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André Marois, La sainte paix, Héliotrope, 01/03/2024, 208 p. 19€

Tabernacle ! Voici un petit bouquin noir bien attirant de ceux qu’on glisse dans la poche du sac avant de monter dans un TGV en partance, un petit bouquin à dévorer en quelques heures pour ne pas rester sur sa faim…

Une couverture sombre, une corde solidement arrimée à un bois de cerf, pas de doute, ça va saigner ! La Sainte Paix va être mise à mal même si cette expression des plus banales suggère repos et sérénité !

Un coup d’œil sur la biographie d’André Marois nous révèle un écrivain français natif de Créteil, installé à Montréal depuis 1992, auteur prolifique de romans noirs, policiers ou de science-fiction pour adolescents et enfants, et même d’albums jeunesse. En 2006, son roman Accidents de parcours a été classé parmi les dix polars incontournables et en 2015, en collaboration avec l’illustrateur Patrick Doyon, il remporte le prix du Gouverneur général pour le livre Le voleur de sandwichs.

Le décor du roman est vite campé. Nous sommes sur les rives de la Mastigouche au cœur de la réserve faunique du même nom, lieu privilégié de randonnées et de ressources récréatives à l’écart des grands centres urbains. Dans deux chalets en vis-à-vis, séparés par la rivière, vivent deux veuves, Madeleine Lestang et Jacqueline Latourette, qui ne se parlent plus depuis des années. Leurs couples furent amis longtemps et leurs « chums » compagnons de pêche. Mais la mort du mari de Madeleine ayant suscité un certain rapprochement entre celle-ci et l’époux de Jacqueline, les liens se sont irrémédiablement distendus.

Il serait dommage de divulguer l’enchaînement des actions qui voient défiler un homme à vraiment tout faire, fine gâchette aux mains pas très nettes, un sergent suspicieux – déjà présent dans deux autres romans d’André Marois – une adjointe bien entendu séduisante, un grand-duc aux griffes acérées, une mamie au cœur fragile. L’ensemble est irrésistiblement drôle et on verrait bien le roman se convertir en bande dessinée. André Marois a découpé l’action de façon très scénarisée. De petits chapitres – 18 au total – dont les titres jouent sur la paronymie, empruntent des expressions figées ou le titre de films aux références célèbres. En ouverture Et au milieu coule une rivière (p. 11), Autant en emporte le vent (p. 44) ou encore La reine des neiges (p. 67) sont de belles trouvailles comme le clin d’œil au groupe de hard-rock français Les Cons Gelés (p. 104) !

Et l’écriture émaillée d’expressions typiquement québécoises « jaser » d’un sujet, savoir « chauffer » sur le verglas, « s’enfarder » dans le tapis, « magasiner » les courses… vaut son pesant d’accent et de couleur locale ! L’auteur au passage pointe en toile de fond quelques sujets d’actualité : « ces maudits changements climatiques », l’aide médicale à mourir ou la légalisation du cannabis. Cette dernière vaut au lecteur une amusante page-découverte sur Internet des produits disponibles. Roman pas si noir car se contentant de frôler la vraisemblance mais certes d’un humour décapant avec des péripéties bien construites au fil des saisons. L’action s’étire sur quelques mois. Nous les voyons se dérouler d’une fin d’été marquée par le dernier bain en rivière de Madeleine Lestang et les arbres qui se colorent à l’éveil d’un printemps avec la crue d’avril impressionnante et le retour des oiseaux migrateurs. Entre-temps a passé le long hiver québécois dont Louis Hémon disait dans Maria Chapdelaine : « Il apportait tout au moins l’intimité de la maison close et au-dehors avec la monotonie et le silence de la neige amoncelée la paix une grande paix… » Dans le roman d’André Marois, le lecteur apprendra plutôt en extérieurs blancs et gelés l’usage de la luge pour le transport des armes du crime dans la tempête qui « bardasse » ou celui des sacs de sel à déglacer dont la page 139 nous révèle la diversité et l’efficacité. Et il aura apprécié au passage de savoureuses scènes de préparation de crime hilarantes entre poulie, bûches d’érable et pèse-personne. La Sainte Paix mérite bien quelques prises de risques !). Ou répétitions d’interrogatoires potentiels rigoureusement théâtralisés parfois interrompus par des enquêteurs plutôt dubitatifs.

Avec son titre de bon augure soutenu par sa couverture, La Sainte Paix s’adresse plutôt à un public adulte amateur de romans noirs. Mais de grands adolescents bons lecteurs suffisamment dotés d’humour vont prendre aussi plaisir à cette lecture. Contre toute attente, cette Jacqueline à peu près totalement dépourvue de sens moral, carburant désormais au THC, prête à tout pour préserver sa tranquillité, y compris à malmener ses vertèbres, draine une sympathie amusée. Et les dernières lignes laissant entrevoir une possible suite, nous nous réjouissons à l’avance du grand débarquement qui pourrait la perturber à nouveau. On fait confiance à l’auteur mais il nous reste à attendre !

Image de Chroniqueuse : Christiane Sistac

Chroniqueuse : Christiane Sistac

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