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Yannick Lallemand avec Frédéric Pons, Padre. Mémoires d’un aumônier militaire, Tallandier, 16/01/2025, 304 pages, 21,90€

En 2020, dans le cadre d’un ouvrage à sortir sur les hommes qui ont compté au 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine, j’ai contacté le « Padre » Yannick Lallemand, qui devait figurer dans le chapitre consacré aux aumôniers. Je pense encore avec délice aux longs échanges que nous avons eu. Sa disponibilité, son amabilité m’ont subjugué. C’est à la lecture des documents qu’il m’a fait parvenir que j’ai compris pourquoi mes chefs insistaient tellement pour intégrer dans le livre un homme tel que lui.
Au crépuscule de sa vie, voici que le Padre a décidé de se livrer et de faire le bilan de son chemin exceptionnel dans un opus que l’on lit comme le roman qu’a été son parcours.

Bon sang ne peut mentir

Né en 1937 d’un père officier, le petit Yannick aura la tristesse de ne pas voir ce dernier durant de longues années, prisonnier de guerre qu’il est après la défaite de 1940. Élevé par une mère aimante mais débordée par l’éducation qu’elle entend donner à sa nombreuse progéniture, le jeune gamin doit se forger une volonté de fer, à l’instar de ses frères.
À la libération des camps, c’est un père taciturne qui revient et Yannick le suit au cours de ses nombreuses mutations. À ses vingt ans, après de solides études, le futur Padre décide de servir comme officier de réserve en Algérie. Tiraillé entre le devoir, son attirance envers une amie d’enfance et une voix qui l’incite à une autre vie, le sous-lieutenant Lallemand a le désespoir d’apprendre la mort héroïque de son frère, officier dans les parachutistes.
Ses autres frères sont engagés dans le monde de l’armée et Yannick accomplit avec fidélité ses obligations militaires, voyant disparaître nombre de ses camarades.
Revenu à la vie civile, notre homme, qui a eu le temps lors des marches interminables ou dans les nuits désertiques de positionner son futur, opte pour se donner à Dieu. Il ne regrettera pas une seule seconde ce choix.

Prêtre des villes et des campagnes

Le père Lallemand a eu le loisir de connaître les êtres humains, sous toutes leurs facettes, au cours de la guerre d’Algérie. Il va désormais mettre son expérience humaine au service de Dieu et des hommes.
De paroisse en église, le prêtre qu’une attitude bienveillante habite, sait donner les conseils que nécessitent les malheureux et les hésitants. Sa parole fraternelle guérit nombre de maux psychiques chez ceux qui ont tant besoin d’un appui moral. Cependant, notre curé a une idée qui lui trotte dans la tête depuis longtemps. Il est bien entendu hors de question de renoncer à la prêtrise mais pourquoi pas l’exercer dans un monde qui en a tant la nécessité ? Après de longues démarches, il obtient de retourner dans le métier des armes, comme aumônier militaire. Une autre vie commence, exaltante.

Soutane noire et béret rouge… et vert

Yannick est sportif, très sportif. Est-ce pour cette raison qu’il est affecté dans les chasseurs alpins ? En tout cas, coiffé de sa « tarte », il prend à bras-le-corps son sacerdoce. Course en montagne avec un sac à dos invraisemblable de volume, stage de skieur, raid par des températures extrêmes, tel est le lot de notre serviteur de Dieu. Accompagnant les jeunes chasseurs dans toutes les manœuvres, le Padre gagne en notoriété dans le monde militaire. Il soulage par les paroles apaisantes qu’il distille.
Au début des années 1970, notre aumônier est muté dans un prestigieux régiment de la brigade parachutiste : le 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Carcassonne. Coiffant le béret rouge, il s’adonne à une nouvelle passion : le parachutisme. Titulaire de nombreux sauts, il est de toutes les opérations que la brigade d’urgence effectue dans la bonne humeur. Marches harassantes succèdent aux stages commandos. Yannick, qui décèle dans les jeunes paras les blessures de la vie, est un interlocuteur privilégié de la troupe et du commandement. Il passe en 1976 au 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi.
L’aumônier avait eu la chance de n’avoir plus connu les horreurs de la guerre depuis l’Algérie. Malheureusement, l’actualité le rattrape. Au Zaïre, la tragédie se prépare. Dans la région du Katanga, les partisans attaquent la ville de Kolwezi. Les rebelles massacrent des centaines d’habitants avant de s’en prendre aux Européens qui, nombreux, subissent le même sort. Une opération est montée dans l’urgence avec comme troupe de choc le 2e REP. Le Padre, bien entendu, fait partie de l’expédition.
Les légionnaires, pris sous le feu, essuyant des pertes, se déploient et combattent pied à pied contre un adversaire gorgé du sang de ses victimes. Il faut à Yannick tout le sang-froid de l’homme de Dieu pour résister à la tentation de la violence devant le spectacle dramatique qui s’offre à lui. Il lui faut ensuite réconforter les soldats en faisant montre de la compassion nécessaire.

