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Romain Brethes, La vraie vie des dieux grecs : quels secrets cachent encore les Olympiens ?, Préface Giulia Sissa, Le Cerf, 01/02/2024, 1 vol. 20€.

Le livre de Romain Brethes accroche d’emblée l’esprit et donne faim de nourriture mythologique. Enfantant la curiosité et (ré)confortant la connaissance de la théogonie hellénique, les anecdotes et les exemples se succèdent à foison sans temps mort, activent et réactivent un monde divin et (sur)humain, le rendent vivant et légitiment pleinement l’intitulé : La vraie vie des dieux grecs. Ils répondent avec leurs innombrables représentations, imagées, fouillées et exhaustives, au sous-intitulé : Quels secrets cachent encore les Olympiens ? Si les faits d’armes et de larmes, cris et cliquetis, des dieux et des déesses antiques sont pluriels, que dire du nombre et de la hiérarchie de ces mêmes dieux et déesses ? L’auteur a dû faire un choix difficile et, faisant preuve d’arbitraire mais aussi d’une parité exemplaire, a concentré son panthéon en cinq dieux et cinq déesses. Force est d’avouer que rendre compte de son travail, riche en références antiques mais aussi contemporaines (archéologiques, historiques, géographiques, littéraires, poétiques, philosophiques, politiques, religieuses, picturales, bédéphiles, vidéo-ludiques, filmiques…), est une gageure digne d’un des travaux d’Héraclès. Le plus simple, ici, est de se limiter et de ne dévoiler, aléatoirement et de manière neutre, que cinq dieux et déesses sous le seul angle érotisant, assurément le plus important, car “sans sexualité, les dieux grecs n’existeraient pas” (Giula Sissa).

Zeus, le dieu le plus puissant de l’Olympe, est aussi un souverain autoritaire auquel les dieux et les déesses doivent tous et toutes obéir sous peine de son courroux vengeur. Il est un dieu très aimant et volage (on peut d’ailleurs se demander comment il a le temps de gouverner). En forme olympienne, il multiplie non seulement les épouses divines : (officiellement) Métis, Thémis, Héra – cette dernière est aussi sa sœur et consacre donc un inceste, bien moins connu que celui, humain, d’Œdipe et de Jocaste – mais aussi les incartades humaines. Il génère donc une prolifère et brillante descendance, tant divine qu’héroïque (l’enfant d’un dieu et d’une mortelle est un héros doté de pouvoirs surhumains mais mortel), pour la plus grande fureur de Héra, sa femme, impitoyable envers ses rivales. Mais, aussi puissant soit-il, il ne peut rendre aucune femme directement amoureuse de lui. Il lui faut agir par ruse et par métamorphose animale, élémentaire, voire humaine – la métamorphose est un pouvoir dont disposent les dieux et les déesses qui sont des êtres trompeurs et polymorphes, prêts à tout pour assouvir leurs desseins – et prendre les formes et les volumes les plus variés. Il devient satyre avec Antiope, taureau avec Europe, cygne avec Léda, pluie d’or avec Danaé, nuage avec Io, aigle avec le berger Ganymède (le dieu est indifférent au sexe de ses conquêtes, seule la grâce compte), “sosie” avec Alcmène (en prenant l’apparence de son mari, Amphitryon). De fait, s’il apparaissait sous sa forme originelle à ses conquêtes mortelles, sa vision, divine, leur serait fatale. Tel est le triste sort réservé à la Thébaine Sémélé qui, sous le conseil perfide de Héra, lui demanda d’apparaître dans toute sa splendeur, ce qui la foudroya ipso facto.

Héra est la sœur de Poséidon, de Déméter et de Hadès, et donc de Zeus, qu’elle épousa. Ses éternelles disputes contre Zeus, qui la trompe sans compter, sont légendaires, et pourtant elle forme avec Zeus le couple modèle (ce qui laisse perplexe). Sa colère la plus mémorable touche la conception des sexes et des genres. Tirésias de Thèbes fut choisi comme juge médiateur par le couple divin pour trancher un débat les opposant vivement : “Qui, pendant l’acte sexuel, prend le plus de plaisir, l’homme ou la femme ?”. Cette question, digne du Sphinx, paraissait insoluble mais le mortel choisi avait été transformé en femme pour avoir surpris et blessé des serpents et avait retrouvé sa forme d’homme après avoir à nouveau observé des serpents sans intervenir. Il était donc le seul à pouvoir répondre péremptoirement à la question. Il affirma que la femme avait sans contestation possible une extase neuf fois supérieure à celle de l’homme. Héra furieuse (mécontente de la réponse et surtout du prorata ?) rendit aveugle Tirésias alors que Zeus lui offrit le don de voyance pour le remercier.

