Cécilia Dutter est reconnue comme une romancière de la transmission et de la résilience. Depuis son roman « A toi, ma fille, Lettres« , jusqu’à son récit « La Loi du Père« , et enfin des beautés de la Bible aux horreurs de la Shoah – « Etty Hillesum, une voix dans la nuit » – l’auteure court sur le fil du temps qu’elle interroge. Cécilia Dutter, très cérébrale, très affective, en prise avec le concret (formation de juriste) et le regard porté plus loin que l’horizon (redécouverte de la foi chrétienne), a vécu intensément ses lectures et ses expériences. Sa proximité avec Etty Hillesum, cette jeune femme juive qui s’est rendue de son propre chef à Auschwitz pour « consoler Dieu », lui a peut-être inspiré la vie passionnée et passionnante de Marie-Madeleine.
Avec « L’Amoureuse » nous suivons les tribulations aventureuses, rebelles, amoureuses, mystiques au sein duquel – avec une affection parfois teintée de rudesse – Cécilia Dutter réalise une habile fusions des trois Marie-Madeleine des Évangiles canoniques sans en changer le sens. Nous découvrons alors le message de l’auteur : il ne saurait y avoir de sensibilité de l’âme sans vibration sensible du corps. À partir de là, la résilience est possible, et la transmission s’impose. C’est cette transmission initiatique que nous découvrons dans le très controversé Évangile apocryphe de Marie, un texte gnostique du IIe siècle. Il fait de la prétendue pécheresse la première disciple du Christ, celle qui est à la tête des apôtres, et dont certains exégètes pensent qu’elle serait même la fondatrice du christianisme.
Cécilia Dutter a choisi la forme romanesque pour sa Marie-Madeleine. Elle relate, dans une communion féminine, les rébellions sauvages de la belle jeune fille (la liberté ou la soumission), sa gourmandise de la jouissance, son goût pour le pouvoir sensuel qu’elle exerce sur les hommes (vengeance ?).
Mais le plus beau reste à venir. La relation unissant Jésus à Marie-Madeleine, qui va de l’âme au corps, et du corps à l’âme. Dans un mouvement que Cécilia Dutter manie avec délicatesse, l’auteure désire ne jamais souffler au lecteur (a contrario de Dan Brown), la moindre pensée de nature à souiller l’élan mystique jailli d’une pécheresse qui – sans renier son passé – découvre en Jésus un Absolu d’amour enfoui depuis toujours en elle. Un amour qu’elle ressentait, mais qui n’était pas de même nature que celui de ses anciens et éphémères amants, jouisseurs dans la prise, ignorants dans le don.
Marie-Madeleine reste femme ; une femme sensuelle ; une femme d’une étonnante modernité. Elle n’ignore pas son corps, et comprend que si Jésus n’était pas le Christ, elle serait au comble du bonheur d’être son épouse. Mais la force du roman de Cécilia Dutter est là : l’amour peut s’incarner et peut brûler sans se consumer dans le corps.
Jésus est un homme, forcément sensuel, mais Il est en mission. Éprouve-t-Il pour cette femme, si suavement féminine et libre, une attirance physique ? Pudiquement, Cécilia Dutter n’en dit rien. Et c’est mieux ainsi. Quel intérêt ? Jésus sait que Marie-Madeleine est amoureuse de Lui, dans son entièreté. Mais Jésus est ailleurs, Il est dans l’Amour universel. Pour Jésus, cet Amour est vécu en communion avec Dieu son père. Il vise et veut remuer en tout cœur un désir d’élévation qui amène chacun à voir en l’autre, non pas dans une opportunité de jouissance éphémère et égocentrique.
C’est ainsi que Cécilia Dutter nous entraîne dans une certaine forme de rêve. Et le lecteur est en droit de se dire : et si Marie-Madeleine avait raison qui, sans renoncer à ses désirs secrets, les transcende pour connaître auprès du maître ressuscité (dont elle aimerait toucher le bas de la tunique, geste qu’Il lui refuse), la jouissance presque extatique d’un amour infini qui la comble ?
Léonce CAMBRES
articles@marenostrum.pm
Dutter, Cécilia, « L’amoureuse : le roman de Marie-Madeleine », Tallandier, 26/08/2021, 1 vol. (256 p.), 18,90€.
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