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L’engagement extraordinaire de Marie de Hennezel depuis des années auprès des personnes en fin de vie, son incandescent plaidoyer pour que nos sociétés ne détournent pas le regard du grand âge ni du mourir, ni de la mort, ses ouvrages aux larges diffusions comme cette Mort intime préfacée par François Mitterrand, en 1995, se sont trouvés comme réfutés, ses efforts comme anéantis par l’autoritarisme insensé des mesures gouvernementales reléguant un peu plus loin encore la vieillesse et la mort vers les confins du monde. On sent dans ce livre tout son dépit et toute sa colère : “J’entends encore la voix bouleversée de Boris Cyrulnik à la radio, insistant sur le fait que jamais dans l’histoire de l’humanité – à l’exception cependant de Créon interdisant à Antigone d’inhumer son frère – une décision politique n’a empêché un être humain d’honorer un mort, en accomplissant ce rite immémorial qu’est l’enterrement ou la crémation. Il nous alertait sur les dégâts psychologiques dont nos politiques prenaient la responsabilité.” Comment pourrait-il en être autrement si toutes les unités de soins palliatifs au sein desquelles elle a autrefois œuvré et dont elle a orienté le travail – qu’elles accueillent ou non des patients atteints du Covid 19 – ont vu s’effondrer à peu près tout ce qu’elles avaient réussi à mettre en place ces dernières années ? Non seulement les familles furent lors du premier confinement interdites de visite pour accompagner leur proche dans ses derniers moments, mais l’obligation pour les soignants de s’équiper comme des cosmonautes eut pour conséquence “l’impossibilité d’établir un contact peau à peau”, autrement dit, pour les équipes, la perte de tous leurs repères. Elle rappelle cette notion de “Travail du trépas” mis en lumière par le neuropsychiatre et psychanalyste Michel de M’Uzan : “Le mourant peut faire preuve d’une “appétence relationnelle” tout à fait surprenante, alors même qu’il est aux portes de la mort. Ce regain d’énergie est au service d’une dernière tâche, que Michel de M’Uzan nomme le “Travail du trépas”. Il s’agit d’aller au bout de sa relation avec autrui. De déposer quelque chose de soi chez l’autre, l’autre aimé, l’autre qui accompagne, l’autre qui va nous survivre. Par un geste, une parole, un regard – tous ces bruissements de la vie affective –, l’essentiel est dit. Gratitude, bénédiction, pardon. Les derniers échanges deviennent irremplaçables. Parce qu’on ne se sent pas abandonné par ses frères humains, on peut alors s’abandonner avec confiance au mystère de la mort.”
À ces derniers pas accomplis dans une solitude qu’on ne sait même pas concevoir, il faut ajouter cette impossibilité faites aux proches du défunt de se rassembler, funérailles empêchées à la fois pour celle ou celui qui part et pour ceux qui restent. Et Marie de Hennezel de s’étonner de la docilité sidérante avec laquelle la population française a accepté le confinement, docilité qui, bien entendu, “s’est retrouvée chez les familles venant de perdre un être cher. Elles ont accepté avec douleur, avec dignité, qu’on leur interdise de voir une dernière fois le visage de leur mort, qu’on les interdise de funérailles.” Sur cette incroyable docilité, il y aurait des ouvrages entiers à écrire et sans doute le seront-ils lorsque nous ouvrirons les yeux et que ce cauchemar sera terminé. Bien entendu, ces interdits ont engendré, comme à chaque fois, des gestes de dissidence qui sont alors autant de gestes d’humanité. Sinon ce serait à désespérer absolument. Elle cite le témoignage de cette femme convoquée par la directrice de l’Ehpad où sa mère est atteinte du Covid. “Quand elle a senti que ma mère allait mourir, elle m’a autorisée à venir. Quand j’ai vu ma petite maman si frêle dans son lit, avec ses grands yeux fixés sur moi, je n’ai pu résister. Je me suis approchée et je l’ai prise dans mes bras. J’ai vu que la directrice me faisait signe de reculer, mais je suis restée là, serrant ma mère contre moi. J’ai vu que la directrice avait des larmes dans les yeux. Elle m’a laissée dire au revoir. Puis elle m’a fait signe de me retirer. Sur le pas de la porte, elle m’a dit qu’elle n’avait pas eu la force de m’empêcher. Je l’ai remerciée. Je n’ai pas attrapé le Covid, et aujourd’hui je suis infiniment reconnaissante à cette femme pour son humanité.”
Si l’on pense à la détresse des mourants, à celle des familles, on doit penser aussi à celle des personnels hospitaliers, à celle des accompagnants, à celle de toutes les personnes investies dans les métiers du funéraire, identifiés comme des métiers à hauts risques, à tous ces gens qui ont fait leur travail “la peur au ventre” : “Ce qu’ont vécu les services funéraires est indescriptible.”
Livre déchirant sur ce moment de faillite collective que nous traversons, livre qui doit être lu pour méditer sur ce que, progressivement, nous abdiquons depuis la mise en place de ces mesures répressives. “Cette situation douloureuse est le fruit d’une absence d’éthique incompréhensible au pays des droits de l’homme, écrit Marie de Hennezel. Elle est aussi la preuve d’un manque coupable du respect que nous devons au droit de chacun de disposer de sa vie comme il l’entend, et de prendre pour lui-même les risques qu’il est prêt à prendre.”

Jean-Philippe de TONNAC
contact@marenostrum.pm

Hennezel, Marie de, “L’adieu interdit”, Plon, 15/10/2020, 1 vol. (149 p.),16,00€.

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