Aphrodite, déesse de l’amour, est si belle que sa statue exposée à Cnide et signée du génial sculpteur Praxitèle, attire des foules d’adorateurs transis. La déesse, qui est entièrement nue si ce n’est une main qui cache furtivement sa pudeur, bénéficie d’une scénographie à sa mesure : son temple sacré possède deux entrées qui permettent au visiteur de la voir de face et de dos, offrant ainsi une vision sur ses fesses en marbre de Paros. Elles sont si parfaites et troublantes qu’elles émeuvent même les hommes efféminés. Aphrodite n’est-elle pas la déesse de toutes les amours ? Cependant, on distingue sur l’une de ses cuisses une tâche qui semble être celle d’un vêtement. Celle-ci serait due à un jeune homme qui, éperdument amoureux de la statue, se laissa enfermer de nuit et commit l’irréparable, laissant à jamais un témoignage de sa folie. On ne peut que rester songeur en pensant aux ravages fous provoqués par la puissance démultipliée de sa vraie beauté charnelle et non marmoréenne.

Dionysos est un dieu purement olympien, il est pourtant le fruit des amours de Zeus et de la belle Sémélé, foudroyée pour l’avoir vu en “sur-nature” (divine). Il est “né immortel d’une mortelle” de la cuisse de Zeus qui l’a sauvé in extremis en l’enfermant avec des agrafes d’or pour qu’il achève sa gestation (on pense aussi à Athéna née et sortant du crâne de Zeus). Acte mâle exceptionnel, Zeus, le dieu des dieux, en accouchant d’un mortel, le rend immortel.

Déméter est une des sœurs de Zeus, avec qui elle a une fille Perséphone (autre inceste fraternel après celui avec Héra). Son conflit le plus connu est le moment où sa fille est enlevée par Hadès, un autre de ses frères (nouvel inceste, cette fois entre oncle et nièce). Alors que Perséphone cueille un narcisse (double symbolique érotique de fraîcheur et de défloraison), Hadès, dieu olympien et pourtant maître sous-terrestre des enfers, jaillit d’une crevasse sur son char et l’emporte en son royaume souterrain. Déméter, furieuse, apprend que ce rapt a été autorisé par Zeus en personne. Meurtrie, elle quitte l’Olympe et descend dans le monde de Mortels, impose à l’Humanité un an de famine pendant lequel, malgré les semences, rien ne pousse. Or, sans agriculture, il n’y a pas de sacrifices, et tous les dieux – dont Zeus en premier lieu, comme l’a désiré Déméter – se voient privés des honneurs qui leur sont dus, ceux qui font leur gloire et montrent leur puissance. Comme c’est souvent le cas lors des litiges entre Dieux, Zeus envoie Iris, la messagère des dieux, pour calmer Déméter, mais rien n’y fait. Il charge alors Hermès, son messager personnel, de convaincre Hadès de libérer Perséphone. Hadès acquiesce, mais lui glisse des grains de grenade qu’elle mange. Or, selon les rites du mariage antique, la femme mangeant sous le toit du mari, scelle son mariage. Perséphone se condamne : elle pourra donc retrouver sa mère mais devra revenir vers Hadès pour désormais partager l’année entre l’Olympe (deux tiers) et les enfers (un tiers) (ou six mois et six mois selon les auteurs).

Romain Brethes est docteur en littérature grecque, agrégé de lettres classiques, professeur de langues et cultures de l’Antiquité en CPGE et en Sciences Po. Son ouvrage, magistral et instructif, s’appuyant sur les textes antiques, mentionnant les différentes versions légendaires, précisant les ouvrages classiques et récents de spécialistes et de chercheurs universitaires, s’adresse à un large public. Il est conseillé tant aux hellénistes et aux latinistes qu’aux férus de mythologie, contes et légendes, et d’histoires anciennes. Il est une déambulation spirituelle et une invitation ludique à (re)découvrir les dieux et les déesses antiques. Pour tout dire, La vraie vie des dieux grecs de Brethes vient rejoindre et compléter Les métamorphoses d’Ovide.

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Chroniqueur : Albert Montagne

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