son souci d’indépendance a pour corollaire “À l’adolescence, renvois et fugues, à l’âge adulte, démissions et licenciements”. Et il exprime son regret de n’avoir eu personne – ni famille ni école — de bienveillant pour lui apprendre à “exprimer ses indignations… De lui enseigner la différence entre témérité et courage”.
Comme la plupart de ses samedis et dimanches se passent seul, Philippe Meyer trompe l’ennui en passant d’une station radio à l’autre (aujourd’hui nous dirions en zappant) tout en surveillant l’œil magique de son poste Telefunken. C’est le témoin de l’accord et de la qualité de réception des anciens postes à lampes…
La révélation se fait le jour où il tombe sur une émission de France musique : La Tribune des critiques de disques, émission qui existe toujours depuis 1946… Il s’agit d’une émission où l’on écoute à l’aveugle différentes versions d’une même œuvre classique et les critiques invités s’y engueulent poliment, à la manière de la disputatio médiévale. Il ne rata plus jamais ce rendez-vous le dimanche après-midi fait de “chamailleries, d’étalages d’érudition, de fausses brouilles et de mauvaise foi”. C’est sans doute de là que lui vient ce goût pour la musique.
À l’adolescence c’est dans un pensionnat religieux à la discipline spartiate, que grâce à un petit poste à galène mais à ses risques et périls que notre auteur développa son appétence pour les émissions de radio de l’époque. Les Maîtres du Mystère le mardi soir de 20 h 30 à 21 h 30 était un rendez-vous immanquable avec ses histoires crapuleuses à souhait et son indicatif musical qui donne toujours autant la chair de poule. D’autres feuilletons radiophoniques comme Signé Furax, les publicités “qui apportaient un peu d’air du dehors”, la voix d’Albert Simon avec son accent de Levantin d’Égypte, bref toute une éducation sonore qui affûta son imaginaire et fait que la radio est son monde.
Après mai 1968, c’est grâce à une bourse de l’Office franco-québécois pour la jeunesse qu’il effectue un voyage au Québec en rapport avec ses études de sociologie. C’est là qu’il rencontre le poète, conteur, chanteur, compositeur et bien d’autres choses encore, Gilles Vigneault. Leurs 19 ans de différence n’empêchent pas les atomes crochus de s’accrocher et 50 ans plus tard leur amitié de durer toujours…
Philippe Meyer raconte à sa manière savoureuse et distanciée comment Vigneault fut à l’origine, 15 ans après leur rencontre, de son passage au Grand Échiquier de Jacques Chancel. Cela lui valut, quelque temps après, de remplacer Chancel le vendredi à son émission Radioscopie qui prendra le nom de Télescopage. C’est le début d’une carrière radiophonique qui dura 35 ans aussi bien sur France Inter que France Culture ou France Musique.
Les gens que nous rencontrons, du moins ceux qui comptent, participent à faire de nous ce que nous sommes, en ajoutant à notre personnalité à notre façon de voir les choses par une espèce de “friction des cervelles”.
À cet égard Philippe Meyer dit de son instituteur Michel Rayée :

Je dois à M. Rayée d’avoir découvert que l’autorité peut ne pas être une affaire de titre, de galons, ou de positions, mais d’attention à ceux sur qui elle s’exerce. De capacité à leur demander de donner un peu plus que ce dont ils se croient capables en leur montrant qu’ils en ont les ressources et non à renfort d’ordres et de consignes, de reproches et de punitions comme j’en avais été gratifié abondamment jusque-là.

Parler de Michel Rayée est pour Philippe Meyer l’occasion d’évoquer un personnage qui s’apparente à M. Germain, l’instituteur d’Albert Camus dont on connaît l’histoire. C’est la même gratitude qui s’exprime à travers ces lignes.
Outre sa grande valeur intellectuelle, c’est l’engagement dans la Résistance d’Annie Kriegel qui poussa Philippe Meyer à demander à celle-ci de diriger sa Maîtrise sur L’Enfance Désocialisée puis sa thèse de Doctorat sur L’État ingénieur social. Bien que sorti de son cursus universitaire avec le plus haut grade possible à l’époque, il refusa de devenir l’un des assistants de l’historienne qui le lui reprocha sévèrement. Sans doute pensait-elle que Meyer avait un grand avenir dans la recherche en sociologie, et c’est avec une grande admiration que l’on sent partagée pour cette femme hors du commun que notre auteur raconte ses années de doctorant.

