Pollack, Guillaume, L’armée du silence : histoire des réseaux de Résistance en France : 1940-1945, Tallandier | Ministère des Armées, 02/06/2022, 1 vol. (537 p.) 25,90€.
De l’héroïque « Armée des ombres » de Joseph Kessel au poignant « Alias Caracalla » de Daniel Cordier, cinquante ans de lectures sur le brûlant sujet de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale ont bercé ma vie de liseur acharné. En effet, quel thème de l’histoire de France, ne définit pas plus cette abnégation, ce don de soi au service d’une cause juste et ce sacrifice librement consenti ? Guillaume Pollack, docteur en histoire, a sauté le pas pour en faire sa spécialité.
Tout a été dit sur la Résistance, tout a été écrit et tout a été filmé, croit-on ! Imaginant le thème éculé, certaines crapules se sont même autorisées à remettre en question les idéaux de ces héros du silence, voire à les classifier, entre les incapables, les fanfarons et les « résistants de la dernière heure ». Heureusement, d’autres ont laissé à la postérité d’émouvants témoignages sur les activités clandestines de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont refusé la défaite. Ceux-là, femmes et hommes, de toutes les couches de la société, de tous âges, de toutes conditions et, quoi qu’on en dise, de toutes sensibilités politiques.
Pourtant, si cette thématique approche son niveau de saturation, il est un sujet qui n’a été que très peu abordé : celui de l’histoire des réseaux de résistance à proprement parler. C’est là qu’intervient Guillaume Pollack qui, au terme d’un labeur acharné et en tous points minutieux, nous livre une œuvre unique par la documentation présentée et qui, loin de nous abrutir de données techniques, présente son propos comme un roman d’aventures, souvent tragique, jamais pathétique, toujours héroïque.
Dès les premiers jours de la défaite, avant même l’appel du 18 juin, des femmes et des hommes, sans ordre reçu, seuls face à l’immensité du désastre, commettent des actes de résistance individuels : destruction de lignes téléphoniques, sabotage de véhicules ou encore graffitis aux termes bien sentis. Ce n’est qu’au bout de quelques semaines que les premiers groupes s’organisent, tout en faisant preuve du plus dangereux amateurisme. Qu’importe ! Il s’agit de s’opposer à l’occupant, sous quelque forme que ce soit.
Rapidement détectés par l’occupant ou par les services vichystes, les malheureux précurseurs de la Résistance sont soumis à la torture, déportés ou brutalement exécutés. Il faut donc faire apprendre la patience et la discrétion aux survivants et aux nombreux postulants et ce n’est pas toujours dans le caractère du Français. Heureusement, quelques officiers de l’armée, des policiers ou des gendarmes, habitués à la discipline, vont structurer les embryons de réseaux dont les mouvements ont besoin.
Apparaissent bientôt des figures tutélaires des futures organisations qui, par leur charisme, vont insuffler un vent nouveau sur les missions à accomplir et les buts à atteindre. Appuyés par les agents de Londres : services secrets britanniques et gaullistes, les « hors-la-loi » vont commencer à obtenir d’excellents résultats. Mais en quoi consiste un réseau de résistance ?
Souvent de la même origine géographique, du même métier, de la même entité administrative, des groupes se créent, quelquefois jaloux de leur propre prérogative. Le cinéma ou la littérature ont stigmatisé les combattants armés, sabotant les ouvrages ferroviaires ou déclenchant une embuscade meurtrière face à des Allemands implacables. Une vaste toile d’araignée s’est tissée pour en arriver à ce stade de la libération de notre pays. Les « petites mains » sont nombreuses. Hommes et femmes qui ne porteront jamais une arme mais qui, par leur service indispensable vont permettre la réussite de nombreuses opérations.
Par une nuit noire, un petit groupe scrute les alentours de la campagne en attendant les vrombissements d’un avion. Celui-ci se pose après plusieurs embardées sur une piste masquée ou livre par les airs son chargement de matériels ou d’agents. Chacun connaît sa mission : allumer les feux d’approche, récupérer volontaires et munitions, acheminer le tout vers un endroit sûr où une famille patriote risquera sa vie en camouflant la cargaison reçue. Une jeune fille enfourche son vélo et se rend au petit matin à une « boîte aux lettres » pour aviser de la réussite du raid. Au fond d’un mauvais appentis, une ronéo et une machine à écrire servent à rédiger les consignes que les préposés aux liaisons vont distribuer. Au fond d’une cache, en plein centre-ville, un commerçant stocke l’armement dans l’attente du grand jour. Dans sa bibliothèque, un retraité, vétéran de la Grande Guerre, dissimule des millions de francs qui serviront à solder ceux qui n’ont plus rien. Car jamais l’adage « le nerf de la guerre » n’a été plus vrai. Ailleurs, au sommet d’un col enneigé, le passeur au visage buriné mène son convoi de juifs pourchassés ou de combattants cherchant à rejoindre les forces françaises libres à travers les chemins vertigineux des Pyrénées. En cas d’arrestation, car les patrouilles adverses veillent, il sait que seule la Mort l’attend, précédée d’un interrogatoire raffiné.
Bientôt partiellement ou totalement opérationnels, les réseaux se dotent d’un patronyme, celui qui les immortalisera : Combat, Organisation de Résistance de l’Armée, Confrérie Notre-Dame, Libération… Les acteurs, afin de ne pas compromettre leurs familles mais surtout leurs camarades, s’affublent de surnoms aux consonances brutales ou rappelant leurs origines : Max, Rex, Caracalla, Leuzachmeur ou encore Conan.
Malheureusement, les services de police vichystes, la Gestapo ou la police allemande ne restent pas les bras croisés. Secondés par ce que la France a engendré de plus ignoble, les agents ennemis profitent du manque de cloisonnement de certains réseaux pour les infiltrer et les détruire. Malheur à tous ces héros de l’ombre dont on ne connaîtra pas le nom et qui, peu aptes à résister lors de séances de torture, vont tomber sous les coups de leurs bourreaux à moins qu’ils ne consentent, au bout du rouleau, à trahir leurs camarades, la mort dans l’âme. C’est ainsi que plus de la moitié des réseaux seront anéantis durant la guerre et que plus de cent mille résistants paieront le prix le plus fort à la cause de la liberté.
Le livre L’armée du silence, car c’est le juste titre que Guillaume Pollack a choisi, doit nous sensibiliser, à travers sa lecture, au choix cornélien qui s’offre à nous lorsque le devoir commande. Il est un document obligatoire à ceux qui veulent se renseigner sur l’extrême complexité des réseaux de résistance au travers de leur existence, leurs souffrances et leurs réussites.
Chroniqueur : Renaud Martinez
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