0
100

Qu’est-ce que le Cantique des cantiques ? Un véritable chant ? Un poème ? Une déclaration d’amour profane ou un texte sacré ? Dans la collection « Mon ABC de la Bible » aussi pédagogique que passionnante, David-Marc d’Hamonville donne quelques clefs de compréhension pour interroger le plus beau texte de l’Ancien Testament.

De tous les livres bibliques, le « Cantique des cantiques » est le plus singulier, un des plus commenté ; le plus susceptible d’être lu par les athées convaincus à l’âme poétique voire libertine (mais alors, c’est parce qu’ils n’y comprennent rien). Le frère bénédiction David-Marc d’Hamonville a raison de s’étonner dès les premiers mots du chant, « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! », que l’on ne s’attend pas vraiment à trouver dans la Bible ! Qu’on y lise une anthropologie du désir ou une théologie, le Cantique des cantiques questionne l’élaboration même de notre nature désirante, sans condamnation morale, sans péché, sans faute. Il décrit les errances et la douleur : « Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais ne l’ai point trouvé ! »

Le désir, l’amour, le sexe s’entrelacent dans la poésie de ce texte tout à fait unique, qui force l’imagination par ses images sensuelles et sensualistes, qui éveille le désir d’aimer et d’être aimé. « Je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées. Comme le lis entre les chardons, telle ma bien-aimée entre les jeunes femmes. » Aux images végétales succèdent les images animales (« Mon bien-aimé est semblable à une gazelle, à un jeune faon »), et les allusions poétisées engendre un érotisme humide que Jean Ferrat n’aurait pas renié dans « L’amour est cerise ». Ainsi, quand le bien-aimé chante : « Je mange mon miel et mon rayon, je bois mon vin et mon lait », la fiancée lui répond : « buvez, enivrez-vous ! ». C’est bien le corps ici qui se déguste sans être dévoré. Tout est permis. « Il y a, commente l’exégète, dans cette extase amoureuse du jardin clos librement ouvert comme un paradis retrouvé, le contraire du fruit défendu ».

De tout temps, le Cantique a interrogé les rabbins, les Pères de l’Église, les artistes. De l’admiration de saint Bernard (« Aimable discours qui commence par un baiser ! « ) au « Lys dans la vallée » de Balzac, sa force provocatrice ne s’est en rien émoussée face à une modernité qui vulgarise sans grâce le sexe comme consommation. Attribué au roi Salomon. S’agit-il d’un chant nuptial ou bien d’une allégorie de l’amour divin ? Le sens ne s’aurait s’épuiser dans les mots. En début d’année, dans le très beau « Post tenebras lux » (Cerf, 2021), Laurence Nobécourt appelait de ses vœux une sexualité créatrice, et non seulement procréatrice, qui « par une syntaxe de caresses et de bouches » ferait « de tout baiser une grammaire divine ». Ce souhait décrit admirablement les versets suivants dont chaque mot est en effet une caresse :

Que mon bien-aimé entre dans son jardin, et qu’il en goûte les fruits délicieux !
J’entre dans mon jardin, ma sœur, ô fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume,
je mange mon miel et mon rayon, je bois mon vin et mon lait. (Ct 4, 16-5,1)

La relation sexuelle se lit dans la métaphore, dans la sensualité dont déborde chaque image, et l’on peut s’amuser avec l’auteur, frère au monastère d’En-Calcat (Tarn), du succès du Cantique auprès des moines et des moniales, « du Moyen Âge à nos jours, chez Thérèse d’Avila, François de Sales et Marie de l’Incarnation, Thérèse de l’Enfant Jésus », jusqu’au « Cantique spirituel » de saint Jean de la Croix. L’auteur le reconnaît, à travers six thèmes et onze chapitres, il ne fait qu’effleurer (effeuiller) la profondeur de ce livre mystérieux et profond. Il ne prétend pas « refermer les immenses horizons du Cantique », mais « ouvrir [s]on cœur et le cœur du lecteur » au sens (aux sens) et à l’amour. Car ce chant se lit avec le corps aussi bien qu’avec le cœur. Osons l’injonction : si vous ne connaissez pas encore le Cantique des cantiques, lisez-le ! Et pour mieux en mesurer la profondeur, le livre de David-Marc d’Hamonville, par sa richesse, son humour et sa brièveté, sera tout indiqué sans vous lasser.

Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm

Hamonville, David-Marc d’, « Le Cantique des cantiques », Le Cerf, « Mon ABC de la Bible », 07/10/2021, 1 vol. (149 p.), 12€

Retrouvez cet ouvrage chez votre LIBRAIRE indépendant près de chez vous et sur le site de L’ÉDITEUR

Soutenez notre cause - Soutenez notre cause - Soutenez notre cause

Pour que vive la critique littéraire indépendante.

Nos articles vous inspirent ou vous éclairent ? C’est notre mission quotidienne. Mare Nostrum est un média associatif qui a fait un choix radical : un accès entièrement libre, sans paywall, et sans aucune publicité. Nous préservons un espace où la culture reste accessible à tous.

Cette liberté a un coût. Nous ne dépendons ni de revenus publicitaires ni de grands mécènes :
nous ne dépendons que de vous.

Pour continuer à vous offrir des analyses de qualité, votre soutien est crucial. Il n’y a pas de petit don : même une contribution modeste – l’équivalent d’un livre de poche – est l’assurance de notre avenir.

Notre coup de cœur de la semaine est une belle révélation  Aimer pour rien de Camille de Villeneuve, aux Éditions du Cerf.

À contre-courant d’une époque où tout se compte, cet essai brillant nous invite à une révolution intime. En convoquant mystiques et philosophes, l’autrice démonte les pièges de la jalousie et de la possession pour nous offrir une vision solaire de l’amour.

C’est un livre qui apaise et élève. Il nous propose le plus beau des défis : accueillir l’autre dans sa totale liberté, sans marchandage. Une lecture essentielle pour réenchanter nos relations.

Apprendre à aimer pour rien, c’est enfin commencer à aimer vraiment.

À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE
autres critiques
Days :
Hours :
Minutes :
Seconds