Outre ses maîtres d’école, inventaire à la façon de l’auteur de quelques amis

Où l’on y voit l’admiration de Meyer pour Philippe Paumelle, médecin psychiatre qui fut l’un des premiers à dénoncer dans la revue Esprit, la maltraitance de certains malades internés et de porter à la connaissance du grand public les 50 000 “fous” morts de faim pendant la guerre. Un grand homme que le travail a tué bien trop tôt.
Où l’on y voit la difficulté de critiquer par l’absurde le communisme au temps de l’union de la gauche.
Où l’on y voit un demi-siècle d’amitié avec Michel Rocard agrémenté de savoureuses et piquantes anecdotes.
Où l’on apprend que c’est dans la revue Esprit, dirigée par Jean-Marie Doménach, grande figure du personnalisme que Philippe Meyer dit avoir appris à écrire. Le juge Casamayor (Serge Fuster) lui faisait refaire ses papiers en lui disant :

Que votre copie était formidable, mais que pour être à la hauteur de votre talent, elle devait être un peu reprise. Surtout la fin, qu’il fallait entièrement revoir. Le début, lui, était parfait à condition de le remanier de fond en comble. Quant au milieu, une réussite. Peut-être seulement en le repensant du tout au tout…

C’est à la revue Esprit que J.M Doménach lui montra que l’on pouvait ouvrir les portes à un jeune de 22 ans sans demander “ni allégeance, ni certificat d’origine”. Où l’on voit que la vie et quelques relations, amenèrent notre auteur d’éducateur de rue à agent secret au Chili au moment Pinochet. Avec l’étude du poisson local comme couverture. Des aventures où comme toujours, le comique et le tragique se côtoient.
Où l’on voit avec Jean-François Revel, directeur de l’Express, que la cuisine n’est pas un art mineur et c’est sous son égide que commença la collaboration de notre auteur au journal.
Où l’on voit que la collaboration, au départ improbable, de Cyril Collard avec Philippe Meyer à M6, pour son émission de musique classique “Revenez quand vous voulez”, que cette collaboration donna lieu à une créativité, à une inventivité, à un niveau de qualité que l’on aimerait bien revoir.
Où l’on voit que la rencontre de Frédéric Rossif avec notre auteur a donné lieu après moult péripéties, chausse-trappes et placardisations, à la diffusion de ce chef-d’œuvre unanimement reconnu : de Nuremberg à Nuremberg
Où l’auteur nous raconte son M. et Mme Pierre Desproges, et c’est beau.
Où l’auteur nous fait partager la connaissance encyclopédique de Bertrand Tavernier du cinéma mondial, sa sensibilité, ses contradictions, sa pudeur, son talent et quelques blagues (“François Bayrou mange tout seul une galette à 5 fèves et ne finit pas roi.”)
Où Charles Aznavour amène par la méthode socratique, notre auteur à comprendre ce qu’est un bon auteur-compositeur-interprète. C’est saisissant.
Où l’auteur évoque le souvenir de Nathanael Dupré La Tour, un brillant élève qu’il a eu en séminaire de sociologie. Mort prématurément. On sait que si des professeurs marquent certains de leurs élèves, la réciproque est vraie, certains élèves marquent leur professeur. C’est le cas de Nathanael Dupré La Tour.
Où l’on voit que notre auteur décide de devenir l’ami d’enfance de René de Obaldia dès leur première rencontre, bien que Obaldia soit né 31 ans avant Meyer. C’est picaresque et étourdissant.
Où l’on voit dans l’émission Revenez quand vous voulez, son invité le cinéaste Claude Sautet, montrer ce que c’est que d’aimer la musique.
Où l’on voit Jean d’Ormesson confier à notre auteur le secret pour bien réussir les séances de dédicaces. On y voit aussi lors de la dégustation d’un Condrieu, “qu’être Jean d’Ormesson, c’est un métier“.

Inventaire avant fermeture

La musique et le théâtre sont les deux passions de sa vie, c’est comme cela que Philippe Meyer fit chanter pour son émission de France Inter : la prochaine fois je vous le chanterai, la troupe de la Comédie Française. Cela durant 6 ans. 

Ce livre de souvenirs est un amoncellement de rencontres mémorables, de personnages flamboyants ou l’intelligence est à tous les étages. La dernière phrase semble indiquer qu’il s’agit d’un baisser de rideau. Si cela était le cas, nous regretterions la belle écriture de Philippe Meyer avec sa belle musique.

Image de Chroniqueur : Dominique Verron

Chroniqueur : Dominique Verron

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