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Le propos de « La vie des morts » est très simple : l’auteur s’adresse à sa sœur qu’il adorait, morte à vingt ans, emportée par une vague scélérate à Biarritz des décennies plus tôt.
Il entame donc un dialogue avec la disparue – imaginaire – car évidemment elle n’a pas le pouvoir de répondre. Ce n’est pas pour autant un soliloque, car l’auteur lui dit, dès le début du livre : « ta vie parmi nous suit son cours. » Ce qui fait écho à la très belle parole de Maurice Maeterlinck, Prix Nobel de littérature en 1911 : « Les morts ne sont pas des morts, ce sont juste des vivants que l’on ne voit plus et que l’on n’entend plus ». Et en effet, il lui raconte tout, sa propre vie depuis qu’elle a disparu, et même ce qui aurait pu être la sienne, si elle n’avait été brutalement interrompue.
Évidemment la peine, la souffrance, sont omniprésentes. Mais plutôt que de se tourner vers les « solutions clefs en main » qu’offrent par exemple les religions, Jean-Marie Laclavetine crée sa propre consolation. Et c’est avec l’écriture qu’il le fait, convaincu qu’ainsi : « Annie vivra chaque fois que quelqu’un lira le livre. »
Et en effet, peu à peu la magie de l’écriture, et celle de la littérature en lesquelles l’auteur a donc trouvé un puissant antidote pour apaiser sa profonde peine, opèrent. Annie revit, à ses yeux comme, ainsi qu’il l’augurait, à ceux du lecteur. Ou plutôt, elle n’est finalement pas tout à fait morte. L’auteur donne ici tout son sens à l’antique croyance des Égyptiens selon laquelle tant qu’une personne prononçait le nom d’un disparu, ce dernier n’était pas absorbé par ce néant qu’ils redoutaient par-dessus tout. « Les livres, élixir d’éternité, » clame l’auteur.
Cela me paraît infiniment plus humain et même plus constructif que le stoïcisme classique exprimé par un Sénèque dans sa « Consolation à Marcia » : « rien n’est plus naturel que de regretter les siens. Mais le préjugé entraîne au-delà de ce qu’impose la nature. » Ou pire encore, la « Consolation à M. du Périer », dans laquelle on a l’impression que Malherbe « enguirlande » ce malheureux homme inconsolable d’avoir perdu sa fille…
Par ailleurs, la foi ardente de l’auteur en le pouvoir de guérison de la littérature, est communicative.
Tout au long de son livre c’est en effet répété comme un mantra : « L’écriture ressuscite les morts… La littérature nous rend vivants… Les mots peuvent offrir une nouvelle vie aux disparus… Il n’y a pas d’autre raison d’écrire que d’aller chercher dans les ténèbres ceux que nous aimons… »
Rien d’artificiel, comme le seraient l’opium ou l’alcool, dans cette démarche qui, si elle apaise la douleur, ne la fait pas pour autant disparaître. Jean-Marie Laclavetine le dit très simplement : « sous les pas de qui a perdu un proche s’ouvre un trou noir de silence et de douleur. » Mais face à cela, « les livres nous rendent moins seuls. »
Il trouve d’ailleurs un renfort appréciable chez quelques grands écrivains, qu’il cite à l’appui de ce qui est finalement sa conviction profonde, en un mot, que l’amour est plus fort que la mort : Guillaume Apollinaire par exemple, dans son poème « La maison des morts » (Alcools 1913) :
« Car n’y a-t-il rien qui vous élève comme d’avoir aimé un mort ou une morte. On devient si pur qu’on en arrive dans les glaciers de la mémoire à se confondre avec le souvenir. On est fortifié pour la vie et l’on n’a plus besoin de personne. »
De son côté, Simone de Beauvoir, justifie pleinement ce recours de l’auteur aux mots pour apaiser les maux occasionnés par la disparition d’un être aimé : « il y a des heures si noires qu’il ne reste plus d’autre espoir que ce cri qu’on voudrait pousser… Sans doute les mots universels, éternels, présence de tous à chacun, sont-ils le seul transcendant que je reconnaisse et qui m’émeuve. Par eux, je communie avec l’humanité. Ils arrachent à l’instant et à sa contingence les larmes, la nuit, la mort même, et les transfigurent. »
Alors oui, les morts sont vivants. Du moins pour qui veut leur prêter vie et prend le temps de les écouter. Et cette idée me remet en mémoire l’un de mes poèmes préférés, « Karomama » de O.V. de L. Milosz, qui s’achève ainsi : « Je te sens près de moi, j’entends ton long sourire chuchoter dans la nuit : Frère, il ne faut pas rire. »

En résumé et en conclusion, avec « La vie des morts », c’est une forme d’apaisement qui vous attend, en particulier si vous avez perdu un proche ; ce que confirme d’ailleurs l’auteur au vu des réactions de très nombreux lecteurs à son premier livre déjà consacré au drame qu’il a vécu, « Une amie de la famille, » qu’il mentionne dans ce deuxième opus. Car, comme l’écrit Kundera que cite également Jean-Marie Laclavetine : « d’emblée, tout est clair : la vie humaine, en tant que telle, est défaite. La seule chose qui nous reste face à cette inéluctable défaite qu’on appelle la vie est d’essayer de la comprendre. C’est la raison d’être de la littérature. »
C’est aussi, pour moi, la raison d’être de ce très sobre, très émouvant et très beau livre.

Guillaume SANCHEZ
contact@marenostrum.pm

Laclavetine, Jean-Marie, « La vie des morts », Gallimard, « Blanche », 11/03/2021, 1 vol. (200 p.), 17,00€

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