Temps de lecture approximatif : 3 minutes

Marie Kelbert, Le Buzuk, Viviane Hamy, août 2024, 21/08/2024, 19,90 €.

Qu’est-ce donc qu’un Buzuk ? Dans l’environnement breton c’est une monnaie locale créée par un collectif éponyme. Pour d’autres familiers de l’océan, ce serait un ver marin repérable au petit trou qu’il creuse dans le sable.
Mais pour Joséphine, l’héroïne septuagénaire du roman de Marie Kelbert, il s’agit d’un teckel appartenant à son défunt mari, dont le caractère aussi imprévisible qu’attachant va symboliser le destin d’une grand-mère à la croisée des chemins. Un animal qu’elle hésite à garder ou à s’en séparer qui va refléter en réalité son propre dilemme intérieur. C’est-à-dire avancer le temps qui lui reste à vivre ou demeurer attachée à ces souvenirs. 
Une thématique singulière, qui débouchera sur un récit inattendu aux multiples rebondissements gravitant autant autour de préoccupations aussi intergénérationnelles qu’environnementales.
C’est l’été sur cet îlot Sainte-Anne, alias la Couette de Plumes, et tandis que des élagueurs s’activent autour du tilleul dans le jardin, la vieille dame est désorientée par l’annonce d’une nouvelle émanant de sa fille.

Au fait, maman, cet été on va te laisser tranquille. Oui, on a décidé, d’un commun accord, que, à moins que tu n’insistes, et dans ce cas, eh bien dans ce cas… Bon, on n’a pas envisagé cette hypothèse. Tu n’auras pas à garder les enfants. C’est comme ça, c’est mieux pour toi. On veut aussi que tu te préserves, tu comprends, la fatigue. C’est nouveau, tu devrais plutôt te réjouir, non?

Vent debout contre le projet d’un golf !

Son rôle de mamie devenue obsolète, Joséphine ne va baisser les bras pour autant. La seule idée de l’implantation d’un terrain de golf sur son patrimoine lui étant devenue insupportable, l’occupation sera toute trouvée. Ce paysage intemporel, chaque jour différent et bientôt défiguré par une noria de promoteurs, elle va délibérément s’y opposer.
Tout ce qui constituait la beauté de ces environs de Morlaix, les pins maritimes fatigués par les coups de vent, la garenne et son gruyère de galeries souterraines jusqu’à l’antique four à chaux envahie de lierre ne pouvaient disparaître au profit d’un green à dix-huit trous.
Un constat étonnamment partagé par le chien Buzuk, comme elle le vérifiera lors d’une balade.

Il est resté sagement auprès de moi durant toute la durée de la promenade. On aurait dit qu’il lisait dans mes pensées, son regard suivait le mien. Et aujourd’hui, alors que tout devenait possible pour lui, chasse grande ouverte, courses-poursuites à fond de train, il semblait lui aussi plongé dans de graves réflexions. Il n’y avait pas de place en ce lieu pour les prédateurs.

Devenu en quelque sorte la pierre angulaire du narratif, le teckel va ainsi conforter l’état d’esprit de sa patronne. Plutôt que rallier le Luberon en famille, Joséphine va s’enhardir près des opposants au projet. Haranguant les indécis, elle prendra la tête du mouvement de rejet et distribuera des tracts alentour. Y compris auprès de jeunes vacanciers sommairement installés en bordure d’océan. La lutte contre une telle implantation ne devait-elle pas les concerner au premier chef ?

Savoureuse fable écolo

Une démarche des plus légitimes a priori, qui allait en fait devenir problématique car ces jeunes adeptes du camping sauvage et aux camions pouraves, se révéleront vite comme les premiers occupants d’une ZAD. Mais ce que Joséphine n’avait pas prévu, c’est que cette Zone Affreusement Déglinguée, allait susciter l’antagonisme des sympathisants locaux, outrés de voir cette cohorte de traîne-savates résolus à squatter leur territoire.
Entre la septuagénaire et le Conseil des Sages, le lien va aussitôt se distendre que Joséphine s’efforcera toutefois de rétablir tant par sa candeur comme par son ouverture d’esprit.
C’est là tout le savoir-faire de l’autrice qui par la compassion comme par la malice dont elle habite son héroïne nous livre un roman aussi drôle que touchant. A l’image du commentaire que Joséphine adresse dans son journal à son défunt mari, suite au cadeau que les jeunes Zadistes lui ont remis en signe de remerciement.

Ce bijou de coquillage, ça représente une bouée de sauvetage. J’ai donc maintenant une bouée amarrée à mon poignet. J’ai trouvé l’idée jolie, hein, se sauver soi et éventuellement porter secours à son prochain. Entre nous, Jacques, comment ne pas y voir une forme de catéchisme? Bien sûr que c’est ridicule, mais qui s’en soucie ? Je trouve que c’est touchant, cette attention ingénue pour une vieille dame, ne pas être considérée comme un croûton tombé derrière une malle. Gloups !

Ainsi de fil en aiguille, des loufoqueries de la communauté hippie à l’épanouissement de sa petite-fille Jade en leur sein, jusqu’au dénouement que l’on préfère taire, le récit se prolongera en de multiples rebondissements dans la description d’un univers où le baroque n’a d’égal que le réalisme poétique.
Soit, au final, un roman jouissif aux allures de fable écologique qui, tout en mêlant les questions sur la vieillesse à celles d’un monde en perpétuelle évolution, insuffle à sa lecture une savoureuse dimension.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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