Drakkar ou le paroxysme

En 1984, la France envoie ses soldats pour tenter, terme illusoire, de maintenir un semblant de paix à Beyrouth. Essaimés dans la capitale libanaise au sein de bâtiments plus ou moins fortifiés, les paras français surveillent et patrouillent sans tenir compte des dangers qui les entourent. Le Padre Lallemand est là pour écouter les hommes qui doutent de leur mission et de la parole de Dieu devant tant d’horreur quotidienne. Le 23 octobre 1984, une immense explosion brise le fragile silence de la capitale. Un attentat suicide vient de faire effondrer l’immeuble « Drakkar », occupé par une compagnie du 1er régiment de chasseurs parachutistes. Comme un château de cartes, les étages se sont affaissés les uns sur les autres. Yannick, pris d’une frénésie compréhensible, se rue sur les ruines, muni d’un seul masque sur la bouche, pour extraire morts et blessés du terrifiant monceau de gravats. Sourd aux conseils de ses supérieurs qui lui ordonnent le repos, il soulage les mourants, donne l’absolution à ceux que le béton a effroyablement écrasés, tient la main aux blessés qui s’accrochent de toutes leurs forces à la vie. Cette expérience, traumatisante, le fait réfléchir à l’avenir de son sacerdoce.

Plus près de toi, mon Dieu

Il est temps pour le Padre de prendre une certaine distance avec le monde. Lors d’une de ses nombreuses missions au Sahel, il a pu constater l’absence de la parole divine auprès des chrétiens tchadiens ou nigériens. Il obtient de quitter pour un temps l’uniforme et de rejoindre les âmes perdues en quête de prière et de piété. Encore une fois, comme il en a l’énergie, il va remettre en état les chapelles abandonnées ou saccagées et apporter son soutien aux enfants du Seigneur.
Sa passion, son engagement de tous les instants en font rapidement un interlocuteur privilégié des autorités et un temporisateur de toutes les violences prêtes à se réveiller. Son action lui vaut d’être comparé par les autochtones au Père de Foucault. Son départ est vécu dans la région comme un crève-cœur mais ses bienfaits persisteront bien au-delà de son action altruiste.

Monsieur Légionnaire

30 avril, quartier Viénot, la maison mère de la Légion. Comme chaque année à cette date, une grande cérémonie se prépare. Les légionnaires commémorent la bataille de Camerone, au cours de laquelle soixante-huit soldats, obéissant aux ordres de leur chef, le capitaine Danjou, ont combattu jusqu’à la dernière extrémité contre plus de deux mille Mexicains. Le chef prestigieux est mort au milieu de sa troupe, laissant sur le terrain sa main en bois, stigmate de ses combats passés. Cette relique, récupérée, est désormais enchâssée dans un coffret de verre et de bois.
Le 30 avril, cette châsse est portée au pas lent par un personnel éminemment méritant. Arborant ses multiples décorations, pétri d’émotion et de modeste fierté, le Padre Yannick Lallemand, entre deux rangées de combattants émus, présente la Main, ultime honneur à cet homme dont toute la vie a été tournée vers l’amour du prochain et le salut de l’âme.

 

Toujours actif, toujours présent, le Padre, en uniforme ou en soutane, continue de rayonner dans le monde civil et militaire. Cet ouvrage, modèle de confession, doit être lu par le plus grand nombre afin de casser les reins aux poncifs qui circulent sur les forces armées et leurs aumôniers.

Image de Chroniqueur : Renaud Martinez

Chroniqueur : Renaud Martinez

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