Rudolf Simek, La Terre du Milieu : Tolkien et la mythologie germano-scandinave, Alpha, 18/01/2023,1 vol. (323 p.), 9€.
Cet opuscule de Rudolf Simek, consacré aux sources mythologiques de l’œuvre de Tolkien, ravira les fans du Seigneur des anneaux, car il fait le point sur tout ce qui a pu nourrir l’œuvre de l’écrivain anglais. L’univers de Tolkien ne doit pas seulement à l’imagination féconde de son auteur, mais puise dans des sources anglo-saxonnes et scandinaves. Tolkien était en effet un universitaire de renom, spécialiste du Moyen- Âge. Son expérience de la vie en Angleterre a influencé sa représentation du monde idyllique des Hobbits, le Comté (il a vécu dans la campagne anglaise) et de l’Isengard pseudo- industriel, un paysage dévasté par l’action humaine à travers la ville de Birmingham et les autres cités industrielles de l’époque
La fascination pour la littérature médiévale
Dès l’âge de 16 ans Tolkien s’est intéressé à la littérature norroise, avec la Völsungar Saga. Il l’a fait connaître à ses condisciples d’Oxford, université où il est revenu enseigner après la guerre. Ami de spécialistes de la Scandinavie ancienne il avait fondé le Viking club et s’est lié d’amitié avec CS Lewis, l’auteur de Narnia.
Tolkien a rédigé ses premiers récits dans des hôpitaux militaires. Le Hobbit a obtenu un grand succès. Le contexte de la Seconde guerre mondiale, présenté comme un combat entre le bien et le mal, semble justifier en partie celui, retentissant, du Seigneur des Anneaux. Mais la recherche littéraire s’est heurtée à un écueil, le fonds de ressources médiévales et mythologiques de ces œuvres, et c’est cette question que le livre se propose d’analyser, en rappelant la liberté prise par Tolkien avec « les motifs, les figures, les thèmes et même les structures médiévales« . Il s’efforce de montrer la manière dont il se les approprie pour « produire quelque chose de complètement nouveau« , en s’inspirant du cycle arthurien ainsi que des épopées nordiques pour « créer une sorte de mythologie nationale anglaise, A Mythology for England ». Rudolf Simek fait l’inventaire de tous les textes dans lesquels Tolkien a puisé, poèmes de l’Edda et Edda en prose, sagas de l’ancienne Islande, Geste des Danois de Saxo Grammaticus, etc.
Une toponymie et des personnages
Tolkien a esquissé la carte de la Terre du Milieu, mais Le Seigneur des Anneaux présente un planisphère d’une très grande précision, beaucoup plus riche en détails. Il se réfère à la cosmographie européenne médiévale, plus symbolique que réaliste, et limitée à trois continents. Deux mappemondes s’avèrent primordiales dans cette création d’un monde par l’écrivain, la Mappa Mundi de la cathédrale de Hereford, et la Cottoniana, empruntée à un manuscrit du XIe siècle. C’est sur elles qu’il se fonde essentiellement. Les noms de lieux soit renvoient à des formes antérieures de l’anglais, soit à des langues inventées comme le sindarin, soit, plus rarement, au norrois.
Les noms de localités anglo-saxonnes sont peuplés de Hobbits et de Ents, ceux à consonance kymrique d’Elfes, ceux d’origine sémitique de nains (dont les noms, étrangement, proviennent du norrois). L’auteur analyse la formation des termes topographiques et montre comment Tolkien se sert de restes de mythes épars pour fonder une nouvelle mythologie. La Terre du Milieu s’avère proche de la conception médiévale du monde. Quant aux Terres immortelles, longtemps perçues comme conformes à une représentation irlandaise de l’au-delà, elles sont en fait issues d’une petite saga norroise : L’Histoire d’Eirikr le grand voyageur, que Rudolf Simek étudie pour en montrer les coïncidences avec le texte de Tolkien. Il interroge aussi l’origine du Haut-Firmament ainsi que des Déserts et Gastes Terres, avant d’aborder celle des forêts, des eaux et marais et des Montagnes de Fer.
Enfin, il questionne les noms choisis par l’auteur, ceux venant du scandinave (en particulier les nains, les rois du Rohirrim et leurs ancêtres, ainsi que d’autres noms inspirés du norrois).
Dieux, Forces et animaux fabuleux
Toute une série de chapitres s’attache à explorer l’imaginaire de Tolkien, à travers les dieux et les créatures fantastiques qu’il met en scène. Il se focalise d’abord sur la figure d’Odin (alias Wotan), auquel Gandalf doit un certain nombre de traits, et qu’il oppose à Saruman, un contraste très manifeste dans le livre de l’auteur anglais. Une autre création de l’écrivain, Sauron, apparaît également comme une version négative d’Odin.
Parmi les éléments de la nature mythologique, le livre recense et explicite les personnages de Tom Bombadil, les bergers des arbres appelés Ents, ou Beorn le change-peau. Il s’attache ensuite à présenter les formes bienveillantes de la mythologie inférieure, comme les Hobbits, les Nains, les Elfes, et les hommes des bois. À l’opposé, les formes dangereuses de cette mythologie, Orques, Gobelins, Uruk-hai, Trolls, Géants ou encore Balrogs. À cette faune malveillante il convient d’ajouter le dragon gardien de trésor, les Aigles, Les Loups et les Wargs, les Loups-Garous et les Oliphants, déformation du mot éléphant avec un jeu de mots sur olifant.
L’écriture runique
Enfin, l’auteur se demande de quelle manière Tolkien réemploie les runes, à travers les variantes du futhark. Il dresse des tableaux récapitulatifs et montre la façon créative dont l’écrivain érudit a su se réapproprier les runes. Son attention se porte plus particulièrement sur les runes des nains ou les runes lunaires, avant de questionner, outre les runes de Cith et Angerthas, les runes symboliques ou magiques.
Très dense et très documenté, ce petit livre traduit de l’allemand, de lecture agréable, permet de comprendre l’érudition, la complexité du travail de Tolkien et l’originalité de sa démarche. Loin d’être destiné uniquement aux médiévistes, bien que l’auteur soit un éminent philologue autrichien, spécialiste de littérature germanique et de mythologie nordique, il saura toucher un plus large public, épris de fantasy.
Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